BRÉSIL – Un appel à démasculiniser l’Église : Pourquoi la hiérarchie a-t-elle peur des professeures noires dans les facultés de théologie ?
Gabriel Vilardi
Après des décennies de persécutions des théologiennes et théologiens qui ont osé s’interroger, on a encore aujourd’hui une Église bâillonnée et lâche. Si une partie de la hiérarchie ecclésiastique vit un schisme blanc avec la papauté de François, ignorant solennellement ses réformes et ses tentatives, une autre partie considérable du laïcat est confortablement anesthésiée et il y a bien peu de manifestations publiques contre les positions officielles. Combien de temps les femmes seront-elles seules ?
L’article est de Gabriel dos Anjos Vilardi, jésuite, titulaire d’une licence en droit à la PUC-SP (Université catholique pontificale de São Paulo) et d’une licence en philosophie à la Faculté jésuite de philosophie et théologie (FAJE). Il prépare un master de droit au sein du Programme de spécialisation en droit (PPG) de l’université de la Vallée du Rio dos Sinos (Unisinos) [1], il fait partie de l’équipe de l’Institut Humanitas Unisinos (IHU).
À la fin du mois de novembre 2023, le pape François, rencontrant les membres de la Commission théologique internationale, a demandé instamment et sans ambigüité de démasculiniser l’Église à partir de la théologie. Il a constaté qu’il n’y avait que cinq femmes parmi les 28 membres de la commission, c’est-à-dire moins de 18 %. Un chiffre qui, bien que scandaleusement bas, reste supérieur à l’absence totale de femmes dans la hiérarchie ecclésiastique, constituée uniquement d’hommes. « Elles sont seules », a déclaré le souverain pontife. Le sont-elles vraiment ?
Il vaudrait mieux que le pape se trompe sur ce point, mais, de manière inquiétante, c’est la réalité la plus pure et la plus choquante. Au fil des siècles et en niant l’essence d’un christianisme libérateur, les femmes ont été emprisonnées dans des schémas patriarcaux rigides et elles ont été de plus en plus réduites au silence. Appuyées sur des mentalités misogynes enracinées, ces conceptions théologiques ecclésiales ont prévalu et ont rejeté plus de la moitié des baptisés dans une marginalité obscure, en particulier au sein des espaces de prise de décision dans l’Église.
Au début de l’ère François, avec les désirs de réforme latents, les attentes étaient énormes sur ce point. Mais elles ont été frustrées au cours des onze années de ce pontificat. Il est vrai que le nombre de femmes occupant des postes élevés de la Curie romaine a considérablement augmenté, elles arrivent à des fonctions jamais occupées auparavant. Cependant, les lois canoniques restent intactes et l’ancienne inégalité des sexes est perpétuée dans les dicastères et les basiliques du Vatican.
Malheureusement, il n’est pas nécessaire d’aller à Rome pour comprendre comment le pouvoir dans l’Église est un monopole masculin. Cette réalité néfaste s’étend depuis le sommet des diocèses jusqu’à la base de n’importe quelle paroisse. Bien qu’elles soient majoritaires dans les communautés ecclésiales, les chrétiennes sont traitées comme des fidèles de seconde classe. Même si elles sont responsables de la transmission de la foi par la catéchèse et du bon déroulement du culte par les équipes liturgiques, le dernier mot est toujours à l’homme-prêtre. Et si elles ont besoin de faire appel contre un type d’abus ou d’autoritarisme, la décision sera prise par un homme-évêque. Au mieux, si elles peuvent surmonter les barrières, elles peuvent atteindre des hommes-cardinaux. Alors, seront-elles écoutées ?
Cette absence de place pour les femmes dans l’Église n’est pas limitée à l’exercice de l’autorité. Cette exclusion s’étend aussi à l’enseignement. En fin de compte, c’est aussi en contrôlant la connaissance que le pouvoir s’exerce. Leur accès aux études et à la formation a été historiquement interdit ou limité et leur accès à l’enseignement universitaire a presque toujours été une infime exception. Combien d’enseignantes sont responsables des disciplines du noyau dur des cours de théologie ? En nombre et en proportion, elles sont extrêmement peu nombreuses.
Les programmes de théologie au Brésil, même dans les facultés les plus ouvertes, malgré quelques petits espaces de résistance, sont fortement européocentrés et enseignés du point de vue des hommes. Ces derniers occupent les postes de coordination des cours, les directions des facultés et des départements et, dans leur grande majorité, les présidences. Les hommes sont les véritables maîtres du pouvoir.
Invariablement, il n’y a pas de place pour les théologies dissidentes, qu’elles soient féministes, autochtones, noires ou queers. Combien de richesses perdues pour une pensée critique, qui aiderait à lire la réalité de ce temps, à cause de ce cadre d’uniformité et de diversité restreinte ? Peut-être que pour les recteurs des séminaires et les évêques formateurs c’est trop menaçant d’oser penser différemment.
« La théologie monoculturelle et européocentrée a légitimé la construction et la perpétuation de l’état de Maaf, c’est-à-dire de l’holocauste noir, alimentant l’imaginaire socioculturel de la négation de l’imago Dei d’une part considérable de l’humanité. Sous cet holocauste noir, qui emprisonne le corps et l’esprit des noirs, la population afrodiasporique lutte pour récupérer et reconstruire son existence, en mettant en œuvre des pratiques, des espaces et d’autres conditions de réexistence et d’humanisation, provoquant tout au long de l’histoire de la domination des fissures authentiques dans l’ordre hégémonique du système-monde moderne-colonial [2]. »
Mais comme une lumière au milieu d’une Église acculée, le pape François avertit : « Si nous ne comprenons pas ce qu’est une femme ni quelle est la théologie d’une femme, nous ne comprendrons jamais ce qu’est l’Église. » « L’un des grands péchés que nous avons commis a été de masculiniser l’Église », a déclaré le sage pontife. Il serait certainement indigné d’apprendre ce qui s’est passé à la Faculté de théologie de l’Université pontificale catholique de São Paulo (PUC-SP).
Autre bastion de résistance aux terribles années de la dictature civile et militaire, l’université a joué un rôle lors de ce triste épisode, encore à expliquer, qui contrevient aux appels de l’actuel successeur de Pierre. C’est la même institution, la PUC-SP, qui avait comme plus haute autorité le cardinal de l’espérance, Dom Paulo Evaristo Arns, symbole de la lutte contre l’autoritarisme.
Le franciscain a marqué l’histoire en nommant la première femme rectrice d’une université catholique au monde, la professeure Nadir Kfouri (1976-1984). Courageuse, lorsque l’université a été envahie par le truculent colonel Erasmo Dias en 1977, l’enseignante a refusé de saluer le bourreau de ses étudiants en lui disant : « Je ne serre pas la main à des assassins. » Elle n’a pas ménagé ses efforts, en se mettant en danger, pour défendre les droits des étudiants arrêtés selon l’arbitraire des casernes.
Avec la note n° 20/2023, la Faculté de théologie Notre-Dame de l’Ascension a entamé le processus de sélection pour le recrutement d’un enseignant. Le poste était destiné à un ou une candidate noire et de préférence à une femme. Ainsi, la commission responsable a classé dans les trois premières positions, les professeures Marina Aparecida Oliveira do Santos Correa, Cleusa Caldeira et Célia Maria Ribeiro. Il arriva de manière surprenante et inexplicable que le Grand Chancelier de la PUC s’arrogea le droit de nommer un prêtre classé en quatrième position.
Il n’est pas question ici de la légitimité juridico-canonique du cardinal de São Paulo, Dom Odilo Pedro Scherer, pour procéder de cette façon, ni même de la compétence du candidat choisi. Toutefois, ce qui a été imposé de manière étrange, c’est l’exclusion des trois femmes proposées en priorité, et reconnues aptes à l’exercice de la fonction par le comité des enseignants de leur propre établissement.
On ne voit pas très bien quelles ont été les véritables raisons qui ont conduit l’archevêque à prendre cette décision, passant outre la fiche de poste qui recommandait l’embauche d’une professeure puisqu’il y avait plus d’une candidate qui correspondait au profil demandé par l’institution. N’y avait-il pas là une occasion idéale de suivre l’exemple et les exhortations du pape François à démasculiniser l’Église, en ouvrant un espace à l’une des femmes proposées ? S’il y avait une préférence expresse pour des candidates femmes et que le prêtre sélectionné était classé derrière les trois théologiennes dans le processus de sélection, pourquoi a-t-il été choisi par le cardinal ?
De nombreuses questions restent sans réponse et doivent être examinées par qui de droit. L’heure d’une Église fermée sur elle-même a ses jours comptés. Y a-t-il un espace réel et effectif pour les femmes dans l’Église ? Pourquoi cette position de subordination humiliante et de réduction au silence ? Combien de temps ces femmes, chaque jour outragées et reléguées sous la tutelle masculine, tolèreront-elles un tel scandale ? Abandonneront-elles l’Église comme beaucoup le font en Europe, déçues et lasses de promesses vides ? Qu’adviendra-t-il du peuple de Dieu sans pleine participation des femmes ?
Après des décennies de persécutions des théologiens et théologiennes qui ont osé s’interroger, on a encore aujourd’hui une Église bâillonnée et lâche. Si une partie de la hiérarchie ecclésiastique vit un schisme blanc avec la papauté de François, ignorant solennellement ses réformes et ses incitations, une autre partie considérable du laïcat est confortablement anesthésiée. Peu de manifestations publiques s’opposent aux positions officielles. Combien de temps les femmes resteront-elles seules ?
Devant cette situation alarmante d’injustice à l’égard des trois collègues, quelles ont été les réactions des associations de théologiens et théologiennes hors du Brésil ? Le silence a été assourdissant et servile par crainte des représailles. Où sont les voix lucides et prophétiques du laïcat et de la vie religieuse consacrée ou des intellectuels chrétiens ? Cette tâche de démasculinisation de l’Église n’est pas seulement celle du pape, mais de chacun et chacune des baptisés. Si les prophètes et les prophétesses se taisent, que parlent les pierres ! Que la divine Ruah secoue les eaux d’une nouvelle église, où les femmes enfin auront une voix et une place !
Notes :
[1] Unisinos est une université jésuite située dans le Rio Grande do Sul – NdT. [2] Caldeira, Cleusa. « Teoquilombismo : entre Teologia Política e Teologia da Inculturação ». Dans : 50 anos de Teologias da Libertação : memória, revisão, perspectivas e desafios. São Paulo : Recriar, 2022. p. 81.Source (portugais du Brésil) : Institut Humanitas Unisinos (IHU), 6 avril 2024.
Traduction de Pedro Picho pour Dial : https://www.alterinfos.org/spip.php?article9462