Par le Patriarche émérite Michel Sabbah

Jésus Christ est né, réjouissons-nous. « La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire » (Jean 1.14). « De sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce » (Jean 1.16). Les anges disaient aux bergers de Bethléem : « Je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie… il vous est né un Sauveur » (Luc 2.10-11), et ils chantaient le chant de la paix sur la terre (Luc 2.14).
Noël à Bethléem est la commémoration de ce qui s’est produit il y a 2 000 ans. Dans le cœur des gens, il y a de la joie, de la prière, mais aussi de la tristesse : Ô Seigneur, aie pitié. Car, à Bethléem, dans toute la Terre sainte, en Israël et en Palestine, des soldats en armes couvrent la voix des anges. Dans notre pays, aujourd’hui, beaucoup n’entendent pas le chant des anges et le message des cieux. Notre monde a encore besoin d’un Sauveur qui change le cœur des gens et leur apprenne la paix et la justice. Car la terre de la paix est encore une terre de guerre. Israël impose aux Palestiniens une occupation militaire avec toutes sortes de violations de leur dignité donnée par Dieu. Israël n’envisage sa survie qu’en enlevant aux Palestiniens leur indépendance, voire leur existence. Par conséquent, la vie des deux peuples est encore faite de guerre et non de paix.
Lors de la naissance de Jésus, Dieu a adressé ce message aux bergers qui gardaient leurs troupeaux (Luc 2.8-14) : « Un Sauveur vous est né », et les anges ont chanté l’hymne de paix qui relie la terre au ciel : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre. »
Dieu n’a pas adressé son message aux grands ni aux gens de pouvoir de cette époque. Aujourd’hui, aussi, ce sont les gens ordinaires qui reçoivent le message de Noël. Les prières des gens simples – des pauvres et des exclus – sont offertes à Dieu pour ceux qui se disent grands ; puissent-ils ouvrir leur esprit et entendre le message. Par leur joie, leurs prières et leur soutien, les petits viennent aussi en aide à ceux qui sont torturés, opprimés, captifs, à ceux dont la maison a été démolie, à ceux qui sont humiliés par le soldat muni de son arme, le soldat qui oublie qu’il est un être humain et que la personne qu’il humilie est aussi un être humain.

Parmi les grands de ce monde, parmi ceux qui détiennent le pouvoir et font régner l’injustice et la guerre dans notre pays, il en est peut-être qui ont encore la foi et qui prient. Peut-être même certains viennent-ils à Bethléem pour écouter le message du ciel et les hymnes de Noël. Mais ils n’entendent pas. La parole de Dieu est loin d’eux. À ceux qui, avec les grands et les puissants de notre terre, font régner la guerre, Dieu dit, lorsqu’ils se présentent devant lui pour prier : « Le message de Noël n’est pas la guerre, ni en Palestine, ni en Israël, ni dans aucun pays du Moyen-Orient ou du monde entier. »
Noël est un message adressé à ceux qui sont « sauvés » ou qui recherchent le salut, c’est-à-dire à ceux dont les mains n’ont pas trempé dans le sang, en particulier dans le sang et l’humiliation de la personne humaine en Terre sainte. Dieu leur dit lorsqu’ils viennent prier : « Allez, lavez d’abord vos mains du sang des gens, ensuite venez prier ».
Aujourd’hui les grands de ce monde proposent aux Palestiniens le « marché du siècle » [1], dans lequel ils leur promettent beaucoup d’argent pour acheter leur liberté et leur indépendance. Ils veulent échanger notre identité palestinienne, notre existence et notre âme contre la promesse de la prospérité. Mais Noël leur dit, et nous leur disons : « Nous sommes des êtres humains, créés par Dieu. Notre dignité nous vient de Dieu, et pas d’un quelconque pouvoir humain. Nous sommes égaux en dignité avec tout être humain, avec tout peuple. Nous sommes plus précieux que tout l’argent du monde. »
Telle est notre prière : « Ô Seigneur, dis aux grands de ce monde que l’être humain, l’Israélien comme le Palestinien, tu l’as fait “de peu inférieur à un dieu, tu l’as couronné de gloire et de magnificence, tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds” » (Ps 8.6-7). Aucun peuple n’a le droit d’annexer un autre peuple et d’occuper sa terre. Personne n’a le droit de dépouiller le peuple palestinien de sa terre et de sa dignité, – quelle que soit la somme offerte.

Ce message de Noël est très triste. Les grands de ce monde doivent absolument renoncer au « marché du siècle » ; il leur faut lever les yeux vers le ciel pour, – s’il reste quelque chose de Noël dans leur cœur -, entendre Dieu leur dire : « Écoutez le message de l’ange : ‘’Un Sauveur vous est néʺ ». Si vous êtes capables d’entendre le message du ciel, faites la paix, voyez l’image de Dieu en chacun, Israélien comme Palestinien. Suivez les voies de Dieu et la logique de Dieu. L’argent et le pouvoir passeront. Les opprimés resteront, malgré leur faiblesse, parce qu’ils restent des êtres humains revendiquant la dignité que Dieu leur a donnée.
Cette année, face au « marché du siècle » qui prétend acheter la liberté d’un peuple, le message de Noël depuis Bethléem est un cri vers Dieu, notre Créateur et notre Père.
Ô Seigneur, aie pitié. Ô Seigneur, le message que tu as envoyé autrefois aux simples bergers, envoie-le aujourd’hui à ceux qui détiennent le pouvoir. Ô Seigneur, change les cœurs des grands de ce monde. Éclaire-les pour qu’ils voient et comprennent que les Palestiniens et eux-mêmes sont identiquement créés à ton image et qu’ils ont la même dignité que tu as donnée à tous.
Ô Seigneur, aie pitié. Ô Seigneur, le message que tu as envoyé autrefois aux simples bergers, envoie-le aujourd’hui à ceux qui détiennent le pouvoir. Ô Seigneur, change les cœurs des grands de ce monde. Éclaire-les pour qu’ils voient et comprennent que les Palestiniens et eux-mêmes sont identiquement créés à ton image et qu’ils ont la même dignité que tu as donnée à tous.
Jésus est né à Bethléem. Priez, croyants du monde entier, pour que Dieu accorde la paix et la justice à la terre de la Nativité, afin que la fête soit complète à Bethléem et sur toute la terre.
Note :
[1] Donald Trump, a prétendu avoir trouvé la clé de la résolution du conflit israélo-palestinien. 50 milliards de dollars y suffiront. La paix pour la prospérité propose « de construire de nouvelles fondations pour l’économie palestinienne » en mobilisant 50 milliards de dollars d’investissements sur 179 projets. La moitié de cette somme serait investie en Palestine pendant 10 ans et le reste serait attribué à la Jordanie, à l’Égypte et au Liban (conférence de Manama juin 2019). À propos de ce plan, Dominique de Villepin a déclaré : « On n’achète pas l’indépendance d’un peuple, on n’achète pas la dignité d’un peuple. 50 milliards pour fermer sa gueule et accepter d’être dépouillé de ses droits ? C’est ignoble ».
Source : Amis de Sabeel-France https://drive.google.com/file/d/1vy9a9KNo4QDKBfGo1NUBhEvugmzjnIL3/view