Pour une Église servante et pauvre
Xavier Puren.
Nous voici en entrée de carême et ce temps me met mal à l’aise. Non pour ce qu‘il préconise : c’est toujours une bénédiction de suivre les propositions de prière, de jeûne et d’aumône du Christ qui me permettent d’avancer dans ma vie d’homme et de croyant. Ce qui me dérange, c’est l’occasion qui est donnée à certains prêtres et prélats d’utiliser de manière pernicieuse, voire « hypocrite », comme le rapporte l’évangile du jour des Cendres, ce moment de retour sur soi pour surfer sur une morale inconvenante et puérile, des images d’un dieu insupportable, sur une infantilisation des croyants, des menaces à peine voilées de l’enfer, de la culpabilité et j’en passe. Ce n’est pas le cas de tous heureusement. Mais force est de constater que beaucoup « jouent au prêtre » nimbé d’un pouvoir sacré qui les autorise à préconiser une religion de peur plus qu’une attitude d’amour et de confiance. Voilà donc un « lieu » où certains s’en donnent à cœur joie : quel moment de choix pour avoir du pouvoir sur un peuple de croyants dociles, se satisfaisant de l’autorité d’une parole extérieure dite sacrée !
Par cet exemple, je vais tenter de répondre à l’appel de Garrigues & Sentiers à la question «Le cléricalisme sera-t-il le fossoyeur du catholicisme ? » Dans un ouvrage récent, Jours sombres en Église [1] qui vient d’être publié en décembre dernier dont Garrigues & Sentiers s’est fait l’écho, je rapporte les méthodes d’un cléricalisme local dévastateur. Robert Picard dans son commentaire récent à propos de cette interrogation, s’interroge et invite : « Que des laïcs plus nombreux – plutôt que de partir sur la pointe des pieds – prennent conscience du sacerdoce royal qui leur a été conféré par le baptême et le vivent aussi intensément qu’il leur sera possible en se mettant au service de la Cité et de l’Église ! » [2].
Bonne question s’il en est, mais qui en appelle une autre, au vu de mon expérience : Faut-il devenir martyr par et dans son Église pour tenter de se mettre au service de celle-ci ? Rude question ! Les croyants « libéraux » ne sont guère acceptés par toute une frange de clercs et de laïcs qui croient posséder la Vérité. Car ils peuvent laisser leur peau, comme je le rapporte dans mon livre. Face à ces intransigeants méprisants, haineux et violents, ils deviennent des exilés, loin de structures qui les combattent et les ignorent. Mais, dans leur pauvreté et leur impuissance, ne sont-ils pas alors des semeurs de nouvelles communautés fraternelles ? Peut-être que « l’implosion » que suggèrent Jean-Louis Schlegel, et la sociologue Danièle Hervieu-Léger, dans leur livre Vers l’implosion du catholicisme français ? est un passage à franchir pour laisser les morts enterrer les morts et inventer « un christianisme d’hospitalité, porteur d’une forme de radicalité qui ne soit pas une fuite du monde, mais au contraire une manière de contribuer à l’orienter autrement ? ».
Dans son article, Robert Picard rapporte que « le Pape François appelle à combattre le cléricalisme. » Je souscris totalement à cet appel. Mais à quel prix ? Car, effectivement, il s’agit d’une lutte, d’un combat contre un adversaire, friand d’une sacralisation outrancière qui le conduit à l’intolérance, qui s’accapare de plus en plus un pouvoir, loin des appels au service, au don, au dialogue, à l’écoute fraternelle. J’avoue ne plus avoir la force et l’envie de m’engager ainsi face à ces ayatollahs intransigeants. Et pourtant il nous faut revenir à la simplicité des Évangiles. Alors comment ?
En finale de mon livre, Jours sombres en Église, je fais une vingtaine de propositions pour tenter de sortir de ce cléricalisme abusif et, parmi elles, je voudrais en retenir particulièrement une. Non qu’elle soit, avec les autres, une solution, car je n’y crois guère : le mal s’est installé dans la durée et la persistance depuis des siècles ! Il s’agit de la proposition de l’option préférentielle pour les pauvres, à travers l’appel dit du Pacte des catacombes. On le trouvera à la suite cet article.
De quoi s’agit-il ? Une « vieille » et discrète histoire qui date de la fin du Concile Vatican II en 1965. Un mois avant la fin de ce Concile, 42 pères conciliaires (surtout latino-américains, dont Helder Camara) célèbrent l’Eucharistie dans la catacombe de Domitille, à Rome. À l’issue de la messe, ils signent un document par lequel ils s’engagent à une vie de pauvreté. Le sous-titre est explicite : « Pacte pour une Église servante et pauvre ». Ce seul mot de pauvreté résume l’enjeu : Il s’agit de changer de style de vie, en renonçant à tout privilège ou signe de richesse, de servir les pauvres, de lutter pour la justice, de gouverner de manière plus coopérative… On peut lire par exemple : «…Nous renonçons pour toujours à l’apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse : ces insignes doivent être en effet évangéliques… »
500 autres évêques rejoindront cet appel. Si le Pacte est peu connu, son influence sera grande en Amérique latine : il inaugurera l’apparition d’un « nouveau franciscanisme » et influencera l’essor de la Théologie de la Libération, si combattue par la suite par Benoît XVI et Jean-Paul II. Pape François sera pétri de cette approche : élu pape, il ne cessera de dire « Ah, comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres !».
Nous y voilà ! C’est le cœur du message évangélique, des paroles et des gestes de Jésus pour tous les humbles et les rejetés de la Terre.
À la suite de Jésus, à la fin du vingtième siècle, l’Esprit souffle ce même appel. La feuille de route est tracée depuis les origines. Que des prélats s’engagent ainsi ne peut que réjouir : nous sommes loin des pompes, des apparats et des artifices ecclésiaux, dans un entre-soi douillet, peu ouvert sur la Société. Le Pacte des Catacombes sera repris en 2019, initié par le Cardinal Hummes de São Paulo pour continuer à « être fidèle à l’esprit de Jésus » dans le service des pauvres. Avec cette attention particulière pour une dimension locale : l’Amazonie. Cette attention à la particularité des peuples, des langues, des coutumes, à un style de vie synodale, à une écologie intégrale concrète, devrait rejoindre bien des Églises particulières engoncées dans un cléricalisme folklorique, étroit et mortifère. Cette dimension locale est ouverte à l’universel : le texte est écrit pour protéger la maison commune. S’il concerne l’Amazonie il préconise « la pratique d’une écologie intégrale » tant les interdépendances de la mondialisation nécessitent cette ouverture à tous les hommes et toute la planète.
Il va de soi, pour moi, que cet appel concerne l’Église dans sa totalité, et non seulement ses seuls clercs. Les laïcs, hommes et femmes, sont aussi conviés à faire leur cette option pour les pauvres. Témoins et acteurs aujourd’hui de cette attention pour les plus défavorisés, nous sommes les héritiers pour mettre en œuvre le Message d’Amour de simplicité exigeante du Poème. Il est plus que d’actualité. Des chrétiens se mettent en exil, loin d’une institution sclérosante : non pas forcément pour la fuir (quoique !), mais pour vivre leur foi avec d’autres et être semeurs crédibles du Message évangélique. Ils sèment pauvrement et dans l’impuissance (mais l’Évangile est-il de l’ordre de la puissance ?) des graines de fraternité et de solidarité : en paroles, en actes, en poésie de plus en plus. Ils laissent les morts enterrer les morts. Non en partant sur la pointe des pieds, mais en éclaireurs et déchiffreurs de terres spirituelles inconnues.
Chacun est interpellé dans la cohérence de sa foi, dans une Église très attirée par les franges d’extrême-droite, surtout dans les milieux traditionalistes. Le cri des pauvres et le cri de la Terre interpellent aussi les Églises : sauront-elles être et seront-elles à la hauteur du défi qui leur est lancé ? La réponse ne peut être que positive, dans la sobriété de vie et d’exercice fraternel, désacralisé du culte, dans la solidarité ouverte, sans sélection de ses pauvres. À moins de devenir secte, l’Église catholique, déjà bien minée de l’intérieur, ne peut que répondre, dans l’urgence, à l’appel du Christ à la pauvreté, à la simplicité de vie et à l’unité (personnelle et collective). Sinon, effectivement, elle creuse sa propre tombe. On ne fait pas Corps ecclésial en restant dans son coin et en ostracisant ceux qui ne sont pas dans la mouvance du plus grand nombre ou du plus criant.
Notes :
[1] Xavier Puren, Jours sombres en Église. Demain, quel avenir ? éditions Golias, 2022, 16 €.
[2] Ce commentaire est publié sous forme d’article, Réflexions, compléments et questions à propos du cléricalisme.
Source : http://www.garriguesetsentiers.org/2023/02/pour-une-eglise-servante-et-pauvre.html
On peut lire aussi : « Comment Helder Camara a mis en œuvre le Pacte des catacombes »