De Jonathan Liedl sur le National Catholic Register :
Cet évêque allemand controversé pourrait bientôt être le chef doctrinal du Vatican
L’évêque Heiner Wilmer, qui a soutenu avec force les propositions les plus controversées de la voie synodale allemande, serait le choix « probable » du pape François pour diriger le Dicastère pour la doctrine de la foi.
23 janvier 2023
Il y a quelques semaines, la nomination d’un évêque allemand controversé au rôle influent de préfet du Dicastère de la Doctrine de la Foi aurait été bloquée par des cardinaux inquiets, qui ont exhorté le pape François contre cette nomination. Aujourd’hui, l’évêque Heiner Wilmer serait à nouveau le choix du Saint-Père pour diriger le bureau de la doctrine du Vatican.
Mgr Wilmer, qui dirige le diocèse allemand de Hildesheim et qui a déploré il y a quatre mois que le synode allemand n’ait pas approuvé un texte appelant à des changements radicaux dans l’enseignement de l’Église sur la sexualité, aurait été fortement pressenti par le pape François pour succéder au cardinal Luis Ladaria en tant que préfet du Dicastère de la doctrine de la foi en décembre dernier. Mais l’intervention d’un certain nombre de prélats de haut rang, dont feu le cardinal George Pell, a mis en doute la solidité doctrinale de Mgr Wilmer et aurait dissuadé le pape d’aller de l’avant avec cette sélection, du moins temporairement.
Aujourd’hui, selon le site Internet italien traditionaliste Messa In Latino, la candidature de l’évêque Wilmer est à nouveau fortement considérée par le Saint-Père. Dans une lettre ouverte adressée au pape François par le comité de rédaction du site, la nomination de Mgr Wilmer est qualifiée de « probable ».
L’intérêt du pape François pour l’évêque Wilmer survient au milieu de l’impasse actuelle entre le Vatican et l’épiscopat allemand au sujet du controversé Chemin synodal, un processus non contraignant au sein de l’Église catholique allemande qui cherche à apporter des changements hétérodoxes à la gouvernance ecclésiale, à l’ordination sacramentelle et à l’enseignement sur la sexualité.
Lors d’une réunion entre les responsables des bureaux curiaux du Vatican et les évêques allemands en novembre 2022, le cardinal Ladaria a critiqué les propositions du Chemin synodal qui « réduisent le mystère de l’Église à un simple institut de pouvoir … qui doit être placé sous le contrôle de super-contrôleurs dès que possible ». Les responsables du Vatican ont demandé un « moratoire » sur le Chemin synodal, ce que l’épiscopat allemand a rapidement rejeté.
Selon les procès-verbaux des réunions, l’évêque Wilmer a soutenu tous les textes proposés par la Voie synodale lors de sa dernière assemblée en septembre 2022, y compris ceux demandant la création d’un Conseil synodal permanent, l’ordination des femmes et l’approbation morale des relations sexuelles entre personnes du même sexe.
En ce qui concerne le texte appelant à des changements hétérodoxes dans l’enseignement de l’Église sur la sexualité, qui, selon le cardinal Ladaria, donnait « l’impression générale » que « rien ne peut être sauvé » dans l’enseignement orthodoxe de l’Église, « que tout doit être changé », Mgr Wilmer a non seulement soutenu la mesure, mais a déploré qu’elle n’ait pas reçu un soutien suffisant de la part des évêques allemands lors de l’assemblée de septembre pour être formellement adoptée.
« J’ai voté pour le document d’orientation sur la réforme de l’enseignement sexuel catholique et je suis très contrarié que la majorité des deux tiers des évêques n’ait pas été atteinte », aurait déclaré l’évêque allemand de 61 ans après l’échec du vote. « C’est un véritable coup de frein pour tous ceux qui, par foi, travaillent au renouveau de notre Église. Je comprends et partage la déception de nombreux catholiques quant à l’échec du texte lors du vote.
Mgr Wilmer a ajouté que » [l]a réforme de l’enseignement sexuel de l’Église est et reste un sujet très important. Le rejet du document d’orientation par une minorité d’évêques n’y change rien. Je soutiens de tout cœur le texte et je suis certain que, malgré le rejet, il sera largement reçu et fera l’objet de discussions intensives. J’assure les fidèles du diocèse de Hildesheim que je continuerai à œuvrer pour un renouveau de la morale sexuelle catholique. Il est inacceptable que des personnes soient blessées ou discriminées par l’enseignement de l’Église. Ce n’est pas dans l’esprit de Jésus-Christ ».
Le soutien de l’évêque Wilmer aux demandes radicales de la Voie synodale n’est pas la première fois qu’il soutient des idées théologiques controversées.
Dans une interview de 2018, il a affirmé que « l’abus de pouvoir est dans l’ADN de l’Église », ce qui ne peut plus être écarté comme « périphérique », mais devrait conduire à une « refonte radicale » de l’ecclésiologie. Dans la même interview, il a également décrit le théologien allemand polémique, le père Eugen Drewermann, comme « un prophète de notre temps ». Le père Drewermann s’est vu interdire l’exercice de ses facultés sacerdotales par son archevêque dans les années 1990 en raison de ses critiques de l’état clérical, et avait précédemment remis en question la naissance virginale du Christ et la résurrection physique de Jésus d’entre les morts.
Dans la même interview, Mgr Wilmer a également remis en question l’autorité pédagogique du Magistère de l’Église.
« Je pense parfois : Qui détermine réellement ce qui est catholique ? Nous agissons encore comme si c’était la hiérarchie ; comme si nous, les évêques, avions droit à l’étiquette catholique. C’est faux ! … Nous devons être récepteurs, auditeurs, apprenants, en conversation avec les catholiques, mais aussi avec les chrétiens d’autres confessions et les non-croyants. »
En avril 2020, dans le cadre du COVID-19, Mgr Wilmer a critiqué les messes en streaming comme un exemple de « fixation » excessive sur l’Eucharistie. Il a minimisé la présence eucharistique distinctive du Christ, en contraste apparent avec l’enseignement de saint Paul VI dans Mysterium Fidei et de saint Jean-Paul II dans Ecclesia De Eucharista.
En 2022, au début du processus synodal global dans son diocèse, il a déclaré dans son homélie que l’Église avait besoin d’une « nouvelle pensée » concernant la sexualité et le ministère du prêtre.
« Nous avons besoin d’un nouveau regard sur le genre – une participation juste pour tous dans l’Église, hommes et femmes confondus », a-t-il déclaré lors de la messe, célébrée à la cathédrale de Hildesheim.
L’évêque Wilmer a également supervisé la mise en œuvre de directives pour un « langage sensible au genre » au sein de son diocèse. Par exemple, au lieu de dire « Dieu notre Père », le texte de 2021 propose « Bon Dieu, qui êtes pour nous mère et père. »
Outre les questions sur l’orthodoxie des engagements de Mgr Wilmer, on s’interroge également sur ses qualifications de base pour diriger un bureau aussi important que le Dicastère pour la doctrine de la foi. Il n’est évêque que depuis 2018, et contrairement à des personnalités comme le cardinal Joseph Ratzinger et le cardinal Gerhard Müller, deux prélats allemands qui ont précédemment occupé le poste de DDF, Mgr Wilmer n’a pas d’expérience significative en tant que théologien de haut niveau. Bien qu’il ait obtenu un doctorat dans ce domaine, en rédigeant sa thèse sur le mysticisme et Maurice Blondel, il a notamment enseigné au lycée en Allemagne et en histoire et en allemand à la Fordham Preparatory School dans le Bronx de 1997 à 1998.
Ordonné prêtre des pères dehoniens – la congrégation des prêtres du Sacré-Cœur – Wilmer a été supérieur général de sa congrégation de 2015 jusqu’à sa nomination comme évêque de Hildesheim, un diocèse du nord de l’Allemagne dont le taux de fréquentation hebdomadaire des messes n’est que de 2,8 %, selon la Conférence épiscopale allemande.
Un admirateur de théologiens dissidents, un évêque inexpérimenté et un partisan intransigeant des demandes les plus controversées de la voie synodale. Tout cela décrit bien l’évêque Wilmer. Mais si les rumeurs sont vraies, l’évêque allemand pourrait bientôt avoir un autre titre à ajouter à son CV : Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi.
Jonathan Liedl est rédacteur principal pour le Register. Il a travaillé pour la conférence catholique de l’État, a suivi trois ans de formation au séminaire et a été tuteur dans un centre d’études chrétiennes universitaire. Liedl est titulaire d’une licence en sciences politiques et en études arabes (Université de Notre-Dame), d’une maîtrise en études catholiques (Université de St. Thomas) et termine actuellement une maîtrise en théologie au séminaire de Saint Paul. Il vit dans les villes jumelles du Minnesota. Suivez-le sur Twitter : @JLLiedl
Tout à fait d’accord avec vous ; merci de votre commentaire. NSAE a publié hier sur sa page Facebook (https://www.facebook.com/AssociationNSAE/) le commentaire de Julien DUPONT, curé de Niort “Un opuscule de notre évêque à lire pour penser… et, surtout, s’engager !”.
Nous y reviendrons…
Le titre de ce long cri douloureux d’un homme d’Église : Abus sexuels dans l’Église catholique. Des scandales aux réformes. Dire que Mgr Wintzer a été éprouvé par les scandales sexuels à répétition est un euphémisme. La mise en cause, récente, d’évêques et même d’un cardinal pour leurs comportements ou leur silence et leur inaction coupables a été le coup de grâce.
Discrédit
« La révélation de [ces] faits ne laissait aucune place à autre chose que l’accablement. » Alors, sollicité par Alban Cerisier, directeur éditorial de la collection Tracts, Poitevin lui-même et lecteur des précédents ouvrages de Mgr Wintzer, l’archevêque a pris la plume et l’a trempée dans sa colère : « Ces actes et la manière dont ils ont été traités discréditent ce qu’on fait », commente-t-il aujourd’hui dans son sobre bureau de l’archevêché poitevin.
Sa conclusion est radicale : les évêques réunis à Lourdes il y a un an auraient dû renoncer à leur charge, tous ensemble. Et maintenant ? Le livret qu’il signe laisse entendre qu’il n’est peut-être pas trop tard : « L’assemblée de Lourdes de la fin mars aura à ne pas finasser. Il faudra laisser à d’autres les mises en œuvre et la poursuite du chemin. »
Limiter dans le temps la mission des évêques
En interview, Mgr Pascal Wintzer se montre plus conciliant : « On n’est plus dans le temps de la renonciation, plutôt dans celui de la mise en œuvre de ce qui va être préconisé par les groupes de travail. » Pascal Wintzer appartient à l’un d’eux.
Mais il n’a pas pu attendre. Son « tract » dresse une liste de ce que l’Église devrait s’imposer pour aller au-delà du traumatisme. Il va choquer, il le sait, mais il ne se renie pas. Il a envoyé son texte avant publication au président de la Conférence des évêques et au nonce apostolique, représentant du Pape en France. Par déférence, pas pour recueillir leur approbation.
Salariés ordinaires
Que propose donc de si révolutionnaire le prélat poitevin, en dénonçant « l’entre-soi et l’impunité, l’immaturité et l’emprise dans l’exercice exclusif du pouvoir par la cléricature » ?
D’abord un changement du statut des prêtres : « Nos conditions de vie nous protègent et ne nous aident pas à mesurer ce qu’est la vie des gens. » D’où la proposition de transformer les prêtres (qui gagnent actuellement 1.000 € par mois mais voient toutes leurs dépenses au quotidien prises en charge) en salariés ordinaires, payés par la communauté catholique.
Si la communauté ne trouve pas l’argent, elle n’aura pas de prêtre, voilà tout. Et peut-être plus d’église non plus, l’archevêque préconisant de renoncer à celles où plus personne ne vient.
Faire du prêtre un adulte
Le but de ce véritable salariat : faire du prêtre, que son statut actuel infantilise, un « adulte », enfin confronté aux contraintes de la vie de tout un chacun, à même d’avoir en toutes circonstances un comportement responsable. Et si Pascal Wintzer passe en une phrase sur la question, pourtant centrale, du célibat du prêtre, qui sera selon lui forcément aboli un jour ou l’autre, c’est, dit-il, parce qu’il a déjà abordé le sujet dans de précédents ouvrages.
Le grand ménage proposé par l’archevêque de Poitiers n’épargne pas sa propre mission, qui lui pèse visiblement. Entré en religion pour propager la foi, l’évêque est de plus en plus confiné au rôle de patron de PME, de DRH… L’assistance accrue de laïcs dans ces missions séculières, qu’il préconise, ne suffirait sans doute pas à dissiper le malaise. Mgr Wintzer en est persuadé : la mission d’un évêque ne devrait pas excéder dix, quinze, au plus vingt ans.
Passer à autre chose
En refermant le document, on s’interroge sur le devenir de ce prélat travaillé par la culpabilité, qui écrit, à propos des scandales sexuels et de leur rejaillissement au sein de l’Église : « Je me sens empêché dans l’accomplissement de ma mission… Chaque fois que je m’exprime, je mesure qu’un grand nombre de personnes ou bien doutent ou bien n’accordent aucun crédit à mes propos. »
Alors on se risque à lui poser la question : pourrait-il, demain, demander à Rome de le libérer de sa mission ? La réponse tombe, désabusée : « Je n’ai pas demandé à être évêque. Mais je ne suis pas un militant, je n’ai pas un tempérament de combat. Cela dit, si Rome me dit : “ Merci, vous pouvez passer à autre chose ”, j’accueillerai cela avec joie. »
« Abus sexuels dans l’Église catholique. Des scandales aux réformes » de Pascal Wintzer, collection Tracts de Gallimard, 60 pages. 3,90 €. Les droits de l’auteur seront reversés au Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs.
Ce texte est paru dans la Nouvelle République du Centre
Archevêque de Poitiers depuis 2011.
Profondément traumatisé par les scandales sexuels au sein de l’Église, Mgr Pascal Wintzer publie ses idées pour la réformer en profondeur.
L’opuscule d’une soixantaine de pages qui paraît ce jeudi 9 mars 2023 dans la collection Tracts de Gallimard, à quelques jours de l’ouverture de l’assemblée plénière des évêques à Lourdes, est de ces courts textes appelés à provoquer une onde de choc. Son auteur : Pascal Wintzer, évêque depuis 2007 (il était alors le plus jeune évêque de France) et archevêque de Poitiers depuis 2012.
« Abus sexuels dans l’Église catholique. Des scandales aux réformes » de Pascal Wintzer, collection Tracts de Gallimard, 60 pages. 3,90 €. Les droits de l’auteur seront reversés au Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs.