Une foi crédible
Seconde partie de l’intervention du pasteur Christophe Cousinié sur le christianisme libéral : « Une foi crédible dans un monde sécularisé » (voir la première partie : Le christianisme libéral de Jésus à Ferdinand Buisson.)
La sécularisation
Aujourd’hui le pasteur ou le curé n’est plus le troisième personnage le plus en vue dans le village à côté du maire et de l’instituteur. Nous vivons dans un monde sécularisé. C’est un des traits de notre modernité, la place du religieux n’est plus centrale ou prépondérante et quand elle n’est pas reléguée à un système de pensée archaïque, elle est cantonnée au domaine privé que l’on veut de plus en plus restreint. Ce phénomène s’appelle la sécularisation.
Originellement, la sécularisation était le fait que des territoires qui appartenaient à l’Église passent aux mains de propriétaires civils. En droit canon c’est aussi le passage de l’état de clerc à celui de laïc. À partir du XIXe siècle, sa signification porte sur l’autonomie des structures politiques et sociales par rapport aux religions. C’est en ce sens qu’il est caractéristique de la modernité selon Jürgen Habermas et qu’il a été étudié par des sociologues tels que Durkheim, Troeltsch ou Max Weber. Ce dernier inscrit la sécularisation dans le phénomène plus large de désenchantement du monde et de rationalisation. Si la sécularisation concerne la société dans son ensemble, il ne faut pas la confondre avec la laïcisation qui, elle, ne touche que les institutions.
On peut donc dire que la sécularisation est le processus d’exclusion de l’idée de Dieu. Car non seulement le pouvoir des religions est mis de côté, mais l’idée même du sentiment religieux est mise de côté. Il existe plusieurs facteurs à cette sécularisation. Le premier d’entre eux est sans doute ce qu’on peut appeler le progrès.
Le progrès technique
Le progrès technique tout d’abord qui fait passer la société d’une situation de peur et de précarité à celui de sécurité et de loisir. Quand on ne sait pas si la récolte dont dépend la survie de la famille va être bonne ou mauvaise, quand on a une chance sur deux de perdre un enfant dans les premiers mois ou premières années de sa vie si ce n’est pas la mère qui meurt en couche, il faut avoir un Dieu en qui se confier, soit pour demander, soit pour espérer, soit pour s’échapper (idée d’une vie meilleure après celle-ci). Mais plus l’espérance de vie augmente, plus les conditions de travail s’améliorent, plus les droits sont favorables, plus les loisirs sont accessibles et démocratisés, moins la religion est nécessaire.
Rationalisation
Le progrès technique n’est pas le seul facteur de sécularisation. Un autre, dont le progrès technique dépend d’ailleurs, est ce que l’on peut appeler la rationalisation. On peut apparenter cette rationalisation au mouvement de pensée qu’on appelle les Lumières. Le fait de placer la raison au-dessus de la foi et de la croyance ouvre une brèche dans l’absolutisme religieux et dans l’obscurantisme et le superstitieux qui l’accompagnent. Notons que ce mouvement des Lumières est l’héritier des idées de la Renaissance. C’est une maturation de ces idées.
Dégager le religieux de la compréhension du monde, permet aussi de libérer le monde du religieux et permet donc le progrès technique et le progrès de la médecine. Cette rationalisation du monde se poursuit et on pourrait même aller jusqu’à dire que nous en voyons aujourd’hui le résultat dans une forme d’absolutisme scientiste. Le transhumanisme pourrait être considéré comme une religion de la science qui viendrait définitivement exclure Dieu puisque l’humain augmenté le remplacerait.
Désenchantement du monde et réenchantement du monde
J’aime particulièrement l’expression du sociologue Max Weber (1917) qui parle de « désenchantement du monde ». Le monde n’est plus la forêt enchantée des fées, des sorcières et autres lutins. [Le mot enchantement est né du latin incantare, qui signifie « ensorceler », prononcer une parole censée produire des effets immédiats dans le monde. Le mot désenchantement se réfère par conséquent à l’idée de disparition de discours et de pratiques incantatoires. On appelle plus Dieu à la rescousse du monde !
Ce désenchantement du monde peut être perçu de manière positive, car, comme on l’a vu, il est un indice du progrès social. Mais il peut également être perçu de manière négative en ce sens qu’il correspond à une perte de sens et un déclin des valeurs. La religion étant considérée comme porteuse de sens et garante de valeur [l’idéologie politique peut aussi jouer ce rôle surtout quand elle devient religieuse comme le communisme].
Si on parle de désenchantement du monde, on peut aussi trouver des tentatives de réenchantement du monde. Et comprend pourquoi les courants les plus conservateurs sont ceux qui vont proposer un religieux ou Dieu retrouve sa place. Non pas qu’on la lui cède, mais il vient la reprendre. Exemples : créationnisme, les questions éthiques, le retour du miraculeux… mais plus encore, le complotisme souvent soutenu par les mouvements les plus fondamentalistes.
On retrouve alors deux sortes d’absolus qui s’opposent, mais aussi s’entretiennent. D’un côté ceux qui excluent Dieu et de l’autre ceux qui l’imposent. Plus l’un exclut, plus l’autre l’impose et plus un l’impose plus l’autre l’exclut. Et si le phénomène de sécularisation met Dieu dehors, on peut tout autant dire que les tentatives de contrecarrer ce phénomène sont autant de raisons de mettre Dieu dehors.
Les raisons de mettre Dieu dehors
La vision que nos contemporains ont de Dieu est toujours une vision très archaïque. Cela peut nous paraître étonnant, car l’apport de la Réforme, de la philosophie des Lumières, de celle de Kant, les évolutions théologiques du 19e et du 20e siècle, ont énormément modifié, aussi bien la vision que nous avions du divin, mais aussi les définitions que nous pouvions donner de la religion et de sa place. Mais il faut reconnaître que nous avons bien trop souvent cantonné ces avancées théologiques à des discours intellectualistes et accessibles à quelques rares initiés. Le Dieu des facultés de théologie a du mal à être le Dieu du paroissien du dimanche. À cela il faut ajouter la médiatisation des réenchanteurs de monde (les ensorceleurs). Je pense ici à tous les fanatismes et les intégrismes, et aux dogmatismes les plus étroits, qui ne parlent pas plus, mais crient plus fort.
Le contemporain lambda conserve donc une vision de Dieu d’un autre âge. Parfois cette image a aussi du mal à quitter les bancs de nos Églises tant le catéchisme reçu un temps était porteur de cette image. Ce Dieu que la raison du 21e siècle ne peut accepter est donc mis dehors et, pour reprendre les mots de Wilfred Monod, de ce Dieu-là j’en suis athée.
L’évolution de la religion
Alors que faut-il faire ? Abandonner toute référence à Dieu ? devons-nous déclarer la fin du christianisme ? La sécularisation aurait-elle raison de la religion ?
Répondre par l’affirmative ne serait pas juste. Certes pour certains, dans les courants conservateurs, il est nécessaire de lutter contre la sécularisation, de la considérer comme néfaste, comme une régression de l’humanité ou même pour les plus radicaux comme la victoire de Satan. Mais je pense fortement qu’au lieu de lutter contre la sécularisation il faut apprendre à l’habiter. Là aussi on nous fera le reproche de nous adapter au monde dans une forme de compromission. Mais lutter contre ce qui est l’évolution de notre monde, cela revient à nier la religion elle-même.
Je m’explique. Schleiermacher définit la religion comme : une intuition et un sentiment. La religion veut intuitionner l’univers. Buisson, dans un magnifique texte où il explique comment en regardant le ciel et son immensité il prend soudainement conscience de sa place dans l’univers, écrit « C’est bien le sens du réel qui m’étreint à la gorge quand tout à coup je me réveille du rêve ordinaire où l’habitude me berce, pour prendre conscience en un clin d’œil de ce qu’est le monde et de ce que j’y suis. ». Ainsi donc la religion, avant même d’être une institution, est un sentiment qui provient de cette rencontre entre le monde et l’individu. S’il y a décalage, c’est-à-dire que l’individu n’est plus dans l’intuition de l’univers qui l’entoure, alors il n’y a plus de fondement religieux et dès lors la religion n’est plus religion, elle n’est qu’institution.
Donc pour que la religion reste religion, il faut constamment intuitionner l’univers et le monde dans lequel nous vivons. La religion a besoin d’être en évolution pour rester religion. Le philosophe Jean Marie Guyaux écrit : « L’être religieux, c’est celui qui n’est pas satisfait de telle ou telle sensation bornée, qui cherche partout l’au-delà, en face de la vie comme en face de la mort, en face de la nature comme en face de lui-même. […] La religion est pour ainsi dire un langage par lequel les hommes ont cherché à traduire une même aspiration intérieure, à se faire comprendre du grand être inconnu. »
Processus d’évolution
Il faut être lucide sur le processus d’évolution de la religion. Dès les débuts de l’humanité, il y a eu le sentiment religieux. Quand on regarde longtemps en arrière, les premiers rites des premiers humains, on peut voir quelque chose de simple, de primitif, presque d’une compréhension magique des choses. Puis petit à petit, en grandissant, l’humanité a commencé à donner des noms aux phénomènes qu’il voyait. Ainsi il y a eu le dieu du feu, du tonnerre, de la pluie. Puis les phénomènes sont devenus des attributs des dieux. L’éclair dans les mains de Zeus, l’amour dans les yeux d’Aphrodite, la beauté dans le corps d’Apollon, la raison sous le casque d’Athéna.
Et ailleurs, dans un autre panthéon, un peuple fait une progression significative. Il ne nie pas l’existence des dieux de ses maîtres, mais il décide de croire en Dieu unique, supérieur en pouvoir aux autres dieux. Un Dieu qui conduit, qui libère et donne une terre. Un Dieu aussi qui commande, qui donne une loi et qui parle à travers des prophètes. Ce dieu unique et législateur connaîtra encore une évolution. Un jeune charpentier de Galilée va présenter ce dieu non plus comme un simple législateur et un juge, mais comme un père. Une relation à lui qui ne se base pas sur l’obéissance, mais sur la confiance. Non plus un dieu froid et lointain, mais un père qui aime. Les miracles qu’il fait sont l’expression du bon message que Dieu adresse à travers son élu, son choisi, son messie. Cet homme, quand ces disciples l’apporteront jusqu’en terre grecque, deviendra le verbe de Dieu et deviendra Dieu.
Et il faut, me semble-t-il, accepter que le mouvement se poursuive, car il n’y a aucune raison d’affirmer que le mouvement est terminé. L’histoire nous oblige. « [la religion] ne peut pas échapper à la loi universelle de l’histoire ; ou elle se développera avec l’humanité, ou l’humanité se développera sans elle. » C’est exactement là où nous en sommes. La sécularisation n’est rien d’autre que le développement de l’humanité sans religion. Comment réhabiter cette sécularisation ? Le christianisme libéral est-il un développement de la religion qui lui permette de rester au cœur de l’humanité ?
Entre négation et affirmation
Il serait trop long ici de me lancer dans la différence entre un libéralisme chrétien et un christianisme libéral. Mais pour faire rapide, il peut y avoir dans le christianisme quelque chose de libéral. Mais c’est toujours par rapport à autre chose. Ainsi le christianisme est plus libéral que le judaïsme ou l’Islam dans le sens où il est moins légaliste (rapport loi/foi). On peut aussi trouver que le protestantisme est plus libéral que le catholicisme, particulièrement sur la question de l’autorité. Mais le christianisme libéral est tout autre, j’ai envie de dire qu’il s’agit d’une théologie à part entière, presque une autre religion que le christianisme dogmatique.
Bien trop souvent, quand on veut dire ce qu’est un protestant ou ce qu’il croit, on commence par dire ce qu’il n’est pas et ce qu’il ne croit pas.
« Un protestant c’est quelqu’un qui n’est pas Catholique », « un protestant ne croit pas en la vierge et n’a pas de Pape ». De manière plus générale, et vous devez sans doute en faire l’expérience régulièrement, en tant que catholiques vous avez souvent à dire ce à quoi vous n’adhérez pas. Vous êtes dans cette forme de négation.
Pour reprendre la pensée de Samuel Vincent, à propos du protestantisme (il écrit en 1829), mais cela peut tout aussi bien s’appliquer au christianisme libéral en général, je vous cite ce qu’il écrit à ce sujet : « La religion protestante ne doit pas être seulement la rivale de la catholique ; elle doit avant tout être une religion […] elle ne doit pas être seulement une négation ; elle doit avoir aussi sa partie réelle et positive. Du principe, elle doit passer à l’application. »
Jean Réville souligne, quant à lui, que la négation est nécessaire pour reconstruire. Le christianisme libéral est une négation, notamment parce qu’il rejette un grand nombre de doctrines traditionnelles catholiques ou protestantes. Mais si une réforme se présente nécessairement d’abord par son côté négatif, pour reconstruire ou pour réparer, il faut commencer par démolir. Et Réville ajoute « que rien n’est plus inexact que d’assimiler le christianisme libéral à un bloc de négations. »
Donc, le christianisme libéral n’est pas une contre-confession de foi. Ce n’est pas juste un négatif de photo. Car dans ce cas il serait la même chose que ce qu’il compte nier et il serait tout aussi dénonçable que ce qu’il veut dénoncer. Une religion à rebours comme le dirait Ferdinand Buisson. Si nous voulions définir le christianisme libéral, nous prendrions le risque de passer à côté de l’entreprise, car par principe, il est indéfinissable. Et dès lors que l’on donnerait une définition, nous en viendrions à donner un corpus doctrinal et il ne serait donc plus un christianisme libéral. On pourrait peut-être juste dire que la doctrine du christianisme libéral est justement de ne pas avoir de doctrine. Jean Réville le présente ainsi : « L’ambition du christianisme libéral, la mission qu’il aspire à remplir dans la société contemporaine, c’est justement de concilier la tradition et le progrès, de conserver ce qu’il y a de bon et de durable dans les expériences religieuses du passé, en le dégageant des formes vieillies et désormais inacceptables qui en compromettent la valeur pour l’esprit moderne, et de le combiner avec la culture spirituelle contemporaine, avec les besoins et les expériences du présent, avec les légitimes exigences de l’avenir. ».
L’irréligion du présent et la religion de l’avenir
Comme je le disais, définir le christianisme libéral serait le trahir. Il faut le considérer plutôt comme une palette de pensées et de croyances qui se développe entre négation et affirmation.
Le philosophe Guyau écrit en 1887 une étude sociologique à laquelle il donne comme titre : « l’irréligion de l’avenir », étude dans laquelle il reprend divers éléments que nous venons de rencontrer et montre la transformation de la religion en une irréligion (notons que l’irréligion n’est pas l’athéisme, c’est une sorte de sortie de la pensée spirituelle du carcan des religions instituées, mais c’est un autre sujet). « À l’humanité passant de l’âge de la religion à celui de la morale et de la science ; il n’arrive pas autre chose qu’à l’enfant devenant adolescent, à l’adolescent devenant homme ». Ferdinand Buisson va présenter un christianisme libéral qui passe, en son temps, pour de l’irréligion. D’ailleurs il en est tout à fait conscient et il dira que ce qui passe pour l’irréligion d’aujourd’hui sera la religion de l’avenir. Selon Buisson, le christianisme libéral doit être entendu comme « une religion ayant pour but unique le perfectionnement spirituel de l’homme et de l’humanité ».
Il veut :
Une Église, mais sans sacerdoce,
Une religion, mais sans catéchisme,
Un culte, mais sans mystères,
Une morale, mais sans théologie,
Un Dieu, mais sans système.
Pour aller plus loin, il écrira :
« Une religion de liberté qui défende à l’homme de fléchir devant une autorité infaillible, pape, Bible ou synode ;
Une religion de conscience, qui ne fasse croire à personne que son salut dépend de telle ou telle opinion ;
Une religion de raison, qui n’étouffe jamais l’essor hardi de la pensée, mais encourage la science et prêche le progrès ;
Une religion d’action, qui habitue à considérer comme hommes religieux, non pas ceux qui ont le plus de foi dogmatique, de formules pieuses ou de sentimentalité mystique, mais ceux qui en réalité font plus d’effort pour être bons ;
Une religion d’égalité, qui donne à tous non seulement les mêmes moyens de les remplir en ôtant toute raison d’être à la tutelle dogmatique d’un clergé quelconque ;
Enfin et surtout, une religion d’amour qui rapproche, qui apprend aux hommes à s’entraider et à s’entr’aimer pour le bien commun de l’humanité. »
Je me doute que pour beaucoup, embrasser cette vision est déjà aller trop loin et peut passer pour une pensée qui n’a plus rien de chrétienne. Encore une fois, cela nécessite de penser le christianisme libéral non pas comme quelque chose de défini, mais comme une palette de couleurs dont cette pensée sera pour certains à l’extrême. Mais comme le disait le théologien Paul Tillich : « l’esprit de l’utopie est la force du nouveau » ou bien encore « on accède à de véritables nouvelles connaissances qu’en brisant les tabous ».
À ce stade de ma réflexion, je ne sais pas si j’ose aller plus loin, mais je prends quand même le risque et nous pourrons, bien sûr, en discuter par la suite. Félix Pécaut dans une conférence sur la question du miracle, dit « La question, la vraie question, est aujourd’hui de savoir si la religion, la foi religieuse avec tous les biens qui en découlent, repose sur une autorité extérieure, surnaturelle, indiscutable, absolue ; ou si, dans cet ordre spirituel comme dans tous les autres, la foi repose sur la vue directe des choses, sur la connaissance de la vérité par nos facultés naturelles. »
Qu’est-ce que cela implique dans l’annonce d’une foi crédible dans un monde sécularisé ? Je m’arrêterai sur quatre points qui aujourd’hui me semblent essentiels.
Le premier est la question de l’autorité du texte ou plus exactement du rapport au texte biblique. La Bible a-t-elle été dictée d’une manière surnaturelle ou seulement qu’elle est la plus pure, la plus haute expression de l’âme humaine ? Il nous semble qu’il faut faire une distinction entre la Bible comprise comme étant la Parole de Dieu, dans ce cas aucune interprétation possible, ou si elle contient la parole de Dieu, et donc chaque lecteur est invité à entendre une parole qui vient en résonance avec son vécu, son histoire, son expérience. La lecture historico-critique, voire même sémiotique, est alors privilégiée.
Le second, qui découle de la première, est la question du miracle. Question sans doute vite résolue, mais qui mérite d’être clairement dite. Il semble évident que prendre les miracles passés ou présents pour des réalités est une manière d’aller contre la raison et les consciences. Il me semble que tout l’enjeu est d’avoir une lecture symbolique des miracles. Placer dans le surnaturel une parole c’est la couper radicalement de ce naturel qui aujourd’hui domine. Notre monde et notre raison ne peuvent plus adhérer, sans passer par le symbole, à ces histoires incroyables.
Le troisième, qui peut sembler d’un autre temps, mais qui pourtant resurgit régulièrement, est la question de la divinité du Christ. Là aussi il me faudrait une autre conférence sur ce sujet, mais ce dogme est une construction qui aujourd’hui nous questionne. En plaçant le Christ, révélateur d’une parole divine, en position d’égalité avec Dieu, nous passons à côté de son message. Dans l’Évangile, Jésus annonce l’Évangile en disant « le Royaume de Dieu s’est approché » autrement dit, « il est ici ». En faisant de Jésus un Dieu, on fait de sa personne l’Évangile et non plus ce qu’il est venu proclamer.
Enfin, le quatrième point et qui là aussi ne peut pas se résoudre en une phrase, mais qui me semble encore plus essentiel que tous les autres (ou du moins tous les autres découlent de celui-là seul) est la question du Dieu personnel. Je ne vais pas me risquer ici à une réponse trop rapide alors je vous la laisse sous forme de question : est-ce que l’évolution nécessaire de la religion, n’impose pas aujourd’hui de passer de la compréhension d’un Dieu personnel (Dieu en tant que personne) à une compréhension d’un Dieu idéal (Dieu étant un idéal du bien, du beau et du vrai) ? Cela pourrait presque se résumer dans le choix entre un humain théomorphe et non pas un divin anthropomorphe.
Je conclus cette partie avec ces mots de Ferdinand Buisson : « La controverse théologique a fait son temps […] on ne tue pas un dogme à coups d’arguments […] les dogmes meurent tout seuls, quand l’idée qu’ils représentent est tombée en désuétude, quand l’esprit humain ne peut plus la comprendre, ou, ce qui revient au même, la comprend trop. […] Le dogme a cessé de vivre dans nos consciences, parce qu’il n’y pouvait plus vivre. »
Et dans Le fond religieux de la morale laïque, il écrit : « Êtes-vous sûrs que ne pas croire à votre Dieu soit nécessairement être sans Dieu ? On peut se refuser à le concevoir comme une personne, en se souvenant que la personne est un être limité, qui vit dans le temps et dans l’espace ; on peut soutenir que c’est une conception plus digne de l’être infini, de se le représenter comme plus que personnel. Vous dites que c’est l’athéisme ? On est toujours l’athée de quelqu’un. Socrate et Jésus ont été mis à mort pour outrage à la divinité. »