Sauver la santé mentale des prêtres
Le dernier numéro de la revue de nos amis Belges du Réseau P.A.V.E.S. publie cette « chronique » de l’association Hors-les-Murs, par Pierre Collet.
Nous aimerions faire le point avec vous des sujets d’informations et des réflexions qui ont circulé ces derniers mois dans Hors-les-Murs et plus largement autour de nous : la lutte pour abolir l’obligation du célibat des prêtres qui est un objet propre de l’association, l’avalanche de témoignages d’abus commis par le clergé et qui, s’ils ne sont pas que sexuels, ont quand même toujours un lien avec la sacralisation très « religieuse » du pouvoir, la prise de conscience enfin par les prêtres eux-mêmes voire quelques évêques de l’impasse du cléricalisme « systémique » de l’Église : d’aucuns reconnaissent même que leur silence s’apparente à une responsabilité personnelle dans le maintien de cet état de choses. Et nous n’oublions pas le blocage tout à fait intolérable vis-à-vis de l’ordination des femmes et qui fait l’objet d’un article séparé ci-dessous.
Le célibat obligatoire
Même si elle est de plus en plus perçue comme « relative », la question reste centrale pour plusieurs groupes de prêtres mariés, mais aussi pour d’autres mouvements qui militent pour des réformes dans l’Église.
Nos amis du groupe espagnol MOCEOP viennent de tenter de relancer le dialogue avec la hiérarchie : ils ont pu rencontrer le cardinal Omella, président de leur Conférence Épiscopale, et cette rencontre a été si cordiale qu’elle s’est clôturée par une demande d’être reçu par le pape François…
La lettre des Espagnols au pape demande de « reprendre un dialogue positif sur le travail et la contribution humaine et ecclésiale des prêtres mariés » [1]. D’autres groupes se joignent à eux dans la volonté d’abolir cette obligation, comme le groupe allemand. Ont-ils une chance d’être entendus après le flop retentissant du Synode sur l’Amazonie… ?
Les Italiens ne semblent pas prêts non plus à cesser ce combat : Armando Poggi, prêtre marié de la région de Naples, vient de publier un livre-interview [2] où il raconte à quel point le clergé napolitain était novateur dans ses réponses à l’enquête menée en 1970 par la Conférence épiscopale italienne : « après plus de 50 ans, les contenus alors élaborés par les prêtres de Naples résonnent dans le débat qui a été réveillé ces dernières années, notamment après le dernier synode des évêques et l’exhortation post-synodale du pape François Querida Amazonia. Bref, les choix que l’Église sera appelée à faire dans un proche avenir trouvent leurs racines dans les nombreuses tentatives généreuses, souvent étouffées dans l’œuf, d’une Église qui était vivante en ces années post-conciliaires. »
On pourrait trouver bien d’autres exemples qui montrent que cette question reste actuelle, comme par exemple au Chemin synodal de nos voisins allemands. Et nombre de commentateurs n’hésitent plus à relier à cette problématique la crise des abus, sexuels et autres, ce qu’on n’osait pas affirmer il y a 10 ans. Mais il faut se rendre à l’évidence : ces cinquante longues années de contestations et de luttes depuis Sacerdotalis Caelibatus (1967) et le fameux Synode de 1971 n’ont visiblement débouché sur rien, et semblent même avoir eu l’effet inverse : on s’évertue à trouver toujours plus de justifications théologiques pour rappeler le caractère sacré du célibat. [3]
Au point que René Poujol [4], observateur éclairé des débats internes à l’Église catholique, en est arrivé au constat qu’ordonner des hommes mariés serait une solution déjà dépassée. C’est ce que beaucoup d’entre nous ressentent aussi d’ailleurs.
Finissons ce chapitre par la notation pessimiste de Patrick Royannais [5], prêtre français très engagé sur le terrain, en décembre dernier :
« Pourquoi les prêtres ne sont pas mariés ?
Certains continuent à justifier le célibat ecclésiastique par la soi-disant disponibilité qu’auraient les célibataires. Si au moins ils avaient des raisons théologiques… Ma réponse : parce que si l’on ouvrait la possibilité qu’ils soient mariés, la majorité n’en voudrait pas.
1. La vie de vieux garçon est bien plus confortable que celle de famille. Loin de les rendre plus disponibles, le célibat leur permet de l’être moins, avec les meilleures raisons. Hypocrisie ! La vie de vieux garçon permet de cultiver tranquillement l’égoïsme, la vie de famille confronte et dénonce l’égoïsme. La première, sous prétexte de don, n’est jamais disponible, la seconde oblige à l’être. Quand on a un gamin malade, ou heureux, ou abattu, on ne se demande pas si on a du taff ou non, on y va.
2. Le mariage, dans l’Église, c’est, pour un homme avec une femme. Or plus de la moitié des prêtres est homo. De sorte que vouloir se marier obligerait à faire son coming-out, à accepter le mariage homo, enfin et surtout, à s’accepter comme on est. Mais les prêtres ne veulent pas sortir du mensonge. Hypocrisie et mensonge. On ne s’étonnera pas que l’institution ecclésiale aille si mal dans ces conditions. »
Les abus de pouvoir et l’emprise « spirituelle »
Après les séismes provoqués par la révélation d’abus sexuels commis par des membres du clergé sur des mineurs, c’est d’autres victimes adultes qui se sont mises à parler. En particulier depuis les révélations autour de Jean Vanier et des dominicains Thomas et Marie-Dominique Philippe, les témoignages ne cessent d’affluer. La situation est trop grave et trop fréquente pour être ignorée. Les commissions indépendantes mandatées par L’Arche et par les dominicains pour faire la lumière sur les abus sexuels et spirituels ont publié leurs rapports le 30 janvier dernier. [6] Leurs recherches révèlent la sidérante persistance, pendant des décennies, d’un noyau sectaire aux croyances et pratiques mysticoérotiques au cœur de l’Église. On attend le troisième et dernier rapport, celui de la Communauté Saint-Jean sur son fondateur Marie-Dominique Philippe.
Ce n’est évidemment pas pour le plaisir de la critique et encore moins par esprit de malveillance que nous revenons sur ces scandales qui ont sans doute fait plus de tort à l’annonce de l’évangile et continueront d’en faire si elles ne suscitent pas des réformes radicales. Et bien au-delà encore de la gestion de ces prêtres abuseurs, nous savons bien qu’il s’agit globalement de l’enseignement et de l’attitude de l’Église concernant la sexualité. Comme écrivait récemment un commentateur : « Trichez avec le sexe, il se vengera ! » [7]
Saisissons cette occasion pour signaler ce dernier témoignage [8] très bouleversant d’une jeune religieuse qui en dit long sur les pratiques encore très actuelles de certaines « communautés nouvelles », comme on les appelle.
La Dijonnaise Sabine Tainturier y relate son passé de religieuse expulsée de sa communauté des sœurs des fraternités apostoliques de Jérusalem à Tarbes : elle témoigne sur les dérives dont elle affirme avoir été victime. « Je dénonce un système basé sur l’emprise, la dépersonnalisation des membres, que l’on peut nommer abus spirituel… Et le fait que les alertes soient étouffées par les responsables qui sont en charge d’avoir pourtant une vigilance sur cette communauté dont je faisais partie. » Des articles dans la presse ces dernières semaines dont les réponses de l’évêque local, prouvent sans conteste que seule la médiatisation permettra un peu de clarté et de vérité… « Cet ouvrage offre vraiment le récit poignant d’une femme passée de l’emprise à la liberté, au prix d’un combat où les ténèbres ne l’ont pas emporté. »
La fatalité d’un « système » ? Focus sur l’identité du prêtre…
Nous avions cru qu’un premier pas de reconnaissance du caractère « systémique » de la crise actuelle avait été franchi par le pape François lui-même avec le tournant que constituait sa Lettre au Peuple de Dieu [9] du 20 août 2018 ciblant le cléricalisme. Il faut lui savoir gré de cette initiative qui a permis une réflexion et une mobilisation que nous n’aurions même pas pu rêver il y a dix ans.
Mais pouvait-il se contenter d’en rester à ce beau « principe » sans voir que le nœud du cléricalisme n’est pas qu’un mode de « fonctionnement », mais une affaire de personnes, en l’occurrence la perception de l’identité des prêtres et des évêques, par les fidèles et aussi par eux-mêmes… ? Il conviendrait de lire à ce sujet l’analyse très suggestive que vient de publier Michel Bouvard [10] qui désigne avec pertinence tant de domaines touchés par ce manque de courage, depuis la conception et la pratique de l’eucharistie jusqu’aux affirmations totalement désincarnées et culpabilisantes sur la sexualité.
Mais après tout, nous ne sommes pas dans la tête du pape François… Ne pourrait-on imaginer, après sa position lors du Synode sur l’Amazonie, qu’il partage au moins un tout petit peu les réserves de tous ceux qui pensent que la solution des viri probati mariés serait déjà dépassée, à l’instar de René Poujol déjà cité plus haut ? Pour la simple raison qu’elle ne ferait que perpétuer le système clérical à « deux castes »… ?
Cela dit, devrait-on militer tout simplement pour une église « sans prêtres », qui fonctionnerait sur le modèle de nos sociétés civiles « démocratiques » avec les pouvoirs et les décisions venant du peuple comme le nom l’indique ? Vaste question que nous ne résoudrons évidemment pas dans ce cadre… Mais peut-être sera-t-on intéressé par l’article que vient de diffuser un théologien allemand bien connu.
À la suite du colloque virtuel de Wir Sind Kirche Autriche [11], Herman Häring a tenté de synthétiser ses idées sur la question dans un texte qu’il intitule La prêtrise, creuset de l’attente chrétienne du salut [12]. C’est une vision théologique qui l’intéresse ici, pas seulement sociologique ni même pastorale. S’attardant à l’évolution historique du prêtre et de sa « fonction », l’auteur ne pointe pas seulement la situation des deux ou trois premiers siècles, mais attire l’attention d’une part sur les ratages qu’a constitués la (mauvaise) réponse catholique à la Réforme protestante, d’autre part sur l’ambiguïté inacceptable laissée par Vatican II concernant l’éventuelle articulation entre le sacerdoce commun du Peuple de Dieu et le sacerdoce sacré des prêtres. C’était aussi l’avis d’Henri Denis qui y était expert justement pour cette question. Trois pages éclairantes qui pourraient être un jalon pour notre réflexion…
C’est une conviction semblable qui a conduit un groupe de chrétiens liégeois à publier sept réflexions sous le titre Rendons l’Église au Peuple de Dieu [13]. Engagés dans diverses missions d’Église et en particulier dans la pastorale de la santé, c’est à partir de l’administration des sacrements et du sens de ceux-ci qu’ils questionnent le fait que seuls des prêtres ordonnés sont autorisés à les administrer. Faut-il vraiment qu’ils soient les seuls à pouvoir le faire ? Leur démarche est sensée, pacifique, bien informée, et elle ne méritait certainement pas les réactions violentes de ces jours-ci ni le lancement d’une pétition par des traditionalistes au secours de « leurs prêtres ». Mais la surprise a été de voir l’évêque suivre la même voie et reprocher aux auteurs leur légèreté : « Les questions de départ posées par les auteurs sont très pertinentes, mais les réponses sont mal instruites. » Et de renvoyer… à Vatican II ! « Mal instruites » parce que partant de la vie concrète et pas de la doctrine ? On a (souvent) connu Jean-Pierre Delville mieux inspiré…
Rencontrer le mal-être des évêques et des prêtres
Ce n’est pas la première fois que nous abordons la question du malaise des Prêtres [14]. C’est l’objet d’un post publié il y a quelques semaines par Patrick Royannais [15]. Il réagit à une réflexion d’un évêque publiée par La Vie sur la difficulté du « métier d’évêque » [16]. C’est qu’en effet « plusieurs, en France comme dans d’autres pays, démissionnent, prennent des mois sabbatiques, déclarent un burn-out ». Le diagnostic du théologien-anthropologue est aussi radical que ce qu’on a déjà relevé ci-dessus et dans d’autres articles de nos bulletins précédents : « le mal-être des clercs est un symptôme non de difficultés personnelles, mais de dysfonctionnements systémiques, structurels, au même titre, même si c’est différemment, que les délits et crimes sexuels… »
Le problème n’est donc pas inhérent au « gouvernement » – qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? – mais au fait que « les ministères ont perdu leur sens dans les circonstances actuelles. La théologie des ministères est d’ailleurs indigente, schizophrène, ne sachant opter entre deux modèles qui se révèlent non conciliables contrairement à ce qu’on a voulu croire ou faire croire à Vatican II, pouvoir sacramentel et service des communautés. Malgré tout ce que nous faisons – et beaucoup se démènent, – nous voyons bien que cela ne marche pas. Ce n’est pas seulement le recul numérique qui est en cause que la possibilité même de communautés. Nous n’arrivons pas à renouveler les équipes, les conseils. Nous voulons – enfin ! – une Église synodale, mais il n’y a plus personne pour entrer dans un tel fonctionnement dans nombre de paroisses. L’individualisme y tient sans doute une part de responsabilité, mais pas seulement. […] »
L’anthropologue aurait-il une piste pour sortir de l’impasse cléricale ? Concernant le « métier d’évêque », il faudrait que ces « chefs » acceptent de se faire aider – c’est un minimum – mais aussi qu’ils renoncent à la concentration de tous les pouvoirs : « on s’obstine à refuser que l’Église soit une démocratie sous prétexte que le vote n’est pas la meilleure manière de décider. De fait vérité et majorité ne font pas toujours bon ménage. Mais la démocratie ne se définit pas tant par le vote que par la séparation des pouvoirs. […] »
Il y a un corollaire à ce préalable et qui vise le caractère prétendument « absolu » de l’engagement dans le ministère. La « recette » proposée semble couler de source : « La tâche de tout ministre, ordonné ou non, devrait obligatoirement comporter une partie caritative hebdomadaire en dehors des postes de responsabilité (soutien scolaire, alphabétisation, maraude auprès des sans-abris, soutien des migrants, des détenus, etc.). Non que la charité ne serait pas à vivre d’abord dans l’exercice des ministères, mais que le bénévolat au service de telle ou telle catégorie de plus pauvres apprend à aller voir ailleurs si l’on est effectivement engagé dans la charité, et que travailler dans une équipe, sans être le chef, apprend à être plus humble dans son gouvernement. »
Conclusion. « Si le lien est établi de la crise du recrutement presbytéral et du moral des prêtres et des évêques au système religieux, il faut penser que ce qui est à réformer c’est notre compréhension de ce qu’est l’Évangile. Loin de cela, nombre d’entre nous sont à la remorque des évangéliques. C’est tout le contraire de ce que nous avons à faire. »
Bref, il s’agit à la fois de sauver la santé mentale des prêtres (et des évêques…) et de garantir des fonctionnements de réelle coresponsabilité. Cela ne vous semble-t-il pas très « raisonnable »… ?
Notes :
[1] On trouvera tout un dossier sur le sujet dans le dernier numéro 171 (décembre 2022, p. 5-14) de leur revue Tiempo de hablar tiempo de actuar : www.moceop.net[2] Pianticelle divelte ? Il vento conciliare nei Sinodi delle Chiese particolari, Ed. la Valle del Tempo, 2022, 128 pages. Littéralement : Semis arrachés. Voir la présentation sur http://www.pretresmaries.eu/fr/Lectures.html#702
[3] Relire la belle analyse de Couples et Familles qui date de 2010 déjà :
https://couplesfamilles.be/index.php?option=com_content&view=article&id=225:abus-sexuels-et-relation-dautorite&catid=6&Itemid=108
[4] Ordonner des hommes mariés : une solution déjà dépassée ? https://www.renepoujol.fr/ordonner-des-hommes-maries-une-solution-deja-depassee/
[5] http://royannais.blogspot.com/2022/12/pourquoi-les-pretres-ne-se-marientils.html
[6] Le livre des dominicains est publié aux éditions du Cerf. : Tangi CAVALIN, L’affaire. Les Dominicains face au scandale des frères Philippe, 2023, 766 pages. Le rapport de l’Arche et une synthèse (900 pages !) sont accessibles sur le site de la Communauté : https://www.larche.org/fr/larche/actus/commission-etude-2023/ ; La Croix le résume fort bien : https://www.la-croix.com/Religion/Jean-Vanierfreres-Philippe-Ce-dit-rapport-LArche-2023-01-30-1201252952 Sœur Véronique MARGRON dit toute sa satisfaction face à ce travail dans un communiqué de la CORREF : https://www.viereligieuse.fr/communique-de-presse-de-la-corref/
[7] Marcel BERNOS : http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/692-Bernos.GetS.pdf
[8] Sabine TAINTURIER, Sois pieuse et tais-toi ! Éditions L’Harmatan 2022, 260 p.
[9] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2018/documents/papafrancesco_20180820_lettera-popolo-didio.html
[10] https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/12/30/le-clericalisme-sera-t-il-lefossoyeur-du-catholicisme/
[11] Nous avons publié ce Communiqué dans notre bulletin de septembre 2022 p. 59. Il est en ligne sur http://www.pretresmaries.eu/fr/Actualites.html#685
[12] http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#701
[13] Liège, 2023, 5 € + port (3 €). À demander à justice.633@hotmail.com
[14] É. CUCUZZA, Le malaise des prêtres, dans notre bulletin de juin 2022. Voir
http://www.pretresmaries.eu/en/Publications.html#684
[15] http://royannais.blogspot.com/2022/12/mal-etre-des-ecclesiastiques.html. Patrick Royannais est prêtre du diocèse de Lyon, docteur en théologie et en anthropologie engagé dans des secteurs de formation et accompagnateur d’immigrants.
[16] Hervé GIRAUD, Comment être évêque aujourd’hui ? L’être autrement ? in La Vie du 16 décembre 2022 : https://miniurl.be/r4ehlhttp://www.pretresmaries.eu/en/Publications.html#684