Leonardo Boff.
Nous sommes au cœur d’un conflit profondément disproportionné entre Israël et le Hamas, avec des actes de terrorisme en Israël commis par un groupe du Hamas le 7 octobre et les représailles qui s’en sont suivies de la part du gouvernement israélien, dirigé par le sioniste Benjamin Netanyahu, si violentes qu’elles ont été dénoncées comme un génocide. (…) Après des bombardements qui ont dévasté les principaux centres et des centaines de maisons palestiniennes, l’armée israélienne a lancé une dangereuse invasion terrestre de la bande de Gaza. Comme on le sait, dans de tels cas, il y a un nombre incalculable de victimes des deux côtés. Certains désespèrent de leur foi en un Dieu juste et bon (« Seigneur, où es-tu ? Pourquoi permets-tu tant de destructions ? ») et en l’humanité elle-même, aujourd’hui totalement niée. Il ne s’agit plus d’une guerre, mais de véritables crimes de guerre et d’un véritable génocide du peuple palestinien.
Pourtant, nous continuons à croire qu’il peut y avoir une humanité surprenante entre Palestiniens et Juifs. Voici deux témoignages, l’un d’un Palestinien et l’autre d’un Israélien. Le premier a été rapporté par le journaliste espagnol Ferrán Sale dans le journal El País du 7 juin 2001, et le second, j’en témoigne moi-même.
Voici le premier : Mazen Julani était un pharmacien palestinien de 32 ans, père de trois enfants, vivant dans la partie arabe de Jérusalem. Le 5 juin 2001, alors qu’il prenait un café avec ses amis dans un bar, il a été mortellement abattu par un colon juif. Il s’agissait d’une vengeance contre le groupe palestinien Hamas qui, 45 minutes plus tôt, avait tué de nombreuses personnes dans une discothèque de Tel-Aviv lors d’un attentat à la bombe. La balle a pénétré dans le cou de Mazen et lui a brisé le cerveau. Il a été immédiatement transporté à l’hôpital israélien Hadassa où il est arrivé mort.
Dans les couloirs de l’hôpital, le clan Julani a décidé de faire don de tous les organes de leur fils décédé : son cœur, son foie, ses reins et son pancréas, pour qu’ils soient transplantés à des patients juifs. Le chef du clan a précisé au nom de tous que ce geste n’avait aucune connotation politique. Il s’agissait d’un geste strictement humanitaire.
Selon la religion musulmane, a-t-il dit, nous formons tous une seule famille humaine et nous sommes tous égaux, Israéliens et Palestiniens. Peu importe à qui les organes doivent être transplantés, l’essentiel est qu’ils contribuent à sauver des vies. C’est pourquoi, a-t-il conclu, les organes iront à nos voisins israéliens.
La femme de Mazen a eu du mal à expliquer à sa fille de quatre ans la mort de son père. Elle s’est contentée de lui dire que son père était parti en voyage au loin et qu’à son retour, il lui apporterait un beau cadeau. Aux personnes qui se trouvaient à proximité, elle a chuchoté, les yeux remplis de larmes : « Dans quelque temps, mes enfants et moi irons rendre visite à Ygal Cohen dans la partie israélienne de Jérusalem. Il vit avec le cœur de mon mari et père de mes enfants. Ce sera un grand réconfort pour nous de poser notre oreille sur la poitrine d’Ygal et d’écouter le cœur de celui qui nous a tant aimés et qui, d’une certaine manière, bat encore ».
Le paradis n’est pas perdu
Ce geste généreux montre que le paradis n’est pas totalement perdu. Au milieu d’une atmosphère très tendue et haineuse, comme c’est le cas aujourd’hui, une fleur d’espoir et de paix émerge. La conviction que nous sommes tous membres de la même famille humaine nourrit des attitudes de pardon, de réconciliation et de solidarité inconditionnelle. Au cœur de tout cela, il y a un amour qui transcende les frontières de la religion, de la race et de l’idéologie politique. Ces vertus nous font croire à une possible culture de la paix.
Dans l’imagination de l’un des interprètes les plus perspicaces de la culture brésilienne, Gilberto Freyre, notre essai de civilisation, malgré les nombreuses contradictions, a consisté à créer un peuple capable de vivre ensemble avec les positivités de chaque culture et avec un énorme potentiel pour gérer les conflits (Casa Grande et Senzala).
Le second témoignage vient d’un Israélien et j’en ai été personnellement témoin à Stockholm à l’occasion de la remise du prix « The Rigth Livelihood Award », considéré comme le prix Nobel de la paix alternatif, au début du mois de décembre 2001, lorsque, entre autres, j’ai moi-même été nominé. L’un des lauréats a impressionné tout le monde. Il s’agissait du témoignage d’un officier supérieur israélien, chargé de la répression des Palestiniens. Il a été blessé au cours d’un affrontement. Un Palestinien lui a rapidement porté secours et l’a emmené dans sa jeep à l’hôpital palestinien. Il l’a accompagné jusqu’à sa guérison.
De retour en Israël, cet officier a créé une ONG pour le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Une telle initiative a été considérée comme de la haute trahison et il a été traduit devant un tribunal militaire, car il s’agissait d’établir un dialogue avec l’ennemi. Mais il a finalement été gracié, a poursuivi son dialogue et a finalement été récompensé pour sa persévérance dans la recherche de la paix entre Juifs et Palestiniens.
Un bon samaritain
Ici, une fois de plus, la capacité de l’homme à aider une personne blessée, qui le retenait, se manifeste, comme le Bon Samaritain dans la parabole de Jésus. Il a reconnu en lui un être humain qui avait un besoin urgent d’aide.
« L’amour et la solidarité appartiennent à l’essence de l’être humain et sont inscrits dans notre ADN ».
Nous avons répété à plusieurs reprises dans nos interventions que l’amour et la solidarité font partie de l’essence de l’être humain et sont inscrits dans notre ADN. Cela étant, nous ne pouvons pas désespérer face à la cruauté et à la barbarie dont nous sommes témoins dans les guerres d’aujourd’hui. Elles sont aussi le possible du côté négatif de notre « condition humaine ». Mais nous ne pouvons pas les laisser prévaloir, sinon nous nous dévorerons les uns les autres.
Ces deux exemples sont l’expression de notre humanité dans l’un des moments les plus sombres de notre histoire actuelle. Ils nous donnent de l’espoir, c’est-à-dire l’invention de conditions réelles qui garantissent l’amour et la solidarité présents en chacun de nous. Ce sont elles qui nous permettent de vivre ensemble pacifiquement et qui, en fin de compte, nous sauveront.