Qui ressuscite ?
Michel Jondot.
Figures de mort
Une personne d’origine maghrébine me faisait part récemment du grand malaise qu’elle éprouvait lorsqu’elle rencontrait des Français ou des Françaises farouchement opposés à l’immigration. « Je sens peser sur moi des regards haineux ». Dans certaines cités de banlieue, les musulmanes n’osent pas se risquer dans les rues de la ville ; même lorsqu’elles n’y sont pas insultées, elles ont l’impression d’être méprisées et invitées à quitter le pays.
Lorsque des conflits se sont installés entre personnes, lorsqu’elles se sont insultées, elles s’arrangeront pour éviter de se rencontrer. On risque de changer de trottoir pour ne pas croiser le regard d’un créancier qu’on ne peut pas rembourser ou la personne qui est en droit de nous faire des reproches. Dans la société, se dressent entre les personnes des barrières qui gâchent la vie : figures de mort !
Relever la tête
C’est avec l’expérience de ces difficultés qu’il faut comprendre l’Évangile de ce jour. Les disciples se tenaient à l’écart de toute rencontre. Ils avaient peur des juifs, nous dit-on. En réalité, ils avaient plus à craindre encore : ils ne se doutaient pas qu’ils auraient à faire face à Celui qui était mieux qu’un Maître, mais un ami. Devant lui, ils n’avaient plus qu’à baisser la tête et à désirer disparaître. Qu’avaient-ils à dire pour expliquer leur sommeil au jardin des Oliviers, leur trahison pendant le procès ? « Je ne connais pas cet homme ! »
« Jésus vint, et il était là au milieu d’eux… Il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie… » On a trop tendance à réduire la Résurrection à un événement qui concerne le corps de Jésus. La Résurrection ne se réduit pas à une affaire individuelle, mais au rétablissement de la relation qui peut exister entre les humains et d’abord entre ceux qui se réclament du nom de Jésus. La Résurrection est une victoire sur la mort. Mais qu’est-ce que la mort sinon la mise à l’écart de toute relation humaine. La mort de quelqu’un le soustrait à toute communication. Telle était la condition de ces disciples enfermés entre quatre murs. La résurrection produit l’effondrement des barrières qui séparent les uns des autres. Le récit de ce jour ne raconte pas d’abord l’apparition de Jésus qui montre ses plaies, mais celui de la force qui relève la tête des disciples ; ils peuvent regarder sans honte et dans la joie celui qu’ils ont gravement offensé. « La paix soit avec vous », leur dit Jésus et la parole fait ce qu’elle dit : « Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur ! »
Aujourd’hui
Fêter Pâques rappelle un événement passé, c’est vrai. Mais Pâques invite aussi à relever la tête pour regarder le monde où nous mettons les pieds aujourd’hui. Jésus nous envoie à nos relations. « Ceux à qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis » ; autrement dit, ceux dont vous oubliez qu’ils ont des torts envers vous vivront l’aventure de la Résurrection : l’amour reprendra vie et la joie reviendra. « L’Esprit-Saint » est cette force qui arrache à la mort. Très souvent, dans les familles ou parmi ses amis, des torts se sont installés : « On ne se parle plus. » Pâques relève notre espérance : les forces de la résurrection nous sont transmises. « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez » ; les torts disparaîtront là où vous le voudrez, l’amour peut renaître.
En nous invitant à regarder le monde où l’amour ressuscite, Pâques élargit notre regard. Ne restez pas sur place, allez plus loin, « je vous envoie ». En ces temps que nous vivons, nous avons à dépasser le cercle de nos familles ou de nos amis. Il nous faut regarder notre pays. Reconnaissons que le corps social où nous vivons ressemble au Corps du Christ : « Il leur montra ses mains et son côté. » La France, elle aussi, est blessée. Saurons-nous la regarder avec le regard des disciples, « remplis de joie »… « le soir venu, en ce premier jour de la semaine… » ?
Pourquoi tant de crainte en voyant des foules maghrébines ou africaines tenter de franchir nos frontières ? Trop de nos contemporains ressemblent aux disciples. Nous nous replions sur nous-mêmes par peur comme Pierre et les autres s’enfermaient entre les murs du lieu où ils tentaient de se réfugier. Ces hommes et ces femmes qui souvent coulent au fond de la Méditerranée sont le retour du Christ rejoignant ses amis. Refuser de les accueillir c’est refuser la Résurrection. La Pâque de Jésus est un appel à l’Église et aux chrétiens : « La paix soit avec vous… et il leur dit : recevez l’Esprit-Saint. » L’Esprit, osons le dire, nous interdit de suivre ceux qui nous incitent à repousser l’étranger.
« Il leur dit : La paix soit avec vous ! » Retenons cette parole. Elle nous assure qu’à notre dernier souffle, quelle qu’ait été notre vie, en fin de compte la joie nous attend tous.