Écoféminisme et spiritualité
Christiane Bascou
Féminisme et religion n’ont pas souvent fait bon ménage, les organisations religieuses ayant, de tout temps, contribué à l’infériorisation sociale des femmes dans des rôles identitaires d’aidantes, d’épouses soumises et surtout de mères.
Féminisme et écologie
L’écoféminisme, né en France dans les années 70, s’est surtout développé après Tchernobyl (1986) et ses conséquences environnementales et sociales pour l’humanité, mais spécialement pour les femmes. Dans les périodes de troubles, guerre ou conflit, ce sont les femmes qui maintiennent les conditions de la vie, mais à Tchernobyl, elles ont vécu jusque dans leur propre corps (grossesse, allaitement) le désespoir de donner aux enfants une nourriture rendue nocive par les retombées radioactives dans l’eau, le sol et les aliments. D’où la volonté qui a émergé de faire quelque chose pour changer cette société « sans contrôle » qui exploite les ressources naturelles sans aucun souci du maintien de la vie, comme elle exploite le « deuxième sexe ».
Spiritualité écoféministe
La spiritualité chrétienne, fortement centrée sur l’humain, a contribué à une notion de domination de la Nature, comme si elle n’était qu’un simple cadre d’exploitation et de consommation et la Terre, simple objet de profit. La spiritualité écoféministe, par contre, indique que nous sommes interdépendant-e-s les un-e-s des autres et des écosystèmes, l’être humain faisant partie du corps de la Terre vivante.
La spiritualité catholique, affaire d’hommes, s’est enracinée dans la représentation d’un dieu père tout puissant et de symboles de pouvoir à visage masculin. Ce pouvoir d’Église, lié à la transcendance, exerce sur les femmes une véritable violence symbolique et physique, que l’on retrouve dans les religions où n’existe pas d’égalité de genre. Cette forme de transcendance empêche le respect de ceux et celles qui sont différent-e-s et véhicule une légitimation pour les inégalités sociales, raciales, genrées, etc.
Les féministes chrétiennes, elles, loin de l’approbation ecclésiastique officielle et de l’infériorité coupable instillée par le christianisme historique, préfèrent dire que l’amour, la tendresse, la solidarité les animent. Elles veulent parier sur la justice dans toutes les relations, sur la possibilité du bonheur même fragile, se focalisent sur la réalité concrète et non sur les principes abstraits pour trouver un sens à la vie. Elles interpellent l’Église en donnant la priorité aux groupes humains opprimés à cause de leur sexualité, surtout dans les milieux pauvres. Elles mènent aussi un combat pour changer le contenu des théologies, proposer d’autres lectures de la Bible comme le font les musulmanes avec le Coran.
Dans un couvent mexicain, les religieuses, écoféministes, à partir de leurs expériences de vie, ne disent plus « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », mais plutôt « Au nom de la source de la vie, de l’amour qui nous habite, de l’effort que nous faisons pour devenir vraiment sœurs », témoignant d’une spiritualité inclusive, à laquelle les personnes non religieuses ni croyantes peuvent participer et se sentir bien.
Les écoféministes du Brésil font aussi le choix de ne pas avoir de lieux physiques spécifiques, mais préfèrent parler du choix politique, culturel et spirituel qu’elles font : dans les rencontres de mouvements de femmes agricultrices, femmes sans terre, il y a d’abord un moment de silence où on essaie de reprendre l’ordinaire de la vie, qui est le lieu de la spiritualité (et non les artefacts des églises), silence, musique, écoute, attention aux choses qui arrivent, aux plantes qui ont poussé ou pas, à l’enfant qui a pleuré, celui qui est malade… La spiritualité fait prendre conscience de l’interdépendance et de la coopération entre hommes, femmes, générations, Terre, cosmos.
Spiritualité et activisme
La spiritualité au féminin implique de déconstruire les identités que la culture patriarcale a plaquées sur nous, femmes et hommes, de se retrouver soi-même comme personne de droit, de changer notre rapport aux autres et au monde. Elle s’incarne dans la vie quotidienne, les petits gestes, les paroles vraies. Elle invite chacune à repenser sa propre identité, à évoluer afin d’améliorer le sort des femmes, certes, mais surtout d’œuvrer pour plus d’égalité, de partenariat, de solidarité dans le domaine religieux comme dans la société.
Ce texte est un condensé de l’analyse de 2007 sur la pensée d’Ivone Gebara, théologienne du Brésil, disponible sur le site http://www.universitedesfemmes.be
Source : Les Réseaux des Parvis n°126