De la mort à la vie
Michel Deheunynck.
Au sortir d’une réunion d’échange et de partage où nous avions évoqué plusieurs défunts récents et, bien sûr, prié pour eux, une jeune femme, heureuse d’y avoir participé pour la première fois, me dit : « Mais je ne comprends pas pourquoi on prie pour les morts. C’est pour nous, les vivants, qu’il faut prier ! »…
Autant, en effet, notre prière mérite d’être nourrie de ce que nous avons vécu avec ceux qui ne nous ont pas tant « quitté » que cela, autant on pourrait penser qu’ils sont désormais mieux à même, dans cet « au-delà » qui nous échappe mais qui est le leur, de prier pour nous.
C’est ainsi que je m’interroge sur certains rituels des célébrations d’obsèques où on multiplie les gestes de dévotion sur le corps qui avait été celui du défunt, bien qu’intégrant dans la foi que, par sa mort le défunt n’est plus dans ce corps. Certes, son corps a été un support relationnel majeur de ce que nous avons vécu avec lui, mais quelques photos le représentant bien vivant et actif avec nous seraient sûrement plus évocatrices de cette vie partagée et que nous voulons mener plus loin, même autrement, avec lui.
De même, autant la célébration du Nazaréen toujours bien vivant parmi nous est une fête de la vie, de notre vie croyante dans son amour partagé, autant sa vénération dans une boîte (tabernacle, ciboire, ostensoir) où il est comme inhumé peut paraître signe d’une nostalgie endeuillée.
La mort n’est pas seulement une étape ultime de la vie, mais elle est dans chaque étape de la vie. En naissant, le nouveau-né humain meurt à sa vie d’être aquatique pour s’approprier notre statut d’être aérien. En respirant le même air que nous, il est pleinement des nôtres. Les cellules de son corps vont mourir et se renouveler sans cesse, dans la solidarité entre elles, ce qui définit la vie biologique. De même, son corps social devra mourir au bébé qu’il était pour grandir dans une vie toujours renouvelée par la rencontre des autres et le compagnonnage en humanité avec eux.
Dans ce rapport aux autres, pour exister pleinement et être contributif avec sa différence, il aura à faire valoir des choix qui soient les siens, à ne plus être tout à fait ce qu’il était hier pour être déjà un peu plus ce qu’il sera demain. Ainsi va notre vie où tout ce qui meurt est réinvesti autrement dans une nouvelle étape de vie. Au printemps, la nature nous le théâtralise à sa façon.
Certes, des intempéries sociales, environnementales, relationnelles, des aléas conflictuels entre les divers protagonistes de notre identité, de notre personnalité, de malencontreuses interférences avec les déterminants de notre pensée, de notre sensibilité, de notre culture, peuvent venir perturber notre parcours de vie.
Lorsqu’un adolescent, malheureux en lui-même, négativé dans sa propre image, choisit de se donner la mort, quel drame pour ses proches ! D’autant que, rétrospectivement, on avait souvent remarqué que, depuis quelque temps, il semblait aller mieux, moins déprimé, plus souriant. C’est que le passage à l’acte avait été concrètement anticipé. Alors, chacun se culpabilise : « Pourquoi n’ai-je rien vu ? La semaine dernière, pourtant, il allait bien… » Oui il voulait aller bien, perspective qui devrait positiver toute vie.
Quant aux actes suicidaires, assez fréquents en milieu captif, fermé, appauvri en sens et en relations, ils peuvent être le signe que la vie est perçue comme un au-delà de la mort, et non l’inverse.
Heureusement, on peut témoigner bien autrement que chaque étape de la vie est une victoire sur tout ce qui est signe de mort et que notre vocation en humanité est de toujours aller plus loin, mort par mort, étape par étape.
Sur nos parvis, nous choisissons de toujours vivre et partager notre foi comme une nouveauté, pour toujours donner un plus de sens à nos vies et à celle de notre monde et non comme la maintenance d’un acquis religieux qu’on vénèrerait comme un cercueil. Pour que notre foi soit vivante, elle doit faire le deuil de tout ce qui l’a dévitalisée en tradition religieuse. Ainsi est notre témoignage que cette foi est elle-même vivante et que toute vie est résurrection.
Revue Les Réseaux des Parvis n°116-117, p. 9