Chemin synodal allemand : après la rencontre européenne de Prague
Régine et Guy Ringwald.
Comme on pouvait s’y attendre, le Chemin synodal allemand n’a pas fait l’unanimité lors de la rencontre synodale européenne de Prague. Ce qui ressort des réactions que nous rapportons ici, c’est que ce qui rend le dialogue impossible en l’état actuel des choses concerne les questions de gouvernance, à commencer par la conception que les uns et les autres se font de la synodalité. Les deux responsables du synode, les cardinaux Grech et Hollerich portent les espoirs d’une issue positive.
Pas encore une « nouvelle Pentecôte »
« Prague était épuisant, et Rome le sera encore plus ». Cette réaction de Georg Bätzing, au sortir de la rencontre de Prague, en dit long. Il pointe le fossé qui sépare les représentants des Églises : « Le pape nous invite à une aventure avec le Synode mondial ; cela ne s’est jamais produit auparavant. L’effort sera grand, il y aura des déceptions et nous verrons encore plus clairement que nous voyageons à des vitesses très différentes ».
Réagissant au premier jet d’un document final de l’assemblée synodale européenne, le 9 février, Il s’est dit « un peu inquiet », déplorant le manque d’avancées du processus synodal sur l’avenir de l’Église. À ses yeux, l’Église n’en est pas encore dans une « nouvelle Pentecôte », comme le prétend le document.
Dans une interview accordée à l’agence catholique KNA, Georg Bätzing note que le document de synthèse ne fait pas apparaître les contributions allemandes ». Puis il revient sur la nécessité d’organes tels que le Conseil synodal, qui devraient dans le futur être introduits dans certains pays, et demande « la reconnaissance de la diversité des genres, une Église où tous peuvent avoir une place à part entière, s’ils vivent leur vie dans la foi avec fidélité et responsabilité ».
Bätzing soulève aussi la question de l’universalité dans la diversité : « De la même manière que les diacres mariés existent déjà dans certains pays et pas dans d’autres, il pourrait en être de même pour les prêtres mariés à l’avenir ». Enfin, il revient sur le caractère synodal de l’Église : « Une chose est claire : l’avenir de l’Église sera synodal ». Dans cette perspective, il exprime sa « grande confiance » dans le travail des cardinaux Grech et Hollerich, respectivement Secrétaire général et rapporteur du Synode.
De ces propos et de ceux de l’évêque de Mayence, Peter Kohlgraf, il ressort de plus en plus que les points durs qui mènent à l’affrontement le Chemin synodal allemand et les conservateurs sont la structure de gouvernance — pour les Allemands, le Conseil synodal — et la forme que doit pendre la synodalité : les deux côtés y adhèrent, mais ils ne parlent pas de la même chose [1].
« À Prague, des mondes se sont affrontés [2] »
Peter Kohlgraf a donné à « katholisch.de » une longue interview pour tirer le bilan de l’assemblée de Prague. Il dénonce la forme qu’a prise la rencontre : « Il y a déjà eu une grande désillusion, voire de la frustration, dans le groupe germanophone et une forte irritation, parce que nous nous représentons la synodalité autrement qu’en restant assis à écouter et au mieux de faire une déclaration de trois minutes ». Il vise aussi un point de divergence sur le fond, que nous avions déjà signalé : « pour nous, il était important de montrer clairement qu’il s’agissait d’étapes concrètes et que nous ne restions pas seulement dans un nuage théologique » : le Chemin synodal allemand travaille à dessiner le contour d’une Église nouvelle, en prenant dans une certaine urgence, des mesures concrètes, tandis qu’à la curie et parmi les conservateurs, on parle beaucoup d’« évangélisation » et de doctrine.
Selon l’évêque Kohlgraf, « l’Allemagne a été un thème récurrent… (mais) les réticences à l’égard de la voie synodale en Allemagne étaient clairement perceptibles ». Cependant,il relève que « certains points qui ont été critiqués dans la voie synodale se sont déroulés de la même manière à Prague ». Il vise là les critiques sur l’organisation des débats et lance une pique acérée. On a dit que « le temps de parole était limité, que l’on ne pouvait pas aller au fond des choses… On peut s’étonner des assemblées de Francfort (du Chemin synodal), mais chez nous — on peut le dire sans modestie — il y a des débats, on prend les gens de l’assemblée au sérieux et on les écoute. Ce n’est pas seulement le podium qui parle. » Il relève la question de la prise de décision : « Il a été question de prise de décision et, en Allemagne, il y a un désir plus fort de participer à la décision, d’être impliqué dans la décision elle-même ».
Puis, il développe la question de la diversité : « Des mondes se sont effectivement affrontés. Il n’y a pas seulement des vitesses différentes, mais aussi des visions de l’Église et des images de la synodalité totalement différentes. Si l’Église catholique doit rester unie, cela ne peut se faire que par l’acceptation de solutions et de voies régionales, afin de parvenir à une véritable unité dans la diversité ». Et quand on le ramène à la prochaine (et dernière) assemblée du Chemin synodal, prévue en mars à Francfort, Kohlgraf revient à la notion de synodalité : « la synodalité implique aussi de supporter le fait que des évêques de pays différents des groupes d’autres pays aient des appréciations très différentes, qui ne correspondent pas à celles de l’Allemagne… je pense que nous devrions profiter de cette réunion à Francfort pour nous interroger sur la synodalité, nous assurer de ce que sont nos images de la synodalité. Sinon, nous n’avancerons pas ».
Le rapport publié par la délégation allemande se prononce en faveur de structures synodales internationales durables [3]. « Nous avons besoin de plus de temps en commun et d’une confiance mutuelle croissante, de structures synodales établies sur la durée et de réseaux internationaux, y compris européens ».
Dialogue de sourds ?
Une profonde incompréhension qui s’est révélée au cours de l’année passée, et surtout depuis la note émise par le « Saint-Siège » en juillet 2022, et qui s’était exprimée lors de la visite ad limina des évêques en novembre dernier, est en train de tourner au dialogue de sourds. Quand on use des mêmes mots alors qu’ils recouvrent des réalités différentes, chacun peut être persuadé d’avoir raison, mais le risque est grand de provoquer un choc. Qui peut dire ce qui pourrait en sortir ? La victoire, comme toujours, de l’autorité de droit divin ? Les Allemands ne l’envisagent pas. Une rupture ? Non seulement l’entreprise du Chemin synodal n’a jamais visé un tel but, mais au contraire, comme Georg Bätzing le faisait remarquer lors des récents épisodes, il s’agit d’éclairer ce qui serait une évolution nécessaire à la survie de l’Église catholique.
Dans une étude relatant le chemin suivi, et ses cahots, le groupe « Wir sind Kirche [4] » se demandait : « Rome a-t-elle également vu les chances d’un chemin synodal qui n’était pas défini par le droit canonique ? ». Revenant sur la notion de synode, ils disaient : bien que le pape François ait introduit de nouvelles formes de participation telles que des enquêtes mondiales pour la préparation des synodes, jusqu’à présent, ce sont presque exclusivement les évêques qui doivent décider en fin de compte. Et à la fin, le pape a encore le dernier mot avec une «exhortation apostolique ».
Chemin synodal, avec participation effective de diverses composantes du « peuple de Dieu » ou encore et toujours « synode des évêques » ?
Une « étude stratégique » qui donne à réfléchir
Dans un éditorial du 12 février, John Allen, rédacteur en chef du site américain CRUX [5], se livre à un exercice de recherche stratégique sur le mode humoristique : l’hypothèse est un schisme formel en Allemagne. En termes de capital humain, l’incidence serait négligeable : 3 millions de pratiquants sur 1,3 milliard de catholiques dans le monde et peu de vocations (10 fois moins de prêtres qu’en Inde). Mais ce serait un coup dur pour les finances : en 2021, le catholicisme allemand a tiré 7 milliards de dollars de l’impôt ecclésiastique, et fournit une contribution annuelle de 90 millions de dollars aux finances du Vatican. John Allen suppose à bon droit que les compensations pourraient venir du côté conservateur. Il explique que le mouvement « Neuer Anfang », adversaire du Chemin synodal, avait appelé à un schisme, « solution la plus directe pour clarifier la situation allemande ». L’auteur en déduit « une mécanique contre-intuitive dans laquelle il est dans l’intérêt des libéraux de freiner la poussée allemande de réforme, alors que les conservateurs pourraient l’encourager à devenir incontrôlable… un exemple de l’amusement et des jeux que nous pourrions avoir dans les études stratégiques ecclésiastiques ». Si le ton reste humoristique, ce qui force le trait, cela suggère que le jeu des conservateurs pourrait être de « pousser au crime ». Or John Allen n’est pas exactement un plaisantin.
Notes :
[1] Golias Hebdo n 747 (8-14 décembre 2022) et 755 (9 -15 février)[2] https://katholisch.de/artikel/43527-kohlgraf-ueber-weltsynoden-treffen-stellen-uns-synodalitaet-anders-vor
[3] https://www.katholisch.de/artikel/43522-deutsche-delegation-abschlusstext-ohne-loesung-fuer-fragen-der-kirche
[4] Groupe de chrétiens progressistes : https://www.wir-sind-kirche.de/?id=665&id_entry=9632
Traduit en français : http://paves-reseau.be/revue.php?id=2059
[5] https://cruxnow.com/news-analysis/2023/02/ecclesiastical-strategic-studies-101-gaming-out-a-german-schism
Source : Golias Hebdo n°757, p.15