Les conservateurs ne peuvent gagner le débat sur Vatican II que par l’ignorance de l’histoire
Par Thomas Reese
Soixante ans après l’ouverture du concile Vatican II, rares sont les personnes vivantes qui se souviennent de l’événement, et encore moins celles qui y ont participé.
Le concile, composé de tous les évêques catholiques du monde et convoqué par le pape Jean XXIII, a débuté le 11 octobre 1962 et s’est achevé le 8 décembre 1965, date à laquelle le pape Paul VI avait succédé à Jean XXIII.
Le dernier évêque américain à avoir participé au concile, Mgr Raymond Hunthausen, est décédé il y a quatre ans à l’âge de 96 ans. Le pape Benoît XVI, qui a 95 ans, a servi d’expert alors qu’il était un jeune prêtre dans la trentaine.
L’éloignement du concile a donné lieu à différentes interprétations de l’événement.
L’extrême droite affirme que le concile était une erreur ; il a détruit l’Église en abandonnant le dogme et en mettant la messe en langue vernaculaire. Elle affirme que l’Église doit exiger le strict respect de son enseignement moral (bien qu’elle ignore en même temps les exigences de l’enseignement social de l’Église).
La gauche affirme que le concile n’est pas allé assez loin dans son objectif déclaré : mettre l’Église en accord avec le monde moderne. Le concile était un bon début, disent ces critiques, mais il fallait en faire plus – autoriser les femmes prêtres, par exemple, et permettre à tous les prêtres de se marier. Ils donnent également la priorité à l’enseignement social de l’Église plutôt qu’à son enseignement sur la sexualité.
Peu de catholiques se situent à l’extrême droite. Ceux qui veulent revenir à la messe en latin sont peu nombreux, mais ils se font entendre. Les sondages d’opinion montrent qu’il y a un soutien pour l’ordination des femmes et des personnes mariées, et moins de soutien pour l’éthique sexuelle de l’Église ou son enseignement social.
Parmi les élites ecclésiastiques, cependant, les principaux débats de ces 55 dernières années ont porté sur l’interprétation des documents de Vatican II. Les conservateurs ont souligné la continuité du concile avec le passé, tandis que les libéraux ont insisté sur la façon dont le concile avait changé l’Église.
Ce qui a dérouté tous ceux qui ont suivi ces débats, c’est la capacité de chaque partie à trouver des passages dans les documents du Concile qui soutiennent leurs positions.
La source de cette confusion remonte à la volonté du pape Paul VI de faire approuver les documents du concile par consensus. Un vote à la majorité n’était pas suffisant ; même un vote aux deux tiers n’aurait pas suffi. Il voulait une quasi-unanimité.
Pour parvenir à un consensus, Paul a exigé que le Concile apaise sa minorité conservatrice. Cela signifie que les questions controversées étaient décrites dans un langage ambigu qui pouvait donner lieu à différentes interprétations. Parfois, un paragraphe en contredisait un autre. Et certaines questions, comme le contrôle des naissances, ont été tout simplement écartées.
Les progressistes ont accepté ces compromis, car ils pensaient que l’avenir leur appartenait. Mais lorsque Jean-Paul II a été élu, il a adopté une ligne conservatrice sur bon nombre de ces passages ambigus.
Estimant que l’Église de l’après-Vatican II était en proie au chaos, Jean-Paul II a prôné la stabilité. Il n’était pas question que de nouveaux changements se produisent sous sa direction. Il a fait venir Joseph Ratzinger, qui deviendra plus tard Benoît XVI, au Vatican pour s’assurer que leur interprétation de Vatican II était la seule acceptable dans l’Église. Les théologiens et les prêtres qui ne l’acceptaient pas ont été renvoyés des séminaires et écartés des chancelleries. Les partisans, quant à eux, sont devenus évêques.
Les conservateurs ne peuvent gagner le débat sur Vatican II qu’en ignorant l’histoire. Ils abordent les documents du concile comme des fondamentalistes bibliques qui lisent l’Écriture sans comprendre le contexte historique et culturel du passage. Ils sont comme les textualistes judiciaires qui se contentent de regarder les mots de la loi sans respecter l’intention des législateurs.
Pour les conservateurs, il suffit de citer le texte du concile et l’interprétation qui en a été faite par Jean-Paul et Benoît XVI. Fin de la discussion.
Les conservateurs ont essayé de confiner le concile à une analyse textuelle, mais cela passe à côté de ce que le concile signifiait pour les participants et pour ceux qui, comme moi, ont vécu dans l’Église pré et post-Vatican II.
Pour ceux qui souhaitent comprendre le concile, il n’y a pas de meilleur point de départ que L’événement Vatican II de l’historien jésuite John W. O’Malley. On y trouve un compte rendu bien documenté et facile à lire du concile.
Dans ce livre se trouve ce que le père jésuite James Martin, rédacteur en chef de « America », appelle le meilleur court paragraphe sur la façon dont le concile Vatican II a changé l’Église :
des commandements aux invitations, des lois aux idéaux, de la définition au mystère, des menaces à la persuasion, de la coercition à la conscience, du monologue au dialogue, de la domination au service, du repli sur soi à l’intégration, de la verticalité à l’horizontalité, de l’exclusion à l’inclusion, de l’hostilité à l’amitié, de la rivalité au partenariat, de la suspicion à la confiance, de l’immobilisme à la continuité, des acceptations passives à l’engagement actif, de la recherche de la faute à l’appréciation, de la prescription aux principes, de la modification du comportement à l’appropriation intérieure.
Les conservateurs ont essayé de confiner le concile à une analyse textuelle, mais cela ne tient pas compte de ce que le concile signifiait pour les participants et pour ceux qui, comme moi, ont vécu dans l’Église avant et après Vatican II. C’était une révolution qui nous a ouvert les yeux sur ce que l’Église pouvait être si nous osions.