La transidentité – Les personnes trans aujourd’hui dans la société
Richard Ziadé.
Nous reprenons ici cet article publié par l’équipe de Dieu maintenant dans sa rubrique Questions d’aujourd’hui.
Identité et transidentité
L’identité est une notion indéniablement complexe. Le sujet est très vaste, d’ordre philosophique, sociologique, psychologique, juridique, politique ou encore théologique… Il est aussi à considérer sur le plan scientifique et bioéthique lorsqu’on évoque par exemple la transidentité.
Ce terme est apparu en Allemagne au début du 20e siècle pour décrire un ensemble de pratiques d’identification à un genre différent de celui assigné à la naissance. Il est entré actuellement dans le langage courant et fait l’objet de beaucoup de communications dans les médias et de débats.
Définir en quelques lignes l’identité c’est risquer d’être réducteur ou normatif, d’autant que certaines définitions anciennes, comme le masculin et le féminin, sont devenues obsolètes ou paraissent de nos jours très stéréotypées. Définir ce qu’est l’identité, c’est aussi risquer de diviser, de discriminer, d’opposer les peuples ou les individus. Les classifications en grandes catégories humaines (ethniques, religieuses…) font le lit des exclusions, des conflits et des guerres. On pourra lire à ce propos l’excellent livre d’Amin MAALOUF, « Les identités meurtrières ».
Sur le plan personnel, à titre d’exemple, voici comment se présente une avocate renommée dans la communauté LGBT. Après avoir décliné quelques caractéristiques de son identité (« je suis américaine, blanche, chrétienne »…), elle écrit sur son Blog : « Je suis une personne transgenre. Je ne serai jamais une Jolie Jeune Fille. Je ne serai jamais un Beau Grand Jeune Homme. Je ne suis pas fière d’être une transgenre tout comme je n’ai pas honte d’être une transgenre. Je suis qui je suis. Je suis Hélène Montreuil. Je suis une tutti frutti ou un mélange de plusieurs caractéristiques particulières qui me différencient. »
De nombreux ouvrages, récents ou anciens, ont été déjà publiés sur le changement de sexe, le transgenre ou la transidentité, certains dans une visée psychanalytique (« Changer de sexe » de Colette CHILAND), mais majoritairement de nos jours dans une visée d’accompagnement des personnes et de leur entourage (« Transidentité, les clés pour comprendre » de Aline ALZETTA-TATONE) ou, plus rarement, pour alerter sur une dérive sociale possible (« Questionnement de genre chez les enfants et les adolescents » sous la direction de Aude MIRKOVIC et Claire de GATELLIER).
Nous nous limiterons pour notre part à partager quelques réflexions sur ce sujet sensible, dans un esprit d’ouverture et de respect des différentes sensibilités.
Faire société
La question du « vivre ensemble » se pose chaque fois qu’on est confronté à l’autre : l’étranger, le « différent de soi » par sa couleur, sa religion, ses coutumes, son genre ou son orientation sexuelle…
L’inclusion du handicap (et notamment du handicap psychique) s’est développée ces dernières décennies dans les structures publiques et médico-sociales, à l’école ou dans les entreprises : prise en compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et lutte contre les discriminations.
La psychiatrie a évolué également dans la prise en charge ou la prise en compte des patients, plus soucieuse du respect des personnes qui présentent des troubles anxieux, dépressifs ou de la personnalité : information de leurs droits, recherche accrue de leur participation aux soins, souci de leur intégration sociale.
Le chemin est cependant encore long en matière d’inclusion. Acceptons-nous par exemple dans la société actuelle de vivre sans préjugés avec les personnes qui ont fait une transition identitaire ? Doivent-ils rester « suffisamment discrets », voire invisibles, pour être tolérés ?
En France, il est possible depuis 2016 de faire modifier son état civil en changeant sur les documents officiels la mention du sexe (ou du genre) et du prénom.
On peut s’en féliciter, y voir une avancée dans l’acceptation de la différence, ou s’offusquer au contraire d’une loi considérée comme illogique ou amorale. Les normes sociales évoluent d’une époque à l’autre, varient d’une société à l’autre.
Il est tout à fait compréhensible, si tel est le cas, d’être bousculé, choqué ou désemparé face à la transidentité, du fait qu’elle nous incite à réviser ou actualiser nos convictions et nos représentations relatives aux fondements ou aux invariants de l’identité.
Plus généralement, peut-on intégrer des normes sociales dans un esprit critique, sans être trop normatif et donc intolérant envers ceux qui ont d’autres modes de vie ?
Nous avons besoin de normes pour nous repérer et nous situer, mais on a tendance parfois à les imposer aux autres comme modèles de conformité ou de droiture. Beaucoup de gauchers ont été ainsi contrariés dans le siècle dernier !
Les paroles de la chanson « Kid » de Eddy de PRETTO illustrent bien l’attente normative de parents à l’égard d’un garçon : « Tu seras viril mon kid, je ne veux voir aucune larme glisser sur cette gueule héroïque et ce corps tout sculpté… » Un (vrai) homme a-t-il droit de pleurer ou d’avoir peur ?
Le langage évolue avec les normes. On qualifie désormais de « personnes cisgenres » celles qui assument bien le genre qui leur a été assigné à leur naissance, par opposition aux « personnes transgenres » qui se reconnaissent dans un genre différent de celui qui leur a été assigné. Précisons que les termes cisgenre et transgenre sont toujours précédés du mot personne.
Bien d’autres mots entrent progressivement dans le lexique de l’identité sexuée. Certaines personnes se déclarent par exemple « agenre », « intersexué non-binaire » ou encore « gender fluid » (oscillant entre le féminin et le masculin) et demandent qu’on utilise le pronom personnel « iel » à leur égard plutôt qu’il ou elle.
La communauté LGBT a été créée dans les années 90 pour défendre les droits des « minorités sexuelles ». Les acronymes se sont depuis rallongés : on parle actuellement de la communauté LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexués, asexués ou agenres), le signe + signifiant que d’autres qualificatifs existent, tels que « non-binaire » ou « deux esprits »… Quant au terme « transsexuel », il est recommandé de ne plus en faire usage, car trop connoté péjorativement et ne rendant pas compte du sentiment identitaire de la personne.
Ces nouveaux acronymes (à rallonge) illustrent la volonté des associations militantes, de défense et de soutien, de rendre compte de la diversité des orientations sexuelles d’une part et de la pluralité des identités sexuées d’autre part. En France, plusieurs associations se sont développées, telles que Acceptess-T, OUTtans, Grandir Trans ou encore Espace Santé Trans.
Toutes réclament aux pouvoirs publics de créer et respecter pour les personnes trans un environnement sûr et inclusif à l’école, au travail et dans la société, de combattre les stéréotypes et les préjugés, de respecter les prénoms et noms choisis par la personne trans, de promouvoir l’accès aux soins de santé et défendre leurs droits dans la législation.
Actuellement, de plus en plus de consultations médicales s’ouvrent aux personnes qui souffrent de dysphorie de genre pour les soutenir et les accompagner dans leur transition identitaire.
Est-ce un phénomène nouveau ?
La dysphorie de genre (sentiment pour une personne que le sexe assigné à sa naissance ne correspond pas à son identité sexuée) existait bien avant que le terme n’ait été créé. Il était cependant très difficile pour une personne qui en souffrait d’en parler sans crainte ou sans honte.
À titre de comparaison, si le mariage pour tous a été mis en place en 2013, l’homosexualité était considérée comme une perversion ou un trouble mental et figurait jusqu’en 1973 dans le DSM (manuel psychiatrique international). Si elle n’est plus, heureusement, considérée comme une pathologie et qu’il est désormais en France interdit, sous peine d’amende ou de prison, de recourir aux « thérapies de conversion » (ensemble de pratiques qui ont pour objectif de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle d’une personne), elle demeure encore illégale dans 69 pays. Dans 11 pays, les relations homosexuelles sont même passibles de la peine de mort.
La théorie dite du genre n’est pas récente : Robert STOLLER, psychiatre et psychanalyste américain, avait créé en 1954 un laboratoire de recherche sur la sexualité humaine. Il publia, en 1968, un ouvrage intitulé « Sex and Gender » dans lequel il conceptualisa la notion de gender (genre) pour désigner le sentiment de l’identité sexuée par opposition au sexe qui définit l’organisation anatomique de la différence entre le masculin et le féminin.
À sa suite, le psychologue et sexologue John MONNEY distingua l’identité de genre (le sentiment d’appartenance à un genre donné) du rôle de genre (comment se comporter dans un genre donné relativement aux normes sociales). Il élabora également une théorie sur la « plasticité du genre » sexuel qui a fait à l’époque polémique et créa le terme de paraphilie pour désigner des formes d’attraction sexuelle qualifiées jusque-là de déviantes ou perverses dans les manuels psychiatriques.
L’écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir avait, en 1949, publié « le deuxième sexe », dénonçant la domination masculine et l’assignation d’un statut fixé et déterminé aux femmes. On connaît la formule extraite du livre : « on ne naît pas femme, on le devient », qui résume bien l’hypothèse que l’identité n’est pas seulement biologique, mais qu’elle est surtout une construction psychosociale.
Il reste, 75 années après la parution de ce manifeste encore un long chemin pour atteindre une réelle égalité femmes-hommes, autoriser par exemple les femmes qui le souhaitent à accéder à la prêtrise…
Harry BENJAMIN, endocrinologue et sexologue américain avait mené au siècle dernier, dès les années 50, des travaux sur ce qu’on appelait alors le transsexualisme et le sentiment profond d’appartenir au sexe opposé, au point que l’individu transsexuel demande une transformation corporelle conforme à son identité sexuelle par des traitements hormonaux et chirurgicaux.
Les premières opérations chirurgicales de changement de sexe (vaginoplastie ou phalloplastie) datent des années 60. Actuellement elles sont complétées par une torsoplastie (traitement chirurgical de l’aspect de la poitrine et du torse).
Les changements du sexe civil sont eux plus récents. En France, la loi L.2016-1547 du 18 novembre 2016 énonce que « toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification ». La loi permet également de changer de prénom.
Les traitements hormonaux et les opérations chirurgicales de transition de genre sont désormais remboursés par l’assurance maladie de base si les conditions sont remplies auprès du médecin-conseil de l’assurance du patient.
Cependant des dispositions restrictives s’appliquent pour les mineurs, nécessitant selon le type de demandes (changement officiel du prénom, traitement hormonal, intervention chirurgicale sur les organes génitaux ou sur les seins) l’accord du détendeur de l’autorité parentale.
Le nombre de personnes dysphoriques de genre, tous âges confondus, n’est pas vraiment connu.
En France, l’association ORTrans estimait, en 2018, à 15 000 le nombre de personnes transgenres. Le ministère des Solidarités et de la Santé estimait quant à lui ce nombre entre 20000 et 60000 en 2022. Certaines études évoquent plusieurs millions de personnes transgenres dans le monde. Il est en fait difficile d’avoir des chiffres fiables.
Il est probable que le nombre de demandes d’accompagnement vers la transition identitaire augmentera dans le temps, du fait d’une part de la loi de 2016 et d’autre part de la plus large diffusion médiatique sur la question. Des personnes trans actuellement « invisibles » feront alors leur « coming-out » assumant le risque de l’incompréhension de leur entourage, mais pour affirmer leur existence.