Didier Vanhoutte.
Proposons tout de suite une réponse (la conclusion ?), parce qu’elle est peut-être tellement évidente qu’elle est nécessaire dès l’abord. Partons de l’Ancien Testament, magnifique épopée redevable à sa myriade d’auteurs inspirés… Les « trompettes de Jéricho », on se souvient, n’est-ce pas ? La place est tombée parce qu’on a explosé ses murailles. Avec de la poudre ? Évidemment, non, elle n’existait pas encore. Incroyable ! à coups de trompe à l’extérieur de la ville, à bon entendeur, salut ! Oser le bruit, le scandale, dehors, car, on le sait, les révolutions de palais ne mènent pas très loin ; on change la mise en scène, les décors, les personnages principaux, les costumes, les critiques, la « Petite musique de nuit », mais tout reste comme par devant… « Ris donc, parterre ! »
Alors, on ne peut pas changer l’Église catholique de l’intérieur ? Cela paraît bien peu probable. Tant de vrais fidèles, sentant la nécessité de remettre au centre du jeu les fondements du message évangélique, s’y sont essayés sans être écoutés par les caciques du système, qui tendent à faire leur la devise française de la Couronne néerlandaise, Je maintiendrai. Souvenez-vous de quelques-uns d’entre eux, membres d’une nuée : l’abbé Grégoire, Gilbert de Lamennais, Henri-Dominique Lacordaire, Alfred Loisy, Marc Sangnier, Teilhard de Chardin, Jacques Maritain, Emmanuel Mounier, Helder Camara, Oscar Romero, et, toujours parmi nous, Gustavo, Gutiérrez, Leonardo Boff, José Tamayo. Impossible de nommer la foule de ceux, y compris des réformés, qui ont passé leur vie à tenter de changer le dogmatisme chrétien. Et, bien sûr, n’oublions pas Jacques Gaillot. Tant de groupes admirables, au pinacle desquels il faudrait placer les « prêtres-ouvriers » autant que les militants de la « Théologie de la libération », se sont donné ce même objectif. On a même cru un temps que cette Église allait changer vraiment de bord avec la réunion, voulue par le pape Jean XXIII, du Concile Vatican II… Mais, encore une fois, on n’a jusqu’à présent eu que les soubresauts d’une dérisoire… révolution de palais. Les constantes références théologiques et exégétiques de nombreux spécialistes fort estimables ne peuvent rien y changer, car elles utilisent, par force, le même langage. Alors, changeons de langue, référons-nous à la réalité du monde « extérieur », à son « Droit », qui ne peut que finir par l’emporter sur le Droit Canon. Crions par-dessus les toits, où se trouve ce ciel que Verlaine interpelle depuis sa prison. Proclamons le scandale (ce que fit la CIASE). Que nos cris et ceux d’une humanité horrifiée par les trahisons du message évangélique fassent donc tomber les murailles depuis l’extérieur !
Affirmons que les dysfonctionnements ecclésiaux se fondent sur de terribles erreurs dogmatiques qui éclatent dorénavant au grand jour. Et ce n’est souvent que lorsque des étrangers à l’Église choquent les « croyants » par des proclamations qui nient la dialectique en cours dans les cercles sacerdotaux que la machine bien huilée se met à hoqueter. Quelques yeux s’ouvrent alors. La fidélité au système ecclésial (à la « religion ») se met elle aussi à se gripper. L’institution ne parvient pas à réparer les dégâts par les procédures habituelles. La confiance s’étiole, les départs se multiplient, et, dans certains pays, la reconnaissance du catholicisme comme religion nationale finit par perdre son sens. Aujourd’hui, en France, la pratique dominicale régulière (participation à la « Sainte messe ») ne concerne plus que moins de 2 % des citoyens. Dès lors non seulement l’Église tente de retrouver sa place en faisant hypocritement amende honorable ; mais elle peine à trouver le langage de tout le monde et reste enfermée dans sa dialectique sclérosée. Prenons quelques exemples de chocs extérieurs décisifs. Nous connaissons probablement tous l’une des citations les plus célèbres du Capital de Karl Marx, disant que la religion, c’est l’opium du peuple. Toute la lente évolution de la classe ouvrière, et son éloignement progressif du christianisme, doit beaucoup à cette déclaration venue totalement d’ailleurs. Parce qu’elle est indéniable. Attention, il est question de « religion »… Tout le rituel offert à un Dieu tel qu’il est présenté par le clergé, et sous son autorité toute puissante, qui préserve par ailleurs l’organisation globale de la société. Le « sacré », enseigne-t-on, est le seul chemin qui permette de dépasser les malheurs de la pauvreté et de la maladie pour atteindre la vraie vie, celle qui est au-delà de la mort. La vie d’ici-bas, un simple simulacre, alors… Une simple vie de sacrifice, donc, justement dénoncée par Marx.
Nietzsche ira beaucoup plus loin, dans l’éclat de sa pensée, en déclarant que Dieu est mort. Il ne rend pas impossible toute spiritualité, mais nie la possibilité d’un Dieu semblable à celui proposé par le christianisme tel qu’il se présente. Il faut noter qu’il rend un hommage appuyé à Jésus le Nazaréen, ne niant certainement pas la force de son message, bien entendu trahi. Nietzsche est évidemment voué aux gémonies par l’institution catholique. Mais des chrétiens de la mouvance progressiste apprécieront à leur juste valeur les propos du philosophe, qui vont pourtant provoquer ailleurs un tollé. Parmi ceux qui approuveront les mots de Nietzsche, citons Jean Cardonnel, qui a peut-être à cause de cela été si mal traité par la communauté dominicaine à la fin de sa vie. Il publie en 1968 un livre magnifique : Dieu est mort en Jésus-Christ. On devine la manière dont il a été reçu par le catholicisme réglementaire… C’est une quasi-introduction au postthéisme, qui nie le « theos » (venu des cultures grecque et juive), pour se mettre en quête de cet Autre probable, horizontal et discret, présent en tous et partout.
Le monde extérieur ne fait pas exploser le christianisme traditionnel seulement par les mots, les textes, la pensée, mais aussi par les faits. En France, on a évoqué la CIASE, qui se réfère aux abus sexuels commis par des prêtres, cette classe supérieure supposée être l’intermédiaire entre Dieu et nous. Il faudrait ajouter, dans certains pays, les orphelinats, les maisons pour les filles-mères, certaines congrégations féminines où des prêtres débauchés avaient leurs entrées. Parlons de l’Irlande et du Québec. Tous deux étaient des terres dans lesquelles le catholicisme était tout puissant. Les méfaits de l’institution catholique ont mis totalement à terre la pratique religieuse au Québec. Et en Irlande, l’incroyable est survenu : l’institution catholique avait réussi à maintenir une forte influence politique en s’opposant avec la plus grande énergie à l’autorisation, par la loi, du divorce et de l’avortement. Mais la révélation des tragiques méfaits dont l’institution catholique est apparue responsable a fait majoritairement basculer les catholiques de l’autre côté. Les citoyens de la République d’Irlande ont, de cette manière, totalement bousculé le paysage politique, et d’un seul coup, l’institution catholique s’est trouvée sévèrement déconsidérée. La pratique a non seulement été mise à terre, mais, par la force des choses, le dogme jusque-là imposé fut clairement contesté par les fidèles. Qu’est-ce qu’ils nous ont fait croire pendant si longtemps ? Il faudrait aussi parle de l’Allemagne où de nombreux citoyens renient leur appartenance au catholicisme, de l’Espagne, où la complicité de l’institution catholique avec les restes du franquisme crée une profonde fracture interne et pousse de nombreux catholiques à militer ardemment pour la laïcité. L’Église américaine est elle aussi partagée, à l’image de la béance politique qui menace le pays et la prochaine réunion de l’épiscopat américain promet d’être torride.
Il est clair que les événements qui secouent nos sociétés, dans tous les domaines, se répercutent au sein du catholicisme, qui ne peut plus, de ce fait, se conformer seulement à sa propre loi interne. Cette situation réussit ce que toutes les réflexions théoriques les plus courageuses n’ont pu obtenir de l’institution. Parce que les faits sont têtus, et qu’au lieu de dicter sa loi au monde qui l’entoure comme c’était l’usage depuis des siècles, le catholicisme se voit obligé d’aller à son tour à Canossa (sic), ce qui est, au fond, à l’opposé de la raison d’exister qu’il s’est donnée. Cette réalité s’expose crûment. Même si tout est fait pour contourner l’obstacle depuis l’intérieur, comme d’habitude, synodes à l’appui, sacerdoce pour les femmes comme cerise sur le gâteau, le ver est dans le fruit (depuis longtemps…) et, bon gré mal gré, la loi pour tous finira par s’imposer à la classe cléricale, qu’elle le veuille ou non. Sa raison d’exister aura alors perdu toute substance, puisque les clercs deviendront des citoyens lambdas. Cet ordinaire ne pourra plus être l’Église dictant SA vérité au monde, et la définition de Dieu qu’elle imposait pour ce faire n’aura plus guère de substance.
Les trompettes de Jéricho auront eu raison, depuis l’extérieur, dans un langage qui est le leur, de tous les simulacres ecclésiaux que la généreuse rhétorique de l’opposition interne ne peut réussir à vaincre. Et réapparaîtra le Jésus dont Cardonnel disait qu’il avait fait disparaître le Théos. Mais il n’est certainement pas le seul à dessiner un Jésus autrement qu’à la manière dont l’épiscopat et ses valets le représentent depuis Nicée (et même avant). Henri Guillemin a écrit un brûlot peu avant sa mort, L’Affaire Jésus. Il y décrit avec fiel et véhémence, désespéré, la trahison dont Jésus a été l’objet. Depuis toujours… C’est un fait, deux millénaires après l’exécution de Jésus, presque tout reste à faire. Presque. Parce que, tout au long de ces vingt siècles, d’authentiques témoins, passionnés par le message, ont tout risqué pour le transmettre. La preuve puisqu’il est toujours au cœur de nos débats.
Source : Golias Hebdo n° 777, p. 2.
Vous avez appris qu’il a été dit :
L’Esprit souffle sur vous, hommes du large :
Jetez en nous le désir de Dieu
Et relancez notre marche !
Mais je peux dire aussi :
L’Esprit souffle sur vous, hommes du large :
Que l’Esprit nous jette dans le désir de Dieu
Et relance notre marche !
Vous avez appris qu’il a été dit :
L’Esprit souffle sur vous, hommes du large :
Jetez en nous le désir de Dieu
Et relancez notre marche !
Mais je peux dire aussi :
L’Esprit souffle sur vous, hommes du large :
Que l’Esprit nous jette dans le désir de Dieu
Et relancez notre marche !