Par Alain Durand
La Congrégation pour la doctrine de la foi a refusé une décision prise par le synode des évêques allemands en faveur d’une pratique de l’hospitalité eucharistique réciproque, autrement dit de l’intercommunion entre catholiques et protestants. (cf. Golias Hebdo n° 640) [1] Beaucoup de questions peuvent être posées concernant cette intervention, mais je n’en retiendrai qu’une. L’Église se définit-elle d’abord par son universalité, cette universalité sur laquelle veille l’évêque de Rome ? Si oui, cette église définie d’emblée comme universelle fonctionne très largement comme un cercle qui engloberait toutes les églises dont le centre se trouve à Rome. Ou bien se définit-elle d’abord comme une multiplicité d’églises locales en communion les unes avec les autres ? Dans ce dernier cas, l’universalité est faite de la communion que ces églises locales entretiennent entre elles dans le Christ, ce qui n’est pas incompatible avec la reconnaissance d’une certaine primauté de fait reconnue traditionnellement à l’église qui est à Rome, mais qui ne permet pas à celle-ci de décider à la place des autres.
Si on en reste au premier schéma, l’organe privilégié de la catholicité ou universalité est son centre romain, et c’est dans leur adhésion à ce centre que se réalise la communion des églises. Dans l’autre cas, l’unité des églises se réalise par et dans la communion que les églises locales entretiennent en elles-mêmes et entre elles comme églises du Christ. Chaque église est responsable d’elle-même, non pas de façon isolée, mais en interrelation avec les autres églises. Chacune jouit donc d’une autonomie réelle lui permettant de s’organiser au mieux pour le bien de ses membres et de l’annonce de l’Évangile au monde. Si on pense l’église à partir de son universalité, on a toutes les chances de passer à côté des particularités historiques locales. Et c’est bien ce qui se passe actuellement entre Rome et l’église allemande : celle-ci estime que le temps de l’intercommunion est venu, alors que Rome émet un avis négatif, qui est d’ailleurs rien moins qu’une interdiction.
L’argument romain en appelle au trouble qu’une telle intercommunion créerait dans les relations avec les orthodoxes. C’est tout à fait possible, mais faut-il vraiment en tenir compte au point d’interdire l’intercommunion entre catholiques et protestants ? Pourquoi vouloir régler cette question directement au niveau universel, et donc à partir du centre, alors qu’elle est d’abord locale, et que l’église locale est mieux placée que le pouvoir central pour apprécier la situation qui est la sienne ? Il faut abandonner le schéma selon lequel toutes les églises doivent penser et faire la même chose ! J’ai conscience que la question n’est pas simple, mais on pourrait quand même accepter que l’unité des églises ne signifie pas uniformité. De plus, en se prononçant comme elle l’a fait, l’église romaine manifeste son souci d’être en bon rapport avec les églises orthodoxes qui sont généralement de tendance plutôt conservatrice. Il n’est pas étonnant que la Congrégation pour la doctrine de la foi penche de ce côté.
Quant au comportement de la Congrégation pour la doctrine de la foi à l’égard du prêtre rédemptoriste irlandais Tony Flannery (cf. Golias Hebdo n° 640) [2], il reproduit ce qu’il y avait jadis de plus inquiétant dans les agissements de cette congrégation : bloquer toute évolution de la doctrine catholique. Pour la Congrégation pour la doctrine de la foi les questions de l’ordination des femmes, de l’homosexualité, du mariage entre personnes de même sexe et la question du genre (du moins tel qu’on le conçoit au Vatican) ne doivent pas être soumises à discussion parce qu’elles ont été réglées une fois pour toutes par la négative. Au point qu’il a été proposé au père Tony Flannery de signer quatre documents réaffirmant l’enseignement officiel habituel sur ces quatre points, au prix de sa réintégration ministérielle. Il faut redire, sans se laisser terroriser par de possibles représailles, que des opinions divergentes dans les églises peuvent avoir lieu sur ces quatre questions. Imposer une seule et unique façon d’y répondre comme étant LE point de vue catholique, et donc le seul possible, est une décision qui n’est pas admissible. Il importe de réaffirmer que d’autres points de vue peuvent avoir droit de cité dans l’Église catholique [3]. On ne peut que regretter la régression que représente cette intervention du président de la Congrégation pour la doctrine de la foi. On est revenu à des pratiques préconcilaires.
Je terminerai en soulevant une dernière question : dans l’enseignement ordinaire du Magistère romain, ne trouve-t-on pas deux points de vue qui sont affirmés simultanément : celui de la rigueur d’un enseignement doctrinal jugé immuable et la recommandation d’exercer la miséricorde à l’égard du pécheur dont le comportement est déviant par rapport à ce qu’affirme la doctrine. Ainsi, on peut voir coexister une doctrine inflexible et l’exercice de la miséricorde à l’égard de ceux qui s’éloignent de cet enseignement par leur comportement. La miséricorde, bien sûr, vaut mieux que la condamnation, mais s’il fallait, plus radicalement, s’interroger sur le contenu de la doctrine elle-même ? Je crains que l’exercice recommandé de la miséricorde à l’égard des « déviants » ne fonctionne comme un alibi pour ne pas s’interroger sur la doctrine elle-même.
Notes :
[1] Voir aussi (NDLR) https://nsae.fr/2020/09/23/les-eveques-allemands-face-au-refus-du-vatican-de-la-proposition-dintercommunion-entre-catholiques-et-protestants/
[2] Voir aussi (NDLR) https://nsae.fr/2020/09/22/pour-le-vatican-tony-flannery-doit-signer-des-serments-de-fidelite-ou-rester-suspendu/
[3] Je pense entre autres à la référence au concept de « nature » et de « loi naturelle » pour définir ce qui est bon ou mauvais pour l’homme. Je me permets de renvoyer ici au chapitre « Le Dieu dangereux de la loi naturelle » dans mon livre Dieu une passion, éd. du Cerf, 2019, p. 149-162.
Source : https://www.golias-editions.fr/2020/10/08/levangile-a-lepreuve-de-leglise/
Pour aller plus loin : https://www.golias-editions.fr/produit/641-golias-hebdo-n-641-fichier-pdf/