Gaillot et la méthode Jésus
Christiane Bascou.
Lors d’une rencontre nationale des prêtres-ouvriers en 2022, j’ai pu observer Jacques Gaillot, qui était aussi invité, écouter l’un, l’une ou l’autre, comme un ami, un voisin, lui dire un mot tout simple : « Tu es trop maigre, il faut te remplumer », semant des sourires. À un moment, passant près de moi, il m’a glissé : « Heureusement que Parvis existe » et ça m’a fait du bien. Pour son intervention, il a commencé par « Moi, je vis dans un EHPAD » ! Ce lieu d’exclusion sociale par excellence, ex æquo avec le squat et la prison ! Il l’a simplement remis à sa place : un lieu comme un autre pour la rencontre, la fraternité, le Royaume, grâce à la méthode Jésus ! Mais comment ça marche ?
1/ À partir d’une situation de confort, atelier d’artisan bien implanté ou chaire d’évêque, deux hommes, à deux mille ans de distance, commencent à regarder vraiment les autres, tou.te.s les autres et la société de leur temps, en ôtant les lunettes à filtres identitaires et hiérarchiques portées jusqu’alors. C’est ainsi que Jésus, assis sur les marches du Temple, peut voir la veuve qui rase les murs face à l’aumône du riche qui redorera le blason du Temple religieux, et Gaillot saluer le chauffeur de la limousine avant de s’adresser à Monsieur le Ministre.
2/ Ce qui frappe quand on aborde Jésus ou Gaillot, c’est qu’ils sont totalement accessibles, en décalage complet avec l’image d’un Messie Divin ou d’un prélat catholique. Tous deux ont non seulement ce regard qui fait exister l’autre, mais ils attendent quelque chose de lui et d’elle en retour – Donne-moi à boire –, ils prennent le risque d’être mis en question : Et toi, que penses-tu ? Qui dis-tu que je suis ? Veux-tu guérir ?
3/ Ce regard qui les rend accessibles donc vulnérables les entraîne hors de leur cercle habituel : Jésus s’invite chez les publicains, au puits de la Samaritaine, aux marges, Jacques va manger la soupe chez des ouvriers d’Évreux qui ont des problèmes et l’invitent pour en parler (ils me l’ont raconté sous la pluie le jour de sa dernière messe là-bas).
4/ Les voilà qui privilégient l’humain sur tout le reste, ils rejoignent l’autre dans ce qui est le plus important, être reconnu (dixit Gaillot). Alors que les « grands » veulent que soient reconnus leur statut, leur rang, leur valeur monétaire ou intellectuelle, signes extérieurs de pouvoir qui font d’eux des « influenceurs », les « petits » se voient privés de la reconnaissance de leur humanité même : outils de production, statistiques de chômage ou de migrations, clichés, leur vie ne pèse pas lourd dans la balance de l’ordre public.
5/ Alors, contre l’injustice aux plus « petits », Gaillot, à la suite de Jésus, s’engage peu à peu, mais de plus en plus déterminé, défiant le qu’en-dira-t-on et allant comme Jésus transgresser les tabous implicites de sa société : ce dernier a tendu la main aux lépreux ? Gaillot la tend aux sidéens. Jésus reconnaît aux femmes le droit à l’égalité de traitement dans le mariage ? Gaillot leur reconnaît le même droit dans l’Église et les ministères. Jésus voit la transcendance au cœur de l’humain et le Divin dans le ou la plus impur.e (blasphème !), alors Gaillot, qui prend Jésus au mot et les Béatitudes au pied de l’Esprit, les voit dans le détenu, la femme iranienne « grillagée », le Palestinien expulsé, la communiste et le lecteur de la revue Gai Pied.
6/ Cette dynamique de la méthode Jésus sans violence est plus que libératoire, car elle repousse toutes les limites sociales et religieuses : au profit de la rencontre (la Cananéenne pour Jésus et les musulmans d’Algérie pour Jacques par exemple), où chacun trouvera Dieu par-delà sa croyance « en Esprit et en Vérité », c’est-à-dire dans sa propre vie. Pour ceux qui les croisent, la méthode Jésus est lisible, car on y voit se vivre le message. Elle est prophétique, car elle ouvre l’avenir : reconnu.e dans son être unique, précieux, celui ou celle qui était mort.e socialement retrouve l’énergie, le sens de sa vie, la capacité à reconnaître à son tour l’autre dans son altérité radicale, ses dons, son être sacré. Enfin, elle rejoint les vrais problèmes des gens, suscitant une communauté d’idéal par identification avec l’idée de justice et d’épanouissement pour tous.
7/ C’est pourquoi Jésus a été reconnu par les étrangers, les ennemis, les non-croyants, symbolisés par le soldat romain déclarant à sa mort : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Mt 27,54). Idem pour Gaillot dont le rayonnement a été mondial, c’est un fait.
Ainsi, la méthode Jésus n’a rien à voir avec la connaissance, la morale, le dogme, l’institution, et tout à voir avec la conversion du rapport à l’autre comme expérience même du Divin, que tout un chacun peut constater, adopter, propager. L’expérience est reproductible et ça marche !
On est sur la bonne Voie… et la Voie est libre !
Source : Les réseaux des Parvis n°118 https://www.reseaux-parvis.fr/2023/08/21/revue-reseaux-des-parvis-n-118-septembre-octobre-2023-jacques-gaillot-une-vie-au-gout-devangile/