« La résistance au pape comprend plusieurs cardinaux et des groupes américains très riches et puissants », selon Austen Ivereigh
Par Juan Paulo Iglesias
Le journaliste britannique Ivereigh, qui prépare un nouveau livre sur la résistance au Pape actuel, assure que la cour autour du Pape émérite est une source de division au Vatican.
Sur le Chili, il assure : « Un des facteurs de la crise dans l’Église a été la politique tendancieuse introduite par Sodano ».
(religiondigital)
Austen Ivereigh connaît bien le pontificat actuel. Non seulement il a publié en 2014 « Le Grand Réformateur », considéré comme l’une des biographies les plus complètes du Pape, mais il a également suivi de près l’activité de François au Vatican pour divers médias spécialisés. Et au cours des trois dernières années, il a travaillé, non sans difficulté, à un nouvel ouvrage dont le nom est révélateur : « Berger blessé, le Pape François et sa lutte pour convertir l’Église catholique ». Dans le cadre de ce travail, il étudie en profondeur la résistance à laquelle Jorge Mario Bergoglio est confrontée depuis son élection en mars 2013, après la démission surprenante de Benoît XVI.
De passage au Chili, où il a donné une conférence à l’Université Catholique et où il participera à une retraite avec la communauté jésuite locale, le fondateur de « Catholic Voices » s’est exprimé dans « La Tercera » au sujet du Pape, de la crise des abus et de l’opposition ouverte des secteurs traditionalistes qui l’accusent d’être un hérétique. Au cours de cet entretien, il n’a pas manqué de parler de la situation de l’Église chilienne. « Ce que l’Église a compris, c’est que le pouvoir et l’influence, s’ils ne sont pas liés à l’humilité, peuvent produire beaucoup de corruption » dit-il. Et il ajoute : « Un des facteurs les plus importants de la crise de l’Église chilienne a été la politique tendancieuse de Sodano à l’époque de Karadima et Pinochet ».
Dans votre livre, vous parlez de l’opposition que le Pape François rencontre dans l’Église : ce mouvement de résistance a-t-il augmenté ?
Pour ce qui est des chiffres, je ne sais pas s’il a augmenté, mais il est encore très virulent et puissant, en ce sens qu’il concerne plusieurs cardinaux, et des organisations très riches et puissantes aux États-Unis. Ils ont vu la crise de l’an dernier comme une opportunité. Au Chili, ils ont vu que le Pape était en position de faiblesse, et ils en ont profité avec une sauvagerie inhabituelle. Mais ceux qui l’ont attaqué, menés par Carlo Maria Viganò, sont les mêmes que ceux qui ont rejeté l’exhortation apostolique « Amoris laetitia ». Ce que certains proches du Pape disent, c’est que ce groupe est très bien organisé, et a décidé de lancer un missile chaque mois, pour tenter de le discréditer. Ces tactiques sont tout à fait typiques des États-Unis, ce sont celles qui ont été utilisées par les conservateurs contre Obama.
Le Cardinal Gerhard L. Müller, ex-Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a été une voix très critique pour le Pape, quel rôle joue-t-il dans ce groupe ?
Le cardinal Müller est devenu le leader, la figure principale de l’opposition. Sa tactique est de faire croire aux gens qu’il y a de la confusion dans l’Église et que lui seul peut y remédier. Il essaie de retrouver le rôle qu’il aurait dû – croyait-il – avoir sous François, et que François ne lui a pas permis de jouer. Maintenant qu’il est libre, il prétend être le chien de garde de la doctrine. Mais en fait, il est un dignitaire émérite de la Curie, c’est-à-dire qu’il n’a pas de position dans l’Église.
Ce climat de confrontation est-il sans précédent dans l’Église catholique ?
Les accusations d’hérésie n’ont jamais manqué, ce qui est sans précédent, c’est qu’un ex-dignitaire de la Curie attaque si ouvertement un Pape. Je crois que la férocité des critiques, et la manière éhontée dont elles sont formulées, est nouvelle. Certains catholiques conservateurs semblent avoir oublié que le catholique fidèle à la tradition respecte le magistère papal.
Pourquoi pensez-vous que cela arrive ?
L’opposition virulente commence avec le synode de la famille, en 2014. Par ce synode, le Pape a ouvert un espace et la possibilité d’un changement. Ce qui a été créé, c’est un mécanisme de discernement propre à établir que si on arrivait à un consensus, le Pape le respecterait. Cela provoqua la fureur de certains qui se croyaient propriétaires de la doctrine de l’Église. Depuis, ils se sont sentis impuissants et furieux.
Est-ce qu’ils voient que certains privilèges sont en danger ?
Il faut plutôt dire que la religion vous donne certains privilèges ou du pouvoir, l’idée que vous détenez la vérité. Et quand on vous l’enlève, vous vous mettez en colère.
Certains parlent d’une division entre le pape François et le pape émérite, une telle division existe-t-elle ?
Je vois un Pape émérite toujours très loyal envers François. Ils sont beaucoup plus proches qu’on ne le pense. Mais je vois aussi une cour autour du Pape émérite très liée à la résistance au Pape qui fait beaucoup de mal, car ils manipulent l’image du Pape émérite. Nous devons trouver un moyen de contrôler sa cour qui est en ce moment une source de scandales et de division.
En tant que biographe de François, que signifie le voyage au Chili pour ce pontificat ?
Le Pape a beaucoup appris de son voyage au Chili qui a sans aucun doute joué un rôle clé. Je le décris ainsi dans le livre : avant le Chili, il voyait le problème sous l’angle d’une série de mesures qui s’imposaient. Mais je pense que le Chili lui a appris que là où il y a une très grande corruption, ces mesures sont insuffisantes et que la seule chose qui va permettre à une institution de s’en sortir est un très grand choc. Pour lui, ce fut le choc d’Iquique et le flot de critiques qu’il a reçues, mais c’est surtout le rapport Scicluna qui a tout fait éclater.
Source : La Tercera repris par Religion Digital (https://www.religiondigital.org/opinion/Austen-Ivereigh-Papa-Francisco EEUU_0_2148685113.html)
Traduction : Régine et Guy Ringwald