Le « cas Novell » et les évêques dont l’Église a besoin
Que devrait-on exiger des évêques, en dehors du fait qu’ils doivent être célibataires ?
Par Emilia Robles.
J’ai lu dans la presse, il y a quelques jours, la récente démission de l’évêque de Solsona. Sans attendre, les conjectures commencent à apparaître sur ce qui aurait pu être la cause de la démission d’un homme de 52 ans, nommé à 41 ans, le plus jeune évêque d’Espagne, avec une carrière ecclésiastique prometteuse.
Serait-ce une maladie ? Elle semble rapidement exclue. D’un côté, on suppose une pression de la Conférence épiscopale espagnole elle-même en raison de son nationalisme catalan exacerbé. De la part d’autres, la coercition des groupes LGBTQI en raison de son homophobie manifeste, qui l’a conduit à organiser des cours de réhabilitation pour les personnes homosexuelles. Il y a aussi ceux qui pensent que la raison est que l’évêque Omella et le pape ne l’aiment pas à cause de ses positions très éloignées d’Amoris Laetitia sur les questions morales liées à la sexualité. Beaucoup, connaissant mieux la personne, disent qu’il a une personnalité instable et que, depuis qu’ils le connaissent, il présente des déséquilibres psychologiques importants. Et maintenant, définitivement, il reste pour tous son explication, sa propre parole. Il dit que ce qui l’a poussé à démissionner, c’est qu’« il est tombé amoureux d’une femme » et qu’« il veut faire les choses bien ».
Brouhaha général. Aujourd’hui, une grande partie de l’attention s’est portée sur la loi du célibat obligatoire pour les prêtres. Ils veulent trouver les raisons de cette démission, réfléchir ou tirer des conclusions du débat sur le célibat, pour ou contre le libre choix de l’état de vie. Il y a ceux qui la considèrent comme démoniaque. À vrai dire, je n’ai pas d’expérience pour juger de cette question. Je pense que ce que beaucoup d’autres évêques font dans leurs diocèses (même s’ils n’ont pas de relations avec une femme) ne semble pas être l’œuvre de Dieu, mais succomber à diverses tentations ; l’histoire de la possession satanique est un peu trop grosse pour moi. Je m’abstiens de donner mon avis.
Je ne juge pas du tout la personne ou ses motivations personnelles pour démissionner du ministère épiscopal. Je ne le ferais pas même si je le connaissais, et encore moins sans le connaître. Et je trouve absolument respectable la personne avec laquelle chacun veut unir sa vie, alors loin de moi l’idée de donner un avis sur sa partenaire. Mais je peux analyser ce que j’ai vu de son ministère d’évêque, qui n’est pas le seul que je remets en cause, d’ailleurs.
Lorsque ce cas s’est présenté, que beaucoup abordent d’un point de vue morbide ou très axé sur la sexualité, pour moi, les réflexions sont différentes et tournent autour du ministère de l’évêque et de sa mission : que doit-on exiger des évêques, bien au-delà du fait qu’ils soient célibataires ? Réfléchissons à leur mission.
Un évêque doit être un homme aux convictions chrétiennes profondes, une personne de prière et d’intériorité, quelqu’un qui se sait limité et pécheur, qui est quotidiennement transformé par la prière et qui veut être guidé par l’Esprit, qui nous rend libres. Pour cela, il est nécessaire de former des personnes d’une profonde spiritualité connectée à des réalités concrètes.
Aujourd’hui, un évêque dans l’Église catholique est le pasteur de communautés différentes les unes des autres, chacune ayant sa diversité interne. Il doit donc remplir un rôle de médiation, d’aide au rapprochement des communautés, au-delà de leurs différences légitimes. Indépendamment de son opinion, qui est également légitime et raisonnable, en tant que citoyen sur n’importe quelle question, il ne doit pas être un idéologue qui se positionne radicalement en faveur de certaines thèses, en marginalisant et en confrontant ceux qui pensent différemment. Cela nécessite des personnes qui savent jeter des ponts et regarder au-delà du conflit, où les différences peuvent être réunies dans des intérêts communs. Et pour que chacun se sente aimé et accueilli dans sa diversité.
Un évêque doit prendre soin de tous les prêtres de son diocèse et les accueillir, quelles que soient leurs sympathies ou leurs antipathies, et il doit veiller à l’équilibre émotionnel de chacun d’entre eux, les accompagner dans leurs crises et les féliciter pour leurs efforts pastoraux, en contribuant à leur formation. Pour cela, il faut des personnes émotionnellement équilibrées, sans préférences ni phobies, capables d’aimer en profondeur et de ne pas juger les gens, mais de voir les situations qu’ils vivent et d’essayer de les aider autant que possible.
Un évêque ne peut tolérer dans son diocèse, s’il en a connaissance, des cas de corruption ou d’abus de toute nature, qu’ils soient sexuels, de pouvoir ou de conscience. Évidemment, encore moins s’il en est lui-même le protagoniste. L’évêque doit donc être un exemple de détachement des richesses et des pouvoirs mondains, de renoncement à toute sorte de privilèges et d’humilité, qui sait se mettre en rapport avec les personnes les plus simples, sans cesser d’être profond. Quelqu’un qui sait communiquer avec tout le monde, parce qu’il sait écouter profondément, et qui est même évangélisé par les simples et les sans-pouvoirs.
Un évêque catholique post-conciliaire doit aujourd’hui suivre l’Évangile, le développement de Vatican II et les dernières encycliques du pape François : Fratelli Tutti, Amoris Laetitia, Laudato Si… Il doit donc être quelqu’un de profondément convaincu et possédé par la Miséricorde, par l’amour fraternel et sororal, quelqu’un qui valorise profondément tout être humain, indépendamment de son sexe, de son orientation sexuelle, de sa situation sociale ou de son origine géographique, ethnique et religieuse. Il doit être fermement engagé en faveur de la paix, de la justice et de la sauvegarde de toute la création, en mettant sa vie à son service. Et il ne doit jamais négliger de continuer à se former. La formation et la prière se complètent.
Un évêque aujourd’hui doit porter la synodalité dans son cœur, il doit savoir que nous devons marcher tous ensemble, en pensant, en priant et en décidant, et que l’Esprit souffle sur tout le Peuple de Dieu, indépendamment du sexe, du ministère ou de la fonction dans l’Église. Et, en même temps, s’engager en faveur du dialogue entre les chrétiens, comme un mandat du Christ, et du dialogue interreligieux comme le seul chemin possible vers la paix.
Sans idéalisme : évêques, prêtres ou laïcs, personne ne peut s’accomplir à cent pour cent, car nous sommes pécheurs, mais nous pouvons tous chercher à nous convertir chaque jour et tendre vers ce qui nous est demandé en tant que chrétiens dans nos ministères, en essayant de faire le plus de bien possible.
Et dans un second temps, fruit d’une loi médiévale, aujourd’hui, dans l’Église catholique romaine, un évêque doit être célibataire. Cela pourrait changer à l’avenir, comme c’est le cas dans d’autres églises chrétiennes. Et qu’il soit célibataire ou marié (comme cela arrive dans d’autres confessions chrétiennes, sans conséquences dramatiques), ce qu’il devra avoir, c’est une affectivité bien maîtrisée et une personnalité équilibrée pour pouvoir remplir sa mission avec dignité et respect pour lui-même et pour les autres. Ni plus ni moins que les prêtres dans leurs communautés respectives, à petite échelle. C’est d’ailleurs de ces prêtres que seront issus les futurs évêques.
Si nous sommes d’accord sur cette définition de leur mission, qui pourrait encore être complétée, nous devrions être très préoccupés par le nombre d’évêques actuels de l’Église (y compris celui qui vient de démissionner) qui ne remplissent pas les principales exigences de cette mission. Et une préoccupation majeure au niveau ecclésial serait de savoir comment réaliser ce changement à l’avenir, car la situation actuelle au niveau d’ensemble, avec d’heureuses et nombreuses exceptions au niveau des personnes individuelles, est le fruit d’une déviation séculaire de l’Église par rapport à l’Évangile et doit changer.
Cependant, ce qui attire aujourd’hui le plus l’attention et fait oublier à beaucoup ce qui est vraiment important, c’est que l’évêque Novell a décidé de se marier. Et la question du célibat est soulevée – imprudemment, je pense -. De mon point de vue, dans le cas de l’évêque démissionnaire de Solsona, il n’y a pas lieu de parler de célibat optionnel ou de savoir s’il pourrait y avoir des évêques mariés à l’avenir.
L’une des raisons est la suivante : parmi les prêtres qui se marient à un moment donné, il faut distinguer ceux qui, soit en raison de doutes sur leur foi, soit parce qu’ils ne voient plus l’utilité de leur ministère, demandent une dispense et passent à l’état laïc, voire quittent l’Église ; et ceux qui voudraient continuer leur ministère, soutenus par leurs communautés, mais qui, en raison de la discipline actuelle de l’Église, sont obligés de l’abandonner. Novell appartient sans aucun doute au premier groupe. Par conséquent, son cas ne nous conduit pas à un débat sur le célibat optionnel au sein du ministère ordonné. Pour la même raison, son cas n’entre pas non plus dans la réflexion sur les deux types de sacerdoce, célibataire et non célibataire, question à laquelle on réfléchit et dont on débat de plus en plus dans l’Église.
Certains, comme nous le voyons déjà, voudront attribuer à cet ancien évêque des déséquilibres émotionnels dus au célibat obligatoire ; d’autres verront l’occasion de condamner pour toujours le fait qu’il y ait des prêtres mariés (car on voit qui ils rejoignent et comment cela affecte les communautés et l’Église dans son ensemble). Je pense que nous devrions nous éloigner de ces deux positions idéologiques fermées. Je ne doute pas, au vu de ses actions publiques, du déséquilibre émotionnel et affectif de Novell. Mais je ne pense pas que cela ait un rapport direct avec son célibat, ni maintenant avec sa décision de vivre avec une femme. Je pense qu’il s’agit de quelque chose de plus complexe et d’une origine beaucoup plus ancienne. Peut-être pourra-t-il le surmonter dans sa nouvelle vie. Il existe des thérapies très efficaces, dès lors que nous reconnaissons nos problèmes et demandons de l’aide.
Je crois que si la sélection et la formation des prêtres étaient adéquates, insérées dans leurs réalités, en prenant soin de leur équilibre psychologique, avec une vision positive de la sexualité, si la synodalité était pratiquée dans l’Église et qu’on leur apprenait à communiquer en écoutant, en respectant les laïcs et les femmes comme égaux dans le Christ, si on cultivait une profonde spiritualité liée aux conseils évangéliques dont aucun n’est le célibat, mais la pauvreté, la chasteté et l’obéissance ; si les prêtres étaient des médiateurs, un signe d’unité et de communion profonde dans leurs communautés (surtout dans des contextes de controverses qui brisent la coexistence) ; s’ils étaient aussi un exemple de liberté évangélique, qui ne veut pas d’honneurs, de pouvoir mondain ou de privilèges pour soi-même, savoir s’ils peuvent se marier ou non serait une question seconde. Ou mieux encore, si deux formes de sacerdoce pouvaient coexister, les uns célibataires par vocation non liée au pouvoir et les autres mariés, insérés et aimés dans leurs communautés, avec des femmes qui acceptent, respectent et peuvent intégrer avec amour leur ministère dans leur vie de couple.
Non, de mon point de vue, la décision de Mgr Novell n’est ni un plaidoyer en faveur du célibat optionnel ni un argument en faveur du célibat obligatoire. C’est la conséquence logique et souhaitable d’une carrière ministérielle qui n’aurait jamais dû être…
Non, de mon point de vue, la décision de Mgr Novell n’est ni un plaidoyer en faveur du célibat optionnel ni un argument en faveur du célibat obligatoire. C’est la conséquence logique et souhaitable d’une carrière ministérielle qui n’aurait jamais dû être. Ceci est dit avec tout le respect et les souhaits d’amour pour sa personne et pour son avenir, avec la confiance en Dieu notre Père et Mère à tous. Et je souhaite que d’autres évêques dans le monde, faisant leur examen de conscience, suivent son chemin (pas nécessairement en s’attachant à une femme), mais en se convertissant à l’Esprit, ou – en toute humilité – en démissionnant, simplement parce que – tels qu’ils fonctionnent actuellement – ils ne sont pas les évêques dont une Église synodale, renouvelée à la lumière de l’Esprit, a besoin.
Et en regardant vers l’avenir, le changement authentique, le renouvellement nécessaire, doit commencer dans la sélection, la formation continue des prêtres et l’accompagnement psychologique, avec une vision positive et respectueuse de la sexualité ; et dans l’accompagnement et la formation continue des communautés chrétiennes au service desquelles ils se trouvent, afin de faire réellement des communautés vivantes et coresponsables qui savent marcher ensemble dans l’esprit de l’Évangile et ne tolèrent aucun type d’abus.
Note :
[1] Emilia Robles est coordinatrice du réseau Proconcil et auteur du livre « Les nouveaux ministères dans l’Église. Faire de la nécessité une vertu ». San Pablo. Madrid, 2019