Le Dieu de Jésus le Christ
Par Michel Leconte
La théologie de Paul Tillich (voir sur ce site) accorde très peu d’importance au Jésus historique tel qu’il fut. C’est comme le Christ et uniquement comme le Christ que Jésus est l’objet de sa théologie et il est le Christ dans la mesure où il sacrifie sur la croix sa particularité humaine.
Pourtant, selon le témoignage de la communauté primitive, Jésus ne disparaît pas au profit de Christ, car Pâques, loin d’effacer sa figure historique, a incité les évangélistes à s’assurer des souvenirs les plus sérieux à son sujet. Il me semble que le titre de Christ risque fort d’être détourné de son sens originel dans un but de conservatisme social ou culturel. C’est un moyen de réduire à l’anecdote d’un fait divers ou d’un pieux souvenir ce qui fut sa vie prophétique et son témoignage du Royaume de Dieu, lui retirant son dynamisme transformateur.
En effet, Jésus fut condamné en raison de sa lutte terrestre, les évangiles en témoignent. Jésus fut arrêté en raison de sa prédication prophétique par une élite sacerdotale soucieuse de maintenir sa domination sur le peuple : ce point me paraît bien assuré. C’est l’histoire de Jésus qui a donné son sens à son titre de Christ. Jésus est le Christ parce qu’il fut Jésus de Nazareth. Sa filiation divine ne doit pas être saisie hors de son propre chemin humain. C’est en Jésus que nous apprenons qui est le Fils de Dieu et par lui, qui est notre Dieu. Plus exactement, Dieu est celui qui se révèle dans les paroles et les actes de Jésus : l’amour en action.
La position de Paul Tillich donne à penser que Dieu se révèle là où la créature disparaît comme si Dieu ne pouvait être rencontré qu’en dehors de sa création ou contre elle. Ce Dieu absolu écrase notre humanité concrète, il déprécie notre existence. Ce Dieu est produit par l’homme refusant sa condition humaine, il dispense de nous heurter à la réalité. Le Dieu de Jésus n’est pas celui que nous imaginons selon nos désirs infantiles de sécurité et d’immortalité. C’est le Jésus historique des évangiles qui est le visage humain de Dieu et plus précisément le visage de Dieu dans notre condition humaine marquée par la contingence et la finitude.
Le professeur André Gounelle ajoute :
Quelle est la tâche ou l’œuvre de Christ ? Autrement dit, pourquoi, dans quel but, et pour remplir quelle mission, Dieu envoie-t-il le Christ aux hommes ? Réponse de Tillich : afin que les hommes deviennent vraiment des hommes, afin qu’ils deviennent totalement humains et pas inhumains comme ils le sont le plus souvent.
Ce qu’on exprime en termes ontologiques en disant : pour que leur existence (ce qu’ils sont effectivement) corresponde à leur essence (à ce qu’ils devraient être). L’ontologie dégage la structure d’un être ou d’un événement, et n’est évidemment pas le langage de la religion, de l’interpellation ou de l’existence ; c’est un « méta-langage » – un peu comme on dit H2O pour désigner l’eau vive….
Le Christ vient créer ou instaurer « un nouvel être » qui présente trois caractéristiques : le pardon (effacement ou dépassement des pesanteurs du passé), l’amour (la séparation surmontée sans que la distinction soit annulée ; aimer c’est être en union avec un autre qui reste autre : ce n’est pas une fusion) ; l’épanouissement, le déploiement et non la disparition ou l’écrasement de son être.
Tillich souligne souvent que l’historicité de Jésus a une importance capitale, car elle montre que l’homme véritable n’est pas une utopie, un rêve irréalisable de Dieu ou de l’homme, mais qu’il a eu dans le temps et l’espace de notre monde une réalité concrète – et qu’il peut donc avoir une réalisation concrète en nous et autour de nous, sans doute fragmentaire, mais effective. Toutefois, il ne faut pas confondre, comme on le fait trop souvent, l’historicité de Jésus avec celle des récits évangéliques (voir dans mon livre Parler du Christ l’important chapitre sur la notion d’historicité).
Dieu n’a pas besoin de la mort de l’homme ou du monde pour se révéler ; il se révèle dans leur vie. Mais en se révélant, il révèle la finitude du monde et de l’homme qui renvoient à ce qui les dépasse. Le monde et l’homme ont la tentation de rejeter leur finitude et de se vouloir comme Dieu (cf. le eritis sicut Dei du serpent de la Genèse) et donc de se poser en ultime au lieu de renvoyer à l’ultime qui se manifeste en eux. En acceptant de mourir, Jésus rejette radicalement cette tentation et interdit de faire de son humanité une idole. La révélation de Dieu ne demande pas la mort de l’homme, mais celle de l’idolâtrie de l’homme.
Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1666.htm