Foi, liberté de conscience et réel – Que disons-nous aujourd’hui de la résurrection ?
Michel Gigand.
Au cours de cette étape de la réflexion menée par la Fédération Les réseaux du Parvis « Dire Dieu, Jésus et la foi aujourd’hui. », il est question de l’absence de Jésus et de la « résurrection ». Deux textes ont servi de support. L’un de Maxime, pour la partie théologique et pastorale, dont le titre était : Un tombeau vide… Est-ce une bonne nouvelle pour nous aujourd’hui ? Et l’autre, une réflexion du bibliste Olivier commentant les récits de résurrection de la fin de l’évangile de Marc.
I. Comment analyser l’absence de Jésus ?
En lisant et en relisant nos contributions, j’ai essayé de me mettre dans la peau de quelqu’un qui veut comprendre ce qui s’est passé au premier siècle de notre ère après la mort par crucifixion de Jésus de Nazareth. J’ai voulu savoir ce qui est croyable et ce qui ne l’est pas.
L’avant crucifixion est claire : Jésus de Nazareth a été victime de ses engagements, notamment celui de vouloir critiquer le légalisme de la religion juive. Mais les autorités juives, opposées bien sûr à ce que pensait cet homme, ont demandé à l’autorité romaine d’occupation de l’empêcher de nuire.
Mais après que s’est-il passé ? Vu les pratiques romaines, son corps est probablement allé à la fosse commune. Pourquoi aurait-il eu un autre sort que celui fixé par l’Empire romain ? Donc, pas de corps, d’ailleurs il est absent du tombeau. Sur ce point, je pense que nous sommes tous d’accord. Mais alors pourquoi une quarantaine d’années plus tard, des récits, pas exactement les mêmes selon les évangélistes, avec un tombeau ? Il est intéressant de constater que la finale de Marc s’arrête au tombeau : il n’y a donc pas d’apparitions. Pourquoi des apparitions chez Luc et Matthieu ? Comme cela a été écrit dans les contributions, il s’agit de traditions tardives. Et sur ces traditions, nous n’avons pas toutes et tous la même façon de voir les choses. Xavier Léon Dufour écrivait en 1971 : « Il est vain de chercher des preuves de la Résurrection ou de se servir du fait du tombeau vide pour la démontrer. On ne doit plus voir dans la Résurrection un “miracle” ni lire naïvement les récits évangéliques comme des biographies du Ressuscité. Il faut éviter de se représenter les apparitions de façon “merveilleuse” ».
Beaucoup parmi nous affirment qu’il s’agit de textes symboliques. Pourquoi ne disons-nous pas plutôt que le récit du tombeau et les récits d’apparitions sont des textes apocalyptiques ? Les auteurs de ces textes vivent et écrivent dans cette période de 300 années (de 150 av. J.-C. à 150 après) où la littérature et le langage apocalyptique sont utilisés. Les écrits apocryphes montrent aussi l’importante utilisation de ce langage. C’est un langage de révélation de ce temps dans une société tellement différente de la nôtre. Ce qui est à pointer en Marc, c’est que le messager divin dit aux femmes : « Il n’est pas ici », donc il est absent. Vous le trouverez dans la Galilée, là où vous avez vécu tant de gestes formidables et très humains avec lui. Cela ressemble tout à fait au message apocalyptique en Matthieu 25 où il est écrit que c’est par des gestes très humains, donner à manger, accueillir les étrangers, visiter les prisonniers que se vit le message de Jésus de Nazareth… Il est absent du tombeau, mais il est votre soutien sur les terrains du monde. C’est là que vous le trouverez.
La première étape était intitulée : l’absence de Jésus… Pourquoi il en a été fort peu question dans nos contributions ? Il ne faut jamais oublier que le mot « résurrection » n’est jamais utilisé dans les évangiles. Ce qui n’est pas notre cas. Nous l’utilisons en omettant que ce qu’il veut dire est fort différent selon les personnes. C’est peut-être dommage !
Dans notre débat sur cette première partie « Au temps de Jésus », il faut sûrement que nous nous expliquions aussi sur le passage de la première épître aux Corinthiens : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine ». José Arregi nous en donne l’interprétation suivante : « Si notre foi est illusoire (seulement formelle et apparente, une question de croyances et de pratiques cultuelles), la Vie ou le Christ ou le “christique” ne sont pas ressuscités en nous ». Dans les contributions, j’ai vu aussi que Jésus aurait été ressuscité par Dieu. Quel Dieu, avec un petit d ou avec un grand D ? Ils pouvaient peut-être croire cela en leur temps, mais pas aujourd’hui.
Les questions restent ouvertes : Un évènement historique ? Une tradition tardive ? Des textes symboliques ? Des textes apocalyptiques ? Une expérience de foi ? Jésus ressuscité par Dieu ? Si Christ n’était pas ressuscité, notre foi serait vaine ?
II. Que disons-nous aujourd’hui de la résurrection ?
Si nos contributions sur l’après-crucifixion de Jésus étaient fort variées, celles sur ce que chacune et chacun dit aujourd’hui de la résurrection vont presque d’un extrême à l’autre.
1) Ressuscité semble être un mot « piégeux ».
Ce n’est pas un retour à la vie incarnée. Jésus est réhabilité par opposition à l’abjection de sa mort. Il est relevé et éveillé. En période de chrétienté, le mot « résurrection » était employé pour dire que l’on revivra après la mort, que l’on se retrouvera toutes et tous dans le « royaume de Dieu » ; que la mort a été vaincue par Jésus ; que l’éternité nous attend ; que Jésus est apparu à certains, bref que l’on ira au ciel, celui au-dessus de nos têtes. Beaucoup de chrétiens en parlent comme si c’était une réanimation de cadavre. Le chant souvent repris aux funérailles est éclairant « Sur le seuil de sa maison, notre Père t’attend… ». Mais tout cela ne tient plus aujourd’hui. Alors qu’en dire ? Le mot « résurrection » est un concept à la fois théorique et surtout théologique qui a du mal à dire une expérience. L’un de nous préfère employer « se mettre debout », « se réveiller », « se lever » ou « faire lever ».
2) Ressuscité, je n’en dis rien et je n’en sais rien.
La résurrection, qu’est-ce que j’en dis ? Y a-t-il un ensuite ? Je n’ai aucune réponse raisonnable. Et je n’en imagine ni n’en rêve pas. Je sais que, de toute façon, tout vivant et toute civilisation et notre univers lui-même ou bien sont mortels ou bien rebondissent dans un cycle « éternel » d’imprévisible nouveauté. Mais une vie personnelle « éternelle » sombre pour moi dans le pire des ennuis. À quoi bon, pour garder « espoir » d’un « ailleurs autrement », l’hypothèse qu’il existe quelque chose dont je n’aurai jamais la moindre idée ?
3) Ressuscité, mais pas comme le pense l’institution Église.
Ma profession de foi en Jésus ressuscité ne correspond pas à la foi officielle de l’Église catholique si je me réfère au catéchisme de Jean-Paul II. Je suis en même temps affligé de constater qu’en ce début du XXIe siècle la foi catholique officielle continue de reposer sur les représentations des premiers disciples correspondant à leur vision du monde devenue périmée avec l’avènement et le développement des sciences. Ce qui est véhiculé par l’Église n’est plus croyable.
4) Ressuscité, en ce sens où Jésus serait « vivant » ?
Mais vivant comment ? – vivant par la force de son exemple et de son témoignage ? – vivant en ce sens que sa mort appelle une suite et une relève ? – vivant en ce sens qu’il appelle à renaître en permanence à la vie en vérité ? – vivant en nous ? Si Jésus est vivant dans le Père, donc en nous, il en est ainsi de ceux qui nous ont quittés et il en sera ainsi de nous : le moi profond de chacun, c’est-à-dire ce qu’il a vécu ou essayé de vivre dans l’amour, rejoint la source de l’être. Nous sommes invités à vivre cette expérience spirituelle et intérieure de croire qu’« il est vivant », qu’il nous « re-suscite » sans cesse pour que nous vivions debout. – vivant, je veux dire que Jésus ne cesse d’être inspirant pour celles et ceux qui se réclament de lui, car ils vérifient qu’il ne cesse d’être générateur en eux d’une réelle qualité de vie personnelle et relationnelle.
5) Y a-t-il une expression possible aujourd’hui de la résurrection ?
Après ces quelques expressions tirées de nos propres contributions, nous devons faire le constat que les premiers adeptes de Jésus de Nazareth ont compris que la Bonne Nouvelle libératrice annoncée et pratiquée par leur Maître ne pouvait pas disparaître après la crucifixion. Les femmes découvrent qu’il est absent et elles sont invitées à dire aux apôtres qu’il faut aller le retrouver sur les chemins de Galilée. C’est au cœur du monde, au cœur des libérations de toutes sortes que son œuvre se poursuit. N’aurions-nous pas nous aussi à pratiquer et à dire que c’est au cœur des libérations d’aujourd’hui que le message évangélique se poursuit ? N’est-ce pas cela qu’il nous faut vivre et dire, n’est-ce pas cela se lever, être éveillé ? N’est-ce pas cela l’expression de la résurrection pour aujourd’hui ? N’avons-nous pas à laisser tomber ce vieux mot de chrétienté qu’est résurrection, et à employer à la place d’autres mots ? Des mots qui sont parlant de la Bonne Nouvelle libératrice ?
La réflexion reste ouverte…
La prochaine étape sera sur le thème : Théisme ou post-théisme, comment nous situons-nous ? Ce groupe est ouvert et les textes et les feuilles de route sont disponibles sur le site de Parvis.