LETTRE À JOE BIDEN, POUR UNE AUTRE CIVILISATION
Par José Arregi.
M. le Président des États-Unis d’Amérique,
Je vous souhaite Paix et Bien.
Il serait prétentieux de m’adresser à vous en pensant que ces quelques lignes pourraient même vous parvenir. Mais non. Ce n’est, de ma part, qu’une manière de joindre ma voix à la clameur universelle, d’exprimer les inquiétudes qui nous assaillent en cette heure cruciale de l’humanité et de la planète, l’heure des menaces les plus graves et des décisions les plus déterminantes.
Vous avez été élu président des États-Unis au moment où la foi du monde en votre pays est au plus bas et la crise de la foi en l’humanité est au summum. Quand la Terre, communauté des vivants, est dévastée par un système impitoyable qui prévaut parmi les êtres humains : le pouvoir absolu au service du bien particulier. Quand la planète est in-gouvernée par les trois plus grandes puissances, à savoir les États-Unis, la Chine et la Russie — quel que soit l’ordre ou le désordre —, confrontées entre elles à cause d’un même objectif : dominer. Quand l’Afrique n’intéresse que pour les richesses qu’enferme son sous-sol. Quand le printemps arabe, 10 ans après, n’a pas encore fleuri. Quand l’extrême droite progresse et les fondamentalistes de tout bord s’emparent des rues.
L’immense majorité des gens nous avons applaudi votre victoire, nous avons respiré, soulagés. Mais l’inquiétude persiste. La peur que vous aussi, vous déceviez la demande la plus universelle et l’espoir le plus noble : que justice et paix s’allient sur la Terre. La crainte que vous aussi, au service du même système régnant, vous nous trahissiez, comme le fit votre mentor et prédécesseur démocrate à la Maison-Blanche, Barack Obama. Aucune de ses paroles inspirées ne fut tenue. Yes, we can, proclama-t-il, et nous l’avons cru. Mais il se leurrait ou nous trompait, huit ans après, la situation du monde avait empiré, et les désespérés de son grand pays choisirent pour président le pire candidat de tous les temps. Nous sommes encore déconcertés par cette terrible question : Que signifie qu’un tel candidat ait pu parvenir à la présidence des États-Unis ?
Néanmoins, nous nous réjouissons, M. Biden, des mesures que vous vous êtes empressé d’adopter ou d’annoncer dans les 15 jours qui ont suivi votre investiture. Des mesures telles que la reprise du projet de deux États libres et viables en Israël et Palestine, le retour à l’Accord contre le Changement Climatique, la légalisation de centaines de milliers d’immigrants sans papiers aux États-Unis, la réactivation de l’accord nucléaire avec l’Iran, l’arrêt de la vente d’armement à l’Arabie Saoudite… Ce sont des signes lumineux après des années très obscures, pas seulement les quatre dernières. Serait-ce l’aube d’un nouveau jour ? Cela ne le sera pas si vous vous en tenez au principe qui inspire depuis toujours tant les Républicains que les Démocrates : « L’Amérique d’abord », si vous vous efforcez avant tout à ce que « l’Amérique recouvre sa grandeur », comme nous l’avons entendu ces derniers jours, à renforcer son armée, consolider ses bases militaires, récupérer la suprématie mondiale, soutenir Wall Street, à gagner et conquérir.
M. Biden, vous avez la responsabilité qui correspond à votre pouvoir, dont je suis incapable de mesurer l’étendue, tout comme je suis incapable de jauger votre volonté. Cependant, une chose est certaine : la Terre ne peut plus supporter une telle spoliation. L’humanité ne peut plus endurer tant d’inégalité au profit de l’intérêt des plus puissants, des ennemis du Bien Commun. Aucune personne de bonne volonté ne peut tolérer que les 1 000 personnes les plus riches de la planète aient pu récupérer amplement, grâce au marché des valeurs en hausse, les pertes subies au début de la pandémie, qu’elle ait détruit 255 millions d’emplois et plongé dans l’angoisse des centaines de millions de femmes et d’hommes. La politique ne peut plus continuer sous la férule des pouvoirs financiers, qui n’ont d’autre patrie que le profit, ni d’autre frontière que le propre bénéfice. La gouvernance mondiale ne peut plus continuer d’être dominée par une économie spéculative au service du profit personnel. La cupidité est la pire des pandémies et la source de tous les maux : soit nous l’éliminons soit nous finirons par tout anéantir, à commencer par nous-mêmes, comme cela est déjà en train de se produire. Mais comment pourrons-nous venir à bout de cette cupidité, si nous ne renaissons pas, c’est-à-dire, si nous ne découvrons pas que nous sommes plus heureux en partageant davantage et en possédant moins, qu’en possédant davantage pour moins partager ? Et comment renaître ?
M. Biden, vous professez la foi en Jésus de Nazareth, et je veux croire qu’il inspire votre regard au monde, votre sensibilité face à la douleur, vos critères dans l’activité politique. Jésus, l’homme libre et à la fois frère, l’homme compatissant et heureux, l’homme humain. Lui ne professa pas la religion chrétienne, mais l’humanité libre, libérée, libératrice, le souffle qui meut l’univers et la vie : « L’Esprit m’anime pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, pour proclamer aux captifs la délivrance » (Luc 4,18). Le cœur du monde et de l’Évangile proclament d’une même voix : « Heureux les pauvres en esprit : ceux qui regardent, sentent, vivent du côté des pauvres. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : de donner à chacun ce dont il a besoin. Heureux les miséricordieux : ceux qui savent se mettre à la place de l’autre. Heureux ceux qui construisent la paix à partir d’une paix profonde » (Matthieu 5,3-9).
Voilà les clés de la renaissance. Voilà le chemin pour une humanité en communion avec tous les vivants, en solidarité avec tous les peuples frères. Voilà l’horizon d’une nouvelle intelligence de la réalité, au-delà de tous les crédos, les cultes et les codes : une nouvelle conscience collective, une nouvelle organisation planétaire, une nouvelle civilisation, inséparablement spirituelle et politique. Tout se résume en une idée très simple et universelle : personne – ni individu ni État –ne pourra être heureux sans autrui ni contre autrui, mais seulement avec autrui.
Je vous salue bien respectueusement.
Source : https://josearregi.com
Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria