Marie-Madeleine – Pionnière de l’égalité
Juan José Tamayo.
Au cours des dernières décennies, les spécialistes de la Bible chrétienne qui lisent les textes dans une perspective de genre, les historiens qui effectuent une reconstruction anti-patriarcale des premiers siècles du christianisme, et la théologie féministe qui conduit une herméneutique lucide et précise des textes patriarcaux, se sont fortement mobilisés pour récupérer la figure de Marie-Madeleine. Les textes gnostiques, y compris l’évangile de Thomas, l’évangile de Philippe, l’évangile de Marie et la Pistis Sophia, ont joué un rôle clé dans cette récupération.
Le mouvement égalitaire de Jésus de Nazareth
Les recherches actuelles en sociologie, en histoire sociale, en anthropologie culturelle et en herméneutique féministe sur les origines du christianisme placent le groupe des disciples de Jésus à l’horizon des mouvements de renouveau du judaïsme du premier siècle (Esséniens, mouvements thérapeutiques, pénitentiaires et autres.) Ils le placent également au sein des mouvements qui ont lutté contre l’exploitation patriarcale dans les différentes cultures : grecque, romaine, asiatique et juive. Dans l’histoire d’Israël et de la Palestine, des luttes intenses ont été menées par des femmes qui ont occupé une place politique et culturelle très importante.
Les premiers disciples de Jésus étaient des femmes galiléennes qui se réunissaient pour des repas communs, des prières et des réunions de réflexion religieuse avec le rêve de la libération des femmes en Israël/Palestine. C’est précisément ce courant d’émancipation de la domination patriarcale qui a rendu possible la naissance du mouvement de Jésus en tant qu’ensemble égalitaire de disciples dans lequel les femmes occupaient une place centrale plutôt que purement périphérique. Selon la théologienne Elisabeth Schüssler Fiorenza, la présence des femmes dans ce mouvement a été de la plus haute importance pour la pratique de la solidarité par le bas. Leur activité a été décisive pour la poursuite du mouvement de Jésus après l’exécution du fondateur et sa diffusion en dehors du milieu juif.
Les différentes traditions évangéliques coïncident pour souligner que ces femmes ont été protagonistes à des moments fondamentaux du mouvement lancé par Jésus de Nazareth : au début en Galilée, à sa suite sur les chemins, aux pieds de la croix sur le Golgotha et premières témoins de la résurrection. La plupart du temps, trois noms de femmes sont cités au sein d’un grand groupe de femmes (Luc 8:2-3, par exemple, cite Marie-Madeleine, Jeanne et Suzanne). La même symétrie est observée pour les hommes (Pierre, Jacques et Jean). Cela a pour but de montrer la place prépondérante que les hommes et les femmes occupent dans la communauté.
La femme qui est presque toujours mentionnée en premier dans le groupe des amis et disciples de Jésus est Marie-Madeleine, du nom de son lieu d’origine, Magdala, petite ville de pêcheurs située sur la rive orientale du lac de Galilée, entre Capharnaüm et Tibériade. C’est une disciple de la première heure, elle appartient au groupe le plus proche de Jésus, elle occupe une place prééminente auprès de lui, elle marche sur le même chemin que le Maître vers Jérusalem, elle partage son projet de libération et son destin. Les femmes qui suivent Jésus sont généralement mentionnées dans les Évangiles comme se référant à un homme ; Marie Madeleine ne l’est pas : une preuve supplémentaire de son indépendance par rapport à toute structure patriarcale.
La fidélité ou l’infidélité à une cause et à une personne se manifeste « dans les moments difficiles », à l’heure de la persécution et de la souffrance. Lorsque Jésus est condamné à mort, les disciples masculins s’enfuient de peur d’être identifiés comme membres de son mouvement et de subir le même sort que lui. Seules les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée l’accompagnent sur le chemin du Golgotha et sont à ses côtés sur la croix. Dans le groupe des femmes, comme je viens de l’indiquer, les évangiles citent Marie-Madeleine en premier lieu. Elle est la disciple fidèle non pas d’un Messie triomphant, mais de celui qui a été crucifié pour avoir subverti l’ordre religieux établi et l’ordre politique impérial et patriarcal.
Le témoignage de la résurrection
Les différents récits évangéliques s’accordent pour présenter des femmes comme témoins de la résurrection et Marie-Madeleine comme la première d’entre elles. C’est précisément elle qui annonce la nouvelle aux disciples, qui réagissent avec incrédulité. Elle remplit les trois conditions pour être admise dans le groupe apostolique : elle a suivi Jésus depuis la Galilée, elle a vu Jésus ressuscité et elle a été envoyée par lui pour annoncer la résurrection. La reconnaissance de Marie-Madeleine comme premier témoin du Christ ressuscité explique son importance dans le christianisme primitif, au même titre que Pierre, voire plus dans certaines églises.
Par contre, dans les lettres pauliniennes et les autres écrits de la Bible chrétienne, le témoignage des femmes n’apparaît plus et Marie-Madeleine est remplacée par Pierre. Cela s’explique par le fait que l’Église commençait à se soumettre à la domination masculine, qui ne tarda pas à supprimer la place importante des femmes dans le mouvement de Jésus.
Le fait que Paul et d’autres traditions bibliques chrétiennes aient passé sous silence l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine et à d’autres femmes a conduit directement à leur exclusion des domaines de responsabilité communautaire. Pourtant, malgré ce silence, les femmes constituent la référence indispensable pour la transmission du message évangélique ; elles sont en outre le lien essentiel pour la naissance de la communauté chrétienne. Sans le témoignage des femmes, il n’y aurait peut-être pas d’Église chrétienne aujourd’hui.
L’interlocutrice privilégiée de Jésus
Dans les dialogues de révélation des évangiles gnostiques, Marie-Madeleine apparaît comme l’interlocutrice privilégiée du Christ ressuscité, la sœur de Jésus, la disciple préférée et la compagne du Sauveur.
Cette position privilégiée suscite la jalousie de certains apôtres, en particulier de Pierre qui, selon la Pistis Sophia apocryphe, réagit en ces termes : « Maître, nous ne pouvons pas supporter Marie-Madeleine parce qu’elle nous enlève toutes les occasions de parler ; elle pose toujours des questions et ne nous permet pas d’intervenir ».
Apôtre des apôtres est le titre donné à Marie-Madeleine par Hippolyte de Rome, qui ne considère pas les femmes comme des menteuses, mais comme des porteuses de vérité, et les appelle apôtres du Christ. Jérôme s’exprime dans le même sens, reconnaissant à Marie-Madeleine le privilège d’avoir vu le Christ ressuscité « avant même les apôtres ».
Cependant, avec le processus de patriarcalisation, de cléricalisation et de hiérarchisation du christianisme, Marie de Magdala a été reléguée dans l’oubli ; de plus, elle est représentée comme la pénitente et la servante de Jésus, en remerciement pour avoir chassé les mauvais esprits qui l’habitaient. Marie de Nazareth, la mère de Jésus, a connu un meilleur sort : elle a été déclarée Mère de Dieu, élevée sur les autels et traitée presque avec des honneurs divins.
Vingt siècles plus tard, justice est à nouveau rendue à Marie-Madeleine. Ce qu’il faut, c’est vaincre la résistance de la pensée androcentrique et l’organisation patriarcale de la plupart des églises chrétiennes et retrouver dans la pratique la tradition du mouvement de Jésus en tant que disciples égaux à la suite de Jésus et à la poursuite de sa cause de libération de tout esclavage.
Le mouvement féministe a reconnu Marie Madeleine comme une « pionnière de l’égalité ». Il est temps que les églises chrétiennes pratiquent la même reconnaissance en leur sein et redonnent aux femmes l’importance qu’elles avaient dans le mouvement de Jésus et dans le christianisme primitif et qu’elles doivent retrouver aujourd’hui.
Dépatriarcaliser Dieu et Jésus de Nazareth
La prestigieuse intellectuelle féministe Mary Daly (1928-2010) affirme dans son livre Beyond God the Father. Towards a Philosophy of Women’s Liberation (1973) : “If God is male, male is God”. Dans le même sens, Kate Millet, figure de proue du féminisme radical, écrit dans son ouvrage pionnier Sexual Politics (1970) : « Le patriarcat a Dieu de son côté » : « Aujourd’hui, on continue à (re)présenter Dieu comme un mâle, qui ne se laisse représenter que par les hommes et les transforme en “masculinités sacrées” », contrairement au récit de la création dans la Genèse, qui parle de l’homme et de la femme créés à l’image de Dieu. Elle continue à patriarcaliser Jésus de Nazareth, transformant un fait biologique en un principe théologique qui exclut les femmes de toute représentation de Jésus. La patriarcalisation de Dieu et de Jésus se traduit par des organisations chrétiennes hiérarchiques et patriarcales qui, dans un cercle vicieux, légitiment, soutiennent et renforcent le patriarcat politique, familial, moral, éducatif, etc. Le patriarcat religieux et le patriarcat politique exercent une double légitimation.
Nous avons une tâche urgente à accomplir : dépatriarcaliser Dieu, Jésus de Nazareth et les organisations chrétiennes. C’est une condition nécessaire pour retrouver le christianisme égalitaire de Marie-Madeleine et recréer des communautés chrétiennes libres de toute discrimination fondée sur le sexe, la religion, la culture, l’identité sexuelle, la classe sociale, etc. Cette tâche doit être menée en harmonie et en collaboration avec les mouvements féministes, qui doivent soutenir la cause de l’égalité et de la justice dans les églises et les religions, tandis que les communautés chrétiennes et religieuses égalitaires doivent faire cause commune avec les mouvements d’émancipation des femmes.
Déconstruire les masculinités hégémoniques et sacrées
Cela nécessite l’implication des hommes féministes dans la déconstruction des masculinités toxiques, qui dominent les esprits et les pratiques des hommes et dominent toutes les sphères de la vie publique, et la construction de nouveaux modèles de masculinité : d’autres masculinités, alternatives, qui éliminent, au lieu de les reproduire, les rôles appris dès l’enfance sur le féminin et le masculin.
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