Par Saji Thomas [1]
Une centaine de religieuses catholiques en Inde ont réclamé une place dans la direction de l’Église et ont demandé que le droit canon soit modifié afin de le rendre plus pertinent et inclusif. Elles ont mis l’accent sur ces points entre autres lors d’une conférence intitulée « Femmes dans l’Église », qui s’est tenue à Pune, début octobre.

Les participantes ont rédigé et approuvé par un vote à main levée une déclaration soulignant que les femmes représentent 50 % de la population catholique dans le monde, mais sont exclues de tous les organes décisionnels de l’Église, ce qui les laisse sans voix et sous la dépendance des dirigeants masculins. « Cette pratique devrait changer et les femmes devraient occuper la place qui leur revient dans la direction de l’Église catholique », ont affirmé 95 religieuses, issues de plus de 30 congrégations religieuses, qui participaient à la conférence qui s’est déroulée du 4 au 6 octobre à Pune, une ville de l’ouest de l’Inde. Quelques prêtres ont servi de ressources et ont fait partie de l’équipe organisatrice de l’événement.
La sœur du Saint-Esprit, Jaisa Antony, l’une des organisatrices, a déclaré que ce siècle verra l’Église catholique perdre les femmes, laïques et religieuses, si rien n’est fait rapidement pour s’attaquer à leur rôle dans l’Église.
« Jusqu’à présent, les dirigeants de l’Église ont gardé le silence sur cette question vitale. Nous devons rompre leur silence d’une manière ou d’une autre », a déclaré Antony à Global Sister Report (GSR).
Les participantes de la conférence « Femmes dans l’Église : Lire les signes du temps », ont débattu de la manière de rapprocher l’égalité de chez soi. Les sessions ont traité des étapes pour négocier un partenariat dans l’Église, de la redéfinition de leur travail en tant que service plutôt que servitude, de la façon de traiter du cléricalisme, du pouvoir et de la domination dans l’Église, et de la mise à jour du statut de la « politique de genre » de l’Église indienne [2], neuf ans après sa publication.

La sœur du Saint-Esprit Julie George, avocate spécialisée dans la défense des Droits de l’Homme et organisatrice de la conférence, a déclaré que la consultation avait été convoquée principalement parce que l’Église indienne avait très peu appliqué la politique de 2010.
La réunion a également abordé les scandales dans l’Église indienne, tels que le viol présumé d’une religieuse par l’évêque Franco Mulakkal de Jalandhar [3] et les moyens de rechercher l’autonomisation des femmes de l’intérieur. Les sujets traités comprenaient des appels à la responsabilité et à la sainteté pour les hommes consacrés et le clergé dans le pays, et pour que les religieuses vivent l’Évangile axé sur la spiritualité, tout en faisant face aux défis de la formation religieuse.
« Le cléricalisme est un cancer qui engendre des jeux de pouvoir de domination et d’exploitation, affecte la vie sacerdotale et son ministère, et son impact destructeur perturbe gravement la vie paroissiale et les ministères paroissiaux des femmes, religieuses et laïques », indique le communiqué.
La déclaration a été lue à voix haute à la fin de la réunion de trois jours et a été approuvée par un vote à main levée. Il n’y a pas de calendrier pour les prochaines étapes, mais il est prévu de remettre le document aux supérieurs, aux congrégations et aux évêques en Inde.
Dans leur déclaration, les participantes ont déclaré que la conférence les avait aidées à se lancer dans « le défi de transformer nous-mêmes et l’Église, en accord avec la vision du Christ ».
Elles ont résolu de rétablir l’égalité dans l’Église et de créer la conscientisation pour négocier un partenariat dans l’Église.
La rencontre a également mis l’accent sur le développement de la « conscience féministe » pour lire les signes du temps, évaluer de manière critique les structures, les valeurs et les pratiques actuelles et renforcer la solidarité entre les sexes, les classes, les castes et autres, afin de contribuer à transformer les vies.
Les religieuses ont noté que les castes et les classes ainsi que « la masculinité et la féminité toxiques affectent l’Église consciemment et inconsciemment ».
Le patriarcat, principe organisateur fondamental de la société, se développe en divisant les hommes et les femmes, en donnant pouvoir et statut aux hommes et en cantonnant les femmes dans le soin et l’éducation, indique le communiqué.
On y dit aussi que les religieuses, qui représentent un pourcentage important de l’effectif de l’Église, sont programmées pour se conformer à un système patriarcal et suivre docilement à ses exigences.
« Nous réalisons que le vœu libérateur d’obéissance à Dieu doit être revu. Nous devons remettre en question les stéréotypes et les visions binaires qui maintiennent les femmes dans des positions de soumission et d’esclavage et y résister », affirme le communiqué. Les religieuses travaillent souvent dans les diocèses en tant que femmes de ménage, décoratrices, cuisinières et aides ménagères non rémunérées ou sous-payées.
Faisant la liste des manifestations de cléricalisme dans l’Église, les religieuses ont cité le mauvais usage de la chaire, le refus des sacrements par les prêtres, les humiliations publiques de sœurs et de laïcs, l’imposition de pratiques relevant de préjugés, exigeant par exemple que les femmes se couvrent la tête, et des discours irrespectueux.
Plusieurs participantes ont appelé à une intervention rapide pour mettre fin à l’injustice historique dans l’Église, à commencer par des amendements au droit canonique.
La théologienne Sœur Pauline Chakkalakkal explique que le droit canon patriarcal et discriminatoire a réussi à empêcher les femmes d’entrer dans toutes les instances de l’Église.
« Le moment est venu de réparer cette injustice historique », a déclaré la sœur des Filles de Saint-Paul lors d’un entretien avec GSR en marge de la conférence.
« Traiter les femmes comme des êtres humains inférieurs n’a aucune justification, car elles sont, à l’instar des hommes, créées à l’image de Dieu », a-t-elle ajouté « Permettre aux seuls hommes ordonnés d’occuper des postes de pouvoir dans l’Église catholique est injuste ».
La sœur missionnaire dominicaine du Rosaire, Anjana Parmar, voit le patriarcat non seulement dans le droit canonique, mais également dans la Bible, la liturgie, les livres de prières, les hymnes et d’autres formes de culte.
Elle dit que puisque les livres de prières, les hymnes et autres outils de l’Église n’utilisent pas un langage non sexiste, les femmes sont obligées de réciter des prières écrites au masculin, même lorsque l’identité de la femme doit être affirmée.
« L’hindi, la langue nationale de l’Inde, spécifie la différence de genre dans chaque phrase. Mais nos livres de prières ou hymnes en hindi sont totalement dominés par les hommes et les femmes doivent les réciter comme des hommes », dit Parmar.
Elle a appelé à « des efforts conscients pour rectifier de telles indifférences envers les femmes ». Elle a ajouté que sa communauté utilise désormais un langage non sexiste dans les prières et la liturgie.
« Nous n’utilisons pas pour parler de Dieu les termes de “homme” ou “lui”, mais nous utilisons plutôt des termes inclusifs tels que personne, humanité, genre humain, eux, notre, etc. », a-t-elle expliqué.
L’organisatrice de la manifestation, Julie George, a demandé aux dirigeants de l’Église indienne de mettre en œuvre la politique de promotion de l’égalité des sexes qu’ils avaient élaborée en 2010.

La « politique de genre » avait souligné que l’égalité et la dignité de toutes les personnes humaines constituaient la base d’une société juste et humaine. Elle a également affirmé que l’autonomisation des femmes est essentielle à la réalisation de l’égalité des sexes.
George a déclaré que le statut des femmes dans l’Église est resté le même depuis l’adoption de la « politique de genre ».
Elle a dit qu’elle voulait que les religieuses soient traitées sur un pied d’égalité avec les hommes consacrés, soulignant que l’égalité est au cœur d’une Église grandissant une dans le Christ, lui qui n’a jamais discriminé quiconque sur la base du sexe, de la classe sociale ou de toute autre forme.
« Ainsi, nous pouvons établir le statut de disciple d’égal à égal dans l’Église », a déclaré George.

Virginia Saldanha, une théologienne laïque qui a présenté une contribution intitulée « Le défi de La voix des femmes », a déclaré que les femmes consacrées sont considérées comme une main-d’œuvre bon marché dans l’Église.
Elle a blâmé la mentalité du clergé et de nombreuses congrégations de femmes pour la « position vulnérable » des religieuses dans l’Église.
« Il est grand temps que le clergé se débarrasse du cléricalisme et rétablisse la dignité et le respect des femmes. Ils devraient également faire leur travail plutôt que de demander aux nonnes de le faire », a déclaré Saldanha.
Chakkalakkal et d’autres participantes ont affirmé que la discrimination à l’égard des femmes dans l’Église ne pourrait prendre fin qu’avec leur ordination. « Le Christ n’a ordonné personne comme prêtre, tel que nous les voyons aujourd’hui. C’est le résultat du patriarcat et il est temps de changer », a déclaré Chakkalakkal au rassemblement.
Quelques participants de sexe masculin se sont joints à la demande de modifications du droit de l’Église pour mettre fin à la discrimination entre les sexes.
Mgr Thomas Dabre, évêque de Pune, qui a ouvert la consultation, a félicité les participantes d’avoir choisi un thème « très pertinent », mais il a esquivé la question de la demande d’inclusivité des femmes.

Le prélat les a toutefois encouragées à faire valoir leurs droits en déclarant : « Aujourd’hui, les femmes de l’Église doivent également regarder au-delà ».
Dabre a mis en garde les participantes contre les dangers liés à leur combat. « Ne finissez pas par gagner une bataille et par perdre la guerre », a-t-il dit, les invitant à adopter ce que Jésus a institué : une communauté universelle et inclusive.
Le Frère de la Parole Divine, M.T. Joseph, professeur adjoint à l’Université de Mumbai, qui a prononcé le discours liminaire, a identifié le secret, le patriarcat et la hiérarchie comme étant les trois piliers de l’Église qui constituent le fondement de la discrimination.
Le Fr. Victor Sagayam Z, nouvellement nommé directeur d’Ishvani Kendra (Centre pour la voix de Dieu) géré par la Divine Word Society, souhaite que l’Église modifie les lois et les pratiques contraires aux enseignements du Christ, qui défend la liberté et la dignité des êtres humains.
« Ce n’est qu’alors que la vie catholique deviendra plus pertinente à l’époque moderne », a-t-il déclaré.
La rencontre était organisée conjointement par Ishvani Kendra et le centre Streevani (voix de femmes) des Sœurs Missionnaires, Servantes du Saint-Esprit, communément appelé Sœurs du Saint-Esprit.
Notes :
[1] Saji Thomas est un journaliste indépendant basé à Bhopal, une ville du centre de l’Inde. Il a travaillé pour plusieurs journaux grand public tels que The Times of India. Cet article fait partie d’une collaboration entre GSR et Matters India, un portail d’informations consacré aux questions religieuses et sociales en Inde.
[2] http://www.cbci.in/downloadmat/gender_policy.pdf
[3] voir https://nsae.fr/2019/09/06/kerala-conflits-de-pouvoir-sur-fond-dabus-sexuels/ (NDLR)
Source et illustrations : https://www.globalsistersreport.org/news/social-justice/news/indian-nuns-statement-calls-womens-due-place-church-leadership?clickSource=email
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Lire aussi :
https://nsae.fr/2019/10/11/mettre-fin-au-silence-des-religieuses-une-tache-urgente/?preview_id=31682&preview_nonce=a59b5af344&preview=true&_thumbnail_id=31683