Des religieux s’enchaînent à une passerelle parisienne pour protester contre le projet d’oléoduc de Total en Ouganda.
Jeudi 25 mai, environ 80 croyants de différentes traditions ont bloqué la passerelle Léopold-Sédar-Senghor (VIIe arr., Paris) pour exiger l’abandon immédiat des projets pétroliers meurtriers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie.
Au nom de leurs croyances et de leur foi, deux rabbins, deux pasteurs, un maître et une nonne bouddhistes, un prêtre jésuite, un évêque émérite et un penseur musulman se sont enchaînés d’un garde-corps à l’autre de la passerelle parisienne.
Par ce blocage, ces neuf personnalités religieuses entendaient dénoncer le projet d’oléoduc East African Crude Oil Pipeline (EACOP) et le nouveau gisement pétrolier de Tilenga, tous deux principalement détenus par la multinationale française TotalEnergies.
Cette action a eu lieu à la veille de l’assemblée générale annuelle de TotalEnergies, du vendredi 26 mai à Paris.
Arrivés vers 11h30 sur le pont, les croyants ont bloqué la circulation des piétons et des cyclistes pendant 1443 secondes (soit 24 minutes), pour symboliser les 1443 kilomètres du futur gazoduc.
Près de soixante-dix croyants étaient également présents aux côtés des neuf personnalités religieuses.
Certains portaient une banderole représentant un gazoduc noir. On pouvait y lire en grandes lettres blanches : « Dans les tuyaux de Total, coule la mort », en référence au célèbre vers du poète français Guillaume Apollinaire, « Sous le pont Mirabeau coule la Seine ».
Une autre banderole indiquait « Croyant-es, corps et âme contre EACOP », pour souligner leur engagement physique et spirituel contre le projet TotalEnergies.
Assis à même le sol, d’autres croyants brandissaient des pancartes affirmant que « 1 x EACOP = 2 x LA SEINE ». En effet, s’il est construit, le gazoduc EACOP (1443 km) sera presque deux fois plus long que la Seine (777 km).
C’est la première fois en France que des personnalités religieuses bloquent un espace public pour dénoncer les projets pétroliers EACOP et Tilenga.
Les neuf personnalités religieuses appartiennent aux traditions bouddhiste, chrétienne, juive et musulmane :
- Yeshaya Dalsace, rabbin de la communauté Massorti Dor Vador (Paris) ;
- Gabriel Hagai, rabbin orthodoxe ;
- Caroline Ingrand-Hoffet, pasteure de la paroisse protestante de Kolbsheim (Alsace) ;
- Olivier Reigen Wang-Genh, maître bouddhiste zen, ancien président et coprésident de l’Union bouddhiste de France (2007-12, 2015-18, 2019-21) ;
- Père Marcel Rémon, S.J., directeur du Centre de recherche et d’action sociales (CERAS) et de la Revue Projet ;
- Mgr Marc Stenger, évêque émérite, ancien évêque de Troyes (1999-2020) ;
- Otto Schaefer, pasteur retraité de l’Église protestante unie de France (EPUdF – 1987-2018) ;
- Kankyo Tannier, nonne bouddhiste zen, conférencière et auteure internationale ;
- Ousmane Timera, penseur musulman.
Pour cinq d’entre eux, il s’agit de la deuxième action illégale non violente contre l’EACOP. Le 20 novembre dernier, Yeshaya Dalsace, Caroline Ingrand-Hoffet, Olivier Reigen Wang-Genh, Marc Stenger et Kankyo Tannier ont participé à une manifestation non déclarée devant une station TotalEnergies à Paris.
Ces modes d’action visent à souligner l’urgence et à appeler à un éveil des consciences pour la justice et le bien de tous les êtres vivants.
S’il est achevé, l’EACOP sera le plus long oléoduc chauffé du monde, s’étendant sur 1 443 km de l’Ouganda au port de Tanga en Tanzanie. Tilenga sera un champ pétrolier avec 426 puits, dont 132 seront situés dans le parc naturel des chutes de Murchison en Ouganda.
Les participants à l’action du 25 mai considèrent ces projets comme immoraux et contraires à leurs valeurs : TotalEnergies s’attaque à la justice climatique, aux droits de l’homme et à la biodiversité.
– JUSTICE CLIMATIQUE – En provoquant l’émission de 379 millions de tonnes d’équivalent CO2, EACOP et Tilenga vont aggraver le dérèglement climatique, auquel des pays comme l’Ouganda et la Tanzanie sont parmi les plus vulnérables.
– DROITS DE L’HOMME – Ces projets exproprient plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie. Leur indemnisation a été tardive, insuffisante et inadéquate. L’opposition locale est réprimée.
– BIODIVERSITÉ – L’oléoduc EACOP doit traverser de nombreux écosystèmes riches et fragiles. L’exploitation de Tilenga dans le parc naturel des chutes de Murchison met en danger des espèces menacées et entraîne déjà une altération permanente du parc.
Avec ces projets, TotalEnergies contredit directement les données scientifiques du GIEC et les études de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), selon lesquelles aucun projet d’énergie fossile ne devrait être développé après 2021.
Le 7 mai 2023, un collectif de 188 scientifiques et experts a appelé dans Le Monde « les actionnaires de TotalEnergies à voter contre la stratégie climatique de la firme », dénonçant la « bombe carbone » que représente l’EACOP.
Lors de l’assemblée générale de TotalEnergies, les actionnaires devaient être appelés à se prononcer sur la stratégie climatique de l’entreprise, qui n’a toujours pas été mise en œuvre.
Cet événement est organisé par l’ONG interconfessionnelle GreenFaith en partenariat avec Extinction Rebellion Spiritualities (XR Spi), la branche interconfessionnelle d’Extinction Rebellion.
Source : https://greenfaith.org/press-release-body-soul-against-eacop/
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Extrait de l’article publié dans Golias Hebdo n°772, p.6
Le 26 mai, des manifestations marquaient l’assemblée générale de TotalEnergies. Les rues qui y menaient étaient envahies de militants de nombreuses associations et d’organisations citoyennes. Les actionnaires devaient se glisser entre les protestataires, voire les enjamber pour accéder au rendez-vous que leur avait donné la direction du géant du gaz et du pétrole. Des chevelures d’un blanc éclatant, des pulls de bon aloi noués sur les épaules, certains insultaient une eurodéputée (« Vous êtes de la merde ! »), d’autres menaçaient du poing une foule de militants allongés au sol pour leur rendre plus difficile l’accès à la réunion d’actionnaires…
Ces images de violence et d’arrogance ont beaucoup circulé sur internet. Ainsi que des déclarations d’une grande naïveté, comme celle d’une retraitée au brushing impeccable et à la toilette sobrement bourgeoise, qui avouait : « Je ne travaille pas, je suis actionnaire ! » Quand une autre, sac Vuitton en bandoulière et tailleur bien coupé, a été repérée en train d’enjamber s’agrippant à une barrière de travaux publics. « On s’en fout de votre climat ! », lançait un retraité chic et rasé de frais, que la colère faisait frémir.
Un front commun de la société civile
Les militants n’ont pas réussi à empêcher la tenue de cette grande messe du dividende et des petits fours organisée chaque année par les firmes cotées en Bourse, mais leur action a fonctionné comme un révélateur de l’aveuglement des riches petits hommes gris et des femmes élégantes que l’on imagine facilement partager leur temps entre le huitième arrondissement de Paris, La Baule en été et Courchevel ou Saint-Moritz en hiver. Ils faisaient face à un front commun de la société civile : le collectif #StopTotal, 350.org, les Amis de la Terre, Alternatiba Paris, Bloom, GreenFaith et le Mouvement Laudato Si ‘. Ce dernier a été fondé pour faire vivre l’encyclique du même nom édictée par le pape François sur la nécessité de défendre la biodiversité et l’écosystème. Ils étaient venus dénoncer la politique de production pétrolière et gazière de Total, qui aggrave le réchauffement climatique.
L’exploitation des énergies fossiles « menace toute vie organisée sur Terre d’ici la fin du siècle », souligne l’intellectuel Noam Chomsky, qui a très tôt joint une conscience écologique à son combat politique commencé dans les années 1960. « TotalEnergies est l’une des vingt entreprises fossiles ayant le plus contribué au dérèglement climatique depuis 1965 et qui continue aujourd’hui à produire 447 unités d’énergies fossiles pour une seule d’énergie renouvelable », relève Martin Kopp, porte-parole de GreenFaith, une ONG interreligieuse partenaire d’Extinction Rébellion, mouvement écologiste transnational qui s’est fait connaître par ses actions spectaculaires pour éveiller les consciences à l’urgence climatique, notamment l’interruption du trafic routier. Pire, pour Martin Kopp, « Total continue d’investir massivement dans le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles ». Aggravant encore le danger d’une perte totale de contrôle du climat.