Le Synode dans l’impasse
José Arregi.
Je ne m’attendais pas à ce que ce quatrième Synode du pontificat du pape François, à l’exemple des trois premiers, fasse un pas décisif sur la voie de l’indispensable et urgente réforme institutionnelle de l’Église catholique romaine. Au regard de ce qui a été vu jusqu’à présent, je ne pouvais pas penser qu’il serait en mesure de réaliser la condition indispensable à une telle réforme : l’élimination de l’obstacle structurel fondamental, à savoir le modèle clérical hiérarchique. L’Instrumentum Laboris qui vient d’être publié me renforce dans mon scepticisme : le cléricalisme reste intact et fermé. Et cela signifie que ce Synode, comme les précédents, est condamné à une impasse.
Je m’explique. Dans ce document, qui servira de base de réflexion pour la deuxième session ordinaire des évêques en octobre prochain, deux types de services et de pouvoirs dans l’Église sont encore clairement distingués et séparés : les « ministères » et les pouvoirs qui dépendent de la décision communautaire – historique, contingente, variable – et ceux qui dépendent de la volonté divine – éternelle, absolue, immuable -. Les premiers sont des ministères et pouvoirs communs, ils viennent « d’en bas », et tout adulte baptisé peut les exercer, si la communauté le désigne pour le faire. Les seconds sont des ministères et des pouvoirs supérieurs, « ordonnés » (diacres, prêtres et évêques), venant « d’en haut », conférés par Dieu à ses « élus » (en grec klerikói) par le biais d’un rite ou d’un sacrement d’« ordination » validement accompli par un évêque ; ces ministères supérieurs ne peuvent être exercés que par des hommes, et ils confèrent le pouvoir exclusif d’absoudre les péchés et de présider l’eucharistie ou la messe en transformant le pain et le vin en « corps et sang » de Jésus.
Il en a été ainsi dans les Églises dépendant de Rome depuis les IIIe et IVe siècles, certainement pas depuis Jésus, et cela s’est poursuivi au Moyen Âge, au Concile de Trente (XVIe siècle) contre la Réforme protestante, et au Concile Vatican I (1869) contre la Modernité. Elle s’est poursuivie au Concile Vatican II (1962-1965), malgré quelques timides tentatives de réforme. Elles se sont poursuivies pendant les onze années du pontificat du pape François, avec ses trois synodes. Et fondamentalement, tout reste inchangé dans l’Instrumentum Laboris pour la deuxième session ordinaire de ce Synode sur la synodalité en cours (qui en est à sa troisième année).
Ne nous leurrons pas : rien ne changera dans l’institution ecclésiale. Ou si : dans un monde qui change à une vitesse effrayante, dans une humanité qui cherche à survivre du mieux qu’elle peut face à tant de pouvoir oppressif et au développement alarmant de l’Intelligence Artificielle, l’Église institutionnelle continuera à répéter de vieux moules vides, des formes et des mots sans âme ni vie. « Synode » signifie « marcher ensemble », mais ce Synode sur la synodalité ne soulèvera même pas la possibilité que la loi humaine qui sépare et ségrégue, qui consacre la domination et la subordination, soit abrogée maintenant ou jamais dans cette Église. La loi canonique, anti-évangélique, qui nous empêche de marcher réellement ensemble. Le synode, une fois de plus, continuera à tourner en rond dans la même allée. Jésus nous dirait la même chose qu’aux clercs légalistes de son temps : « Vous écartez le commandement de la Vie (Jésus l’appelle “Dieu”, moi aussi) et vous vous attachez à la tradition des hommes » (Mc 7,8).
Le texte formule certainement de bons critères généraux et de nombreuses bonnes intentions. Par exemple : le bel appel à « s’accompagner les uns les autres en tant que membres d’un peuple pèlerin traversant l’histoire en chemin vers une destination commune » (Introduction), l’affirmation de « l’identité mystique, dynamique et communautaire du Peuple de Dieu » (n. 1), l’appel répété au dialogue, à l’écoute et au discernement partagé, la nécessité d’une « conversion synodale » (Introduction), d’une « conversion tant dans les relations que dans les structures » (n. 14), l’invitation à « réfléchir concrètement sur les relations, les structures et les processus qui peuvent favoriser une vision renouvelée du ministère ordonné, en passant d’un mode pyramidal d’exercice de l’autorité à un mode synodal » (n. 36).
Très bien. Ce qui se passe, c’est que ces critères et ces objectifs sont non seulement contrebalancés, mais en fait bloqués par l’affirmation d’une autre instance ultime, sans appel : l’instance cléricale. Et là on n’entrevoit aucun progrès dans ce document. À aucun moment il ne revendique, ni même ne suggère, l’abolition – indispensable et possible – du modèle clérical en vigueur, pyramidal, autoritaire et patriarcal actuel de l’institution ecclésiale. De sorte qu’il n’y a aucune brèche pour une conversion structurelle radicale de l’Église. Il affirme, certes, que l’autorité doit s’exercer comme un service – quoi de moins –, et qu’il faut favoriser une vision renouvelée du ministère ordonné, pour passer d’un mode pyramidal à un mode synodal dans l’exercice de l’autorité (n. 36). Mais il ne remet jamais en cause le modèle hiérarchique clérical en tant que tel. Il insiste également sur le fait que l’autorité doit être exercée avec « transparence et redevabilité » (n. 74, 75, 78, 92), mais il ne demande pas d’où et de qui vient l’autorité ni ne propose de moyens pour un contrôle efficace de son exercice. Les conditions démocratiques élémentaires de la légitimité de l’autorité dans l’Église brillent par leur absence. Le mot démocratie est inconnu. La transparence et le rendre-compte sont cruciaux, mais ils resteront une chimère tant que le système clérical restera intact, tant que le premier et le dernier mot, émanant d’en haut, appartiendront à la hiérarchie. C’est la hiérarchie qui choisit la hiérarchie et elle se considère elle-même comme choisie par Dieu. La boucle est bouclée.
Le texte est très clair : « La synodalité n’implique en aucun cas la dévalorisation de l’autorité particulière et de la tâche spécifique des pasteurs confiée par le Christ lui-même : les évêques avec les prêtres, leurs collaborateurs, et le Pontife romain comme “principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles” » (n. 8, citant la Constitution Lumen Gentium n. 23 du Concile Vatican II). (La même chose est répétée dans les nn. 10, 37, 38, 69, 88, 101…). En cas de doute : « Dans une Église synodale, la compétence décisionnelle de l’évêque, du Collège des évêques et du Pontife romain est inaliénable, car elle est enracinée dans la structure hiérarchique de l’Église établie par le Christ » (n. 70). C’est dit.
Il n’y a pas de meilleur reflet ni de pire effet du cléricalisme sacralisé et inamovible que la place et le rôle qu’on reconnaît à la femme dans l’Église. Et ce que dit l’Instrumentum laboris à cet égard me semble pathétique. Il insiste sur « la nécessité de mieux valoriser les charismes, la vocation et le rôle des femmes dans tous les domaines de la vie ecclésiale » (n. 13), préconise « une participation plus active des femmes dans tous les domaines ecclésiaux » (n. 15), « un plus grand accès aux postes de responsabilité dans les diocèses et les institutions ecclésiastiques », et même « l’augmentation du nombre de femmes juges dans les processus canoniques » (!), mais tout cela « en accord avec les règlementations existantes » (n. 16) (cléricales, bien sûr). Il est fait juste une référence, très brève, à « l’admission des femmes au ministère diaconal », pour dire qu’il n’y a pas d’accord sur ce point, que « cette question ne fera pas l’objet des travaux de la Deuxième Session » du Synode (faut-il comprendre que le Synode doit s’occuper de ce sur quoi tout le monde est d’accord ?) et que… « il est bon que la réflexion théologique se poursuive » (n. 17).
L’Église a des docteurs qui sauront vous répondre. Et ma perplexité est accrue par le fait que la pierre de touche du cléricalisme, la question de « l’ordination sacerdotale » des femmes, n’est même pas mentionnée dans le document, alors qu’elle a été présente à toutes les tables, paroisses, pays et continents, à toutes les étapes, phases et rapports. (Et il faut noter que je ne suis pas en faveur de l’ordination des femmes, c’est-à-dire de l’entrée des femmes dans l’ordre clérical ou sacerdotal, dans le cléricalisme essentiellement hiérarchique et patriarcal, mais de l’abrogation de tout cléricalisme.) Chacun peut interpréter comme il l’entend la disparition dans l’Instrumentum Laboris de toute référence à l’ordination sacerdotale des femmes. Personnellement, dans les numéros sur le rôle des femmes dans l’Église, je sens une certaine mauvaise conscience, comme si les rédacteurs (tous clercs, je présume) nous disaient : « Pardon, nous sommes désolés, mais c’est ainsi que le Christ l’a voulu, c’est ainsi que Dieu le veut ». Comment le savent-ils ? C’est simplement, dirait Jésus, une « tradition humaine » que la « classe sacerdotale » a besoin de croire, d’enseigner et de maintenir comme volonté divine afin de préserver son statut clérical.
C’est ainsi que nous sommes bloqués dans l’impasse du cléricalisme depuis des décennies, des siècles et des millénaires. Un vrai synode, un chemin partagé, une Église de sœurs et de frères, libres et égaux, ne sera pas possible tant que le mur, le système, le modèle clérical ne sera pas abattu. Et cet Instrumentum laboris ne le démolit pas, ne le remet pas en cause, ne le voit même pas, même s’il utilise à deux reprises le terme de « cléricalisme “et dénonce même ses” effets toxiques » (n. 35 ; cf. n. 75).
Mais l’Esprit (grand absent de ce document) ne se laisse pas posséder ni enfermer. L’Esprit vibre au cœur de tous les êtres sans exception et sans exclusion. L’Esprit est la verdure de la vie, le mouvement, la relation, la créativité universelle, la nouveauté permanente. L’Esprit traverse tous les credos et tous les systèmes, les murs et les remparts, et ouvre sans cesse de nouveaux chemins de lumière et de souffle.
Source : https://josearregi.com/es/el-sinodo-en-un-callejon-sin-salida/
Traduction : Peio Ospital