Recension par Gilles Castelnau.
Frédéric Lenoir est l’auteur à succès des grands thèmes religieux, excellent vulgarisateur populaire de toutes les questions spirituelles de notre époque. Dans ce gros livre fort intéressant, aux pages d’une écriture serrée, il survole les différentes conceptions religieuses qui ont traversé les siècles et perdurent actuellement, quoi que l’on dise de l’état d’incroyance de notre peuple. Il faut reconnaître qu’écrit il y a 20 ans, il présente comme actuelles des questions comme celles du New Age, des statistiques et des sondages aux chiffres aujourd’hui bien différents, des personnages comme le pape Jean-Paul II et Mgr Lefebvre dont on ne parle plus guère, mais ignore des penseurs actuels importants comme Paul Tillich et les théologiens du Process. Mais ceci ne retire rien à son caractère fort instructif.
En voici des passages.
L’individualisation du religieux – L’horizon des quêtes spirituelles contemporaines
Accomplissement de soi
Nos contemporains ne croient aujourd’hui pas plus en un salut dans l’au-delà qu’à un salut terrestre collectif séculier. Reste la possibilité d’un salut individuel ici-bas, c’est-à-dire la possibilité d’un bonheur que chacun pourrait trouver en se réalisant soi-même. La seule révolution possible susceptible de nous rendre véritablement heureux apparaît comme une révolution intérieure, ce qu’a toujours affirmé le bouddhisme et ce que scandent tous les livres du Dalaï-Lama.
[…]Le succès du bouddhisme en Occident découle pour une bonne part de cette thématique de l’accomplissement de soi qui est devenue centrale dans l’ultramodernité. D’un point de vue laïque, la recherche d’une réalisation personnelle peut s’exprimer de nombreuses manières : dans la vie affective et familiale, dans l’organisation d’un cadre et d’une qualité de vie, dans un engagement social et politique, dans une vie culturelle, etc. Dans une perspective religieuse, elle se manifestera aussi sous diverses formes qui vont de la méditation orientale comme technique de connaissance et d’accomplissement de soi aux nombreuses thérapies psycho-spirituelles de développement personnel, en passant par une conception charismatique de la vie régénérée qui permet à l’individu de « renaître » dans l’Esprit saint et de récapituler toute sa vie à la lumière de sa foi nouvelle. Quel que soit l’opérateur de l’accomplissement personnel — le travail sur soi, la méditation, la foi —, l’objectif poursuivi reste toujours le même : être heureux ici-bas.
La globalisation du religieux – Projection planétaire et circulation du religieux
Le monde comme unité
On assiste ainsi à un véritable chassé-croisé où des courants religieux les plus divers circulent entre tous les continents. À partir des années 60, l’immigration en provenance des pays du monde arabe, d’Afrique noire, de Turquie et de l’Asie centrale et orientale a eu pour conséquence l’implantation de l’islam et du bouddhisme dans bon nombre de pays occidentaux. Les jeunes Anglais, Allemands ou Français fréquentent quotidiennement à l’école des enfants de religions autres que le judaïsme et le christianisme de leurs parents, ce qui constitue un fait très nouveau. Par ailleurs, l’élévation générale du niveau culturel lié à la scolarisation, la multiplication des sources d’information, ou encore la démocratisation des voyages à l’étranger offre aux individus une palette de plus en plus large des cultures religieuses.
Simplification et standardisation des croyances
Ainsi voit-on pulluler en Occident des formes diverses de techniques de méditation qui n’ont plus grand-chose à voir avec la complexité des méthodes orientales d’où elles sont tirées et qui ne pouvaient, dans un contexte traditionnel, s’apprendre que sous le contrôle d’un maître expérimenté.
Religions historiques : réactions conservatrices et conflits politiques – Les théologies de la guerre civilisationnelle
Armageddon : le combat final
On estime aujourd’hui à près de deux cents millions le nombre d’individus born again, même si tous ne sont évidemment pas des radicaux.
Le livre de Hal Lindsey, Feu la planète Terre (The Late Great Planet Earth), a été vendu à près de dix millions d’exemplaires lors de sa parution en 1970. L’auteur évoque les tourments que l’humanité va vivre avant la grande bataille de l’Armageddon. Ce fondamentaliste protestant est en même temps un cas typique de ce que l’on appelle le sionisme chrétien (christian zionism) qui est l’un des traits marquants de cette sensibilité politico-religieuse. Pour lui aussi pour Billy Graham, Pat Robertson, etc.), la fondation de l’État d’Israël créé en 1948 est avant tout un signe éminent qui annonce l’Armageddon et le retour du Christ qui s’ensuivra. C’est « le signe des temps » le plus révélateur que l’humanité approche du dénouement. Malgré une idée tenace, le premier groupe de pression aux États-Unis qui soutient l’État d’Israël n’est pas un groupe de pression issu de la communauté juive, mais des franges radicales de la société protestante fondamentaliste.
Le phénomène sectaire – Qu’est-ce qu’une secte ?
Dangerosité des sectes… et des amalgames
Ayant enquêté pendant dix-huit mois en Europe en Amérique du Nord sur le phénomène sectairej’ai constaté avec surprise, contrairement au préjugé du discours politique et médiatique ambiant que les groupes qui ont fait l’objet de dérives ou de condamnations judiciaires ne sont qu’une poignée.
[…]Le sommet de cette confusion a été atteint en France en 1995 — en plein cœur de cette série de dérives meurtrières — avec la publication d’un rapport parlementaire sur les sectes, accompagné d’une liste de 172 mouvements. Établie à partir de notes superficielles des Renseignements généraux, sans enquête audition contradictoire, cette « liste noire » est un remarquable exemple d’amalgame où se côtoient, à côté d’un groupe meurtrier comme l’OTS et de deux ou trois groupes bien connus qui ont fait l’objet de condamnations par les tribunaux, des mouvements d’une grande diversité (Église pentecôtiste, centre bouddhiste, groupe New Age, etc.) dont la présence sur la liste se justifie finalement du seul fait qu’ils ont été signalés comme « sectaires » par d’anciens membres ou des familles d’adeptes.
[…]Malheureusement, peu de médias et encore moins de politiques ne font l’effort d’une véritable investigation. La plupart se contentent de surfer sur l’émotion et de publier de telles listes sans esprit critique, prenant pour argent comptant la rhétorique du « lavage de cerveau » et les clichés véhiculés par certaines associations antisectes qui ont retrouvé une nouvelle légitimité avec cette succession de drames.
La modernité et la religion revisitées – Le sujet religieux moderne
Qu’est-ce que le religieux ?
Certains croient en Dieu, d’autres non. Certains croient en une vie après la mort, d’autres pas. Certains ont des pratiques ou des rituels personnels ou communautaires, d’autres aucun. Mais toutes les personnes que j’ai pu rencontrer en quinze ans d’enquêtes de terrain croient toutes, d’une manière ou d’une autre, qu’il existe une pluralité de niveau de réalité et un ordre de réalité suprasensible, et certaines affirment en avoir fait l’expérience (par la méditation ou une expérience du sacré qu’on pourrait qualifier de type « numineuse » selon la définition donnée par Otto). Les adeptes de l’astrologie peuvent ne croire ni en Dieu ni en Diable, mais sont convaincus que le cosmos est un cosmos vivant, habité de flux subtils invisibles. Les lecteurs les plus fans de Paulo Coehlo pensent de même qu’une force invisible traverse l’univers et croient en une sorte de divin impersonnel.
Les nouvelles figures du divin – Du Dieu personnalisé au divin impersonnel
Philosophies et théologies négatives
Pour les tenants du courant apophatique, la Réalité ultime n’est pas le Dieu personnalisé ou « L’Être suprême » des métaphysiciens et des théologiens. Cette Réalité ultime originelle (l’arché des philosophes grecs) est au-delà de l’Être, de l’existence, de la manifestation. La critique apophatique entend déconstruire de manière radicale tous les processus rationnels de chosification, de réification du divin.
[…]La méthode apophatique consiste à retrancher de nos discours sur Dieu les prédicats que nous lui attribuons : il n’est ni ceci ni cela.
[…]La théologie mystique apophatique entend guider les pas de l’initié vers un mystère, celui de l’essence divine. Prenant acte de l’impossibilité de déterminer par nos concepts le Principe premier, elle refuse les prétentions objectivantes de la théologie positive. « Sans cette priorité de l’apophatique, souligne l’historien de l’Islam spirituel Henry Corbin, […] on ne fait qu’accumuler sur la divinité des attributs créaturels […]. Alors le monothéisme périt dans son triomphe, dégénère en l’idolâtrie qu’il voulait farouchement éviter. Ce fut le sort des théologies affirmatives, quand elles se coupèrent et s’isolèrent du château fort de la théologie apophatique. »
Du Dieu extérieur au divin en soi
Les croyants les plus investis dans une spiritualité, que ce soit au sein ou en dehors des voies traditionnelles, veulent ainsi se démarquer d’une pratique « extérieure » de la religion qui se caractérise par l’observance. On entend non seulement dépasser le conformisme religieux, le ritualisme, une pratique impulsée par un simple sentiment identitaire, en s’impliquant « personnellement », en redécouvrant le sens profond et la symbolique du rituel, mais aussi réaliser une expérience personnelle et intérieure du divin.
http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-interreligieux/i359.htm