Avocat de l’espérance
Rencontre avec Guy Aurenche. Propos recueillis par Georges Heichelbech
Avocat honoraire du barreau de Paris, ancien président national et international de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), ancien président du CCFD, très actif à Saint Merry Hors les Murs, Guy Aurenche a eu et a encore de très nombreux engagements qu’on ne peut tous citer. Rencontre avec un chrétien porteur de plein d’espérance.
À travers votre métier d’avocat et vos engagements associatifs, vous avez eu l’occasion d’être continuellement dans l’action. Est-ce l’action qui vous a donné de l’espérance, ou est-ce que c’est parce qu’au fond de vous-mêmes il y avait de l’espérance que vous avez agi ?
Peut-être deux images pour répondre à cette question. La première, mon engagement pour l’abolition de la torture en 1975, qui a changé notre vie familiale. Une des sources de la découverte de l’espérance est d’essayer de répondre aux appels. Ensuite la découverte à travers l’ACAT d’avoir la capacité d’être un petit sauveteur. C’est-à-dire par les campagnes de lettres, de pétitions, de démarches qu’on pouvait faire à l’occasion de l’emprisonnement d’un homme, d’une femme ou de leur torture, nous pouvions briser la solitude dans laquelle ils étaient enfermés. Plusieurs témoins m’ont dit : « Parce que j’ai su que vous faisiez quelque chose pour moi, j’étais sauvé. » Quand ces hommes et ces femmes me disaient qu’ils étaient sauvés, je ne pouvais, comme chrétien, ne pas imaginer ce que le message chrétien me dit sur sauver et salut.
Cela fait depuis bien longtemps que vous parlez d’espérance. J’ai ressorti de ma bibliothèque un livre de 1994 dont le titre est Avocat de l’espérance.
Quand je parle d’espérance, je ne fais pas preuve d’optimisme. Quand on me demande : vous êtes optimiste ou pessimiste ?, je réponds : je ne suis pas pessimiste, mais être optimiste aujourd’hui, cela n’a pas beaucoup de sens. Ce qui est important pour moi, c’est de rejoindre les jeunes et les moins jeunes qui n’acceptent pas l’inacceptable. Sommes-nous prêts à découvrir ceux qui œuvrent pour que les hommes vivent plus humainement ou n’y sommes-nous pas prêts ? Là se situe le rendez-vous de l’espérance. Celle-ci n’est ni un trait de caractère, ni une doctrine, ni une force objectivement décelable. Elle est avant tout un choix, un regard tourné vers l’autre, un pas fait avec l’autre, simplement pour marcher ensemble afin que la vie soit plus humaine.
Vous parlez de réhumaniser l’amour.
Dans la relation amoureuse, quelle qu’elle soit, il ne s’agit pas de marchandiser l’autre. On a besoin de l’autre, bien sûr, mais ce risque est là quand on entend parler aujourd’hui du droit d’être aimé ou du droit à un enfant, qu’on transforme en une chose. Je préfère voir comment on parle du droit des enfants à être reconnus comme enfants. Réhumaniser l’amour consiste à redécouvrir toute la complexité de la relation avec l’autre. Je me suis aussi battu contre la diabolisation du corps dans la relation amoureuse.
Autre chantier : N’ayons pas peur de faire de la politique.
À un moment, le bien-être des autres va passer par l’action politique ou ne se fera pas. C’est bien d’être gentil avec les autres et de leur rendre service, mais cela ne suffit pas. Il s’agit de redécouvrir ce qu’on appelle le commun, c’est-à-dire ce qui sert au bonheur de toute une communauté, comme par exemple les droits sociaux, en tant que termes de justice, de reconnaissance mutuelle, mais aussi d’équilibre écologique. Et il est important que nos associations donnent une perspective politique.
Vous avez aussi parlé du rendez-vous avec soi-même.
On a le développement personnel et le besoin très légitime d’être bien dans sa peau. Face à l’urgence qu’il y a dans notre société, parce que la rentabilité exige la rapidité. Le rendez-vous avec soi-même est la difficulté de prendre le temps de faire du silence dans sa vie. Et comme chrétien la dimension de la prière n’est pas facultative. C’est le rendez-vous avec moi-même où je découvre qu’il y a un plus grand que moi. À côté de l’activisme, se donner le temps de l’écoute et de l’approfondissement.
Vous avez aussi été président du CCFD, qui se met aussi au service de l’humain. Comment apporter de l’espérance à ceux dont le premier souci est de manger et de ne pas se faire exploiter ou priver de leurs droits les plus fondamentaux ?
Nous n’envoyons pas des spécialistes, mais nous développons des partenariats avec des associations locales. Quand on veut apporter de l’aide de l’extérieur, cela risque de ne pas correspondre aux attentes de l’autre. Et ne négligeons pas la dimension politique : dénoncer un système économico-financier basé sur la recherche du profit maximal. Le CCFD rend service dans sa lutte contre la faim en disant que cela rend impossible le partage de la richesse.
Avec François Soulage, président du Secours Catholique, vous avez écrit un livre, Le pari de la fraternité. La fraternité est aussi une composante pour donner l’espérance.
Cela est important. La fraternité est à la fois un des buts et une des racines de la solidarité. J’étais très heureux, comme juriste, qu’en 2018 le Conseil constitutionnel, devant juger Cédric Herrou pour avoir aidé des étrangers à venir sur le territoire français – ce qu’on a appelé le délit de solidarité, qui n’a jamais existé dans la loi –, ne l’ait pas condamné, parce que la fraternité justifiait de donner à manger et à héberger des étrangers, même en situation d’irrégularité. La fraternité est une composante juridiquement constitutionnelle, donc fondamentale. Elle revient aussi à la surface avec la lettre du pape Fraçois, Fratelli tutti (« Tous frères »), compréhensible aussi par des non-chrétiens qui cherchent à donner un sens à la solidarité. Elle est donc à mettre en avant, plus que jamais.
La société est en quête de sens. Que peut-on dire aux personnes qui perdent espérance ?
Ne parlons pas, mais faisons. Aider quelqu’un à trouver sens à la vie, c’est le mettre en relation avec d’autres, avec lui-même, avec la société dont il se sent souvent exclu. Concrètement, permettre à quelqu’un de redécouvrir qu’il est reconnu. Le plus important pour un jeune auquel on donnait des cours était qu’on s’occupe de lui.
La rencontre de témoins qui portent l’espérance permet-elle aussi de retrouver l’espérance ? Pour vous, par exemple, l’Abbé Pierre ou Stéphane Hessel.
Les deux personnes que vous citez donnent du dynamisme à l’action. J’étais l’un des avocats de l’Abbé Pierre. Il faisait le lien entre par exemple une action très concrète sur le logement, le débouché poltique de cette action, exigible dans la société, et sa dimension spirituelle personnelle qui occupait pour lui une grande place. Il y a aussi de nombreux témoins inconnus. Dans l’est du Congo, avec le CCFD, nous avons aidé des femmes d’une pauvreté totale. Elles ont expliqué que cela servait à ouvrir un centre d’écoute pour leurs sœurs violées. J’étais bouleversé parce que ces femmes mettaient l’argent au service de plus pauvres qu’elles. Les grands témoins, ce sont celles et ceux qui autour de nous redonnent vie par les relations, le partage ou un simple dialogue. Il faudrait que dans les mairies, le premier janvier, on célèbre tous ces gestes d’espérance que l’on a découverts dans son quartier.
J’ai l’impression que votre engagement de croyant vous donne un dynamisme qui vous vient de plus loin que vous et qui ne peut déboucher que sur l’espérance.
Il y a pour moi un engagement spirituel autour de la bonne nouvelle de Jésus de Nazareth, mais le fait d’être croyant ne donne de solution à rien. Cela ne me dit pas comment nourrir une population ou arrêter une guerre. Attention de ne pas transformer une conviction spirituelle en une recette qui donne des remèdes à des problèmes politiques, économiques ou sociaux. Il est important que nous sachions écouter ceux qui ne sont pas de la famille chrétienne. Ce qu’ils ont à nous dire sur la personne humaine. Mais aussi être bouleversé et émerveillé par l’éclairage de la bonne nouvelle de Jésus. Il ne nous demande pas d’écouter les réalités du monde, mais d’y être présent au maximum. Il ne nous demande pas de prendre des pouvoirs, mais d’être au maximum aux côtés des plus pauvres. Et il ajoute – mais pour moi cela est un mystère – : Vous pouvez aimer et vous êtes aimés par plus grand que vous. Et cette invitation à l’action aimante est enracinée dans la révélation de ce que Jésus appelle le Père, dont on ne sait pas très bien qui il est. Il va nous le dire d’une manière stupéfiante puisque c’est au cœur des difficultés et des malheurs qu’il va nous faire vivre une présence encore plus forte. L’espérance ne supprime pas les problèmes, mais nous dit qu’on a à côté de nous une force qui nous aide à les affronter et à les vivre humainement.
On dit aussi parfois que dans la nuit il y a assez de lumière en nous pour croire à la venue de l’aurore du matin.
Je suis heureux que vous évoquiez l’aurore, car cela est actuellement le thème de mes conférences. Croire que dans notre monde l’aurore est là. Ce n’est pas simplement une référence poétique ou de la nature, mais une source et une tradition de l’espérance.
Source : Les réseaux des Parvis, n°120, p.6