Par Michel Deheunynck

Quand on lit ce chapitre 20 de l’Évangile de Luc, juste avant le passage qu’on vient de lire, Jésus vient juste d’échapper à un autre traquenard, à une autre question-piège, posée cette fois par les pharisiens. C’était sur l’impôt à payer à César. Nous savons comment il a réglé le problème… Et ces pharisiens sont à peine repartis, la tête baissée, que voilà, maintenant, les sadducéens. C’était bien le moment ! Même pas le temps de souffler
Les sadducéens, ils ne sont pas très copains avec les pharisiens. Ils n’ont pas la même façon de comprendre et de vivre la foi. Eh oui, déjà en ce temps-là, il y en avait des querelles de sacristie ! Alors, quand les sadducéens ont vu repartir les pharisiens tout pâles avec leur pièce de monnaie à César dans les mains, ils avaient pensé qu’eux, ils avaient toutes les chances de faire mieux… Alors, ils vont sortir à Jésus la question super-banco !
Et nous voilà embarqués dans une de ces histoires de famille, avec cette brave femme qui n’en finit pas d’être veuve, de beau-frère en beau-frère. Il faut quand même avoir l’esprit un peu tordu et ne pas avoir grand-chose d’autre à faire pour se poser ce genre de question plutôt vicieuse. Comme si la vie de couple n’était pas d’abord une question d’amour, mais de devoir conjugal, familial, voire patriotique, pour donner des enfants à sa lignée, à sa tribu, à son pays. Alors cette femme, qui aura largement fait son devoir, quand elle sera ressuscitée avec tous ses maris, lequel sera le bon ? Elle est d’autant plus vicieuse, cette question, que les sadducéens, eux, ils n’y croient pas à la résurrection des morts. C’est vrai que ça n’a rien d’évident. Nous, si on dit qu’on y croit, qu’est-ce qu’on en sait ? Nous aussi, on aimerait bien en savoir un peu plus ; jeter un petit coup d’œil derrière les coulisses. Nous aussi, on aimerait bien poser quelques questions vicieuses à Jésus sur les petits potins du paradis… Parce que, cette question des sadducéens, même si c’est une question-piège, c’est une vraie question. Beaucoup se la posent, croyants et non croyants. La mort, surtout quand elle est violente ou injuste est une des plus grandes épreuves pour la foi. Et les mots ne suffisent pas pour en parler sans savoir. On ne peut pas, non plus, se contenter d’y croire comme ça, en se disant « On verra bien ! » La résurrection, il s’agit avant tout d’en vivre dès maintenant les uns avec les autres et d’en chercher, d’en repérer ensemble, les signes.
Je me souviens d’un jeune non-croyant, mais qui militait avec ses copains croyants de la JOC. Un jour, la question leur était posée « pour nous, le Ressuscité, qui c’est ? » Bien sûr, les croyants ont répondu « C’est Jésus ! » Mais ils ont ajouté que c’était aussi tel copain réservé qui osait maintenant parler devant tout le monde ; tel autre, timide, qui s’était impliqué, s’était mouillé dans les actions menées. Et c’est ainsi que ce jeune a mesuré son propre chemin parcouru, ses propres limites dépassées, ses propres obstacles franchis comme autant de signes, de chemins de résurrection.
La résurrection, ce n’est pas après la vie. C’est la vie ! La vie éternelle, elle n’est pas pour plus tard, elle est maintenant, dans chacun de nos gestes de partage, de justice, d’amour, de pardon, d’accueil. Tous ces gestes qui ne portent pas forcement tout de suite des fruits, mais qui sont comme des germes de vie éternelle. Alors, vue comme ça, la résurrection, nous, on y croit ! On ne peut pas vous la prouver, messieurs les sadducéens, mais on peut toujours essayer de la vivre ensemble, tout simplement en regardant la vie et les autres autrement. La vie nouvelle, elle ne jaillit pas d’un seul coup, elle germe peu à peu dans chacune de nos vies, elle se transforme les uns par les autres. Et si ressusciter, c’était ça ? Et si ressusciter, c’était aimer ? Et si l’alliance éternelle avec Dieu, c’était d’être, avec Lui, créateur de vie nouvelle, ressuscitée autour de nous, d’exister toujours un peu plus les uns par les autres ? Cette vie-là, elle n’est jamais détruite. Elle est plus forte que toute mort. Elle est résurrection. Comme dit Jésus « Dieu n’est pas le dieu des morts, mais des vivants ! »
Alors, souhaitons aux sadducéens de ne pas être trop déçus en repartant, mais emplis d’une espérance en une vie vraiment nouvelle, pas pour demain, mais pour ici et maintenant. Et c’est comme cela que la résurrection, ensemble, nous, on y croit !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? (éditions Temps Présent), p. 161.