Par Patrick Viveret
Il y a deux grands impensés qui son souvent communs au fait économique et au fait religieux, c’est le rapport au féminin et le rapport à l’éros. Quand les Grecs inventent l’économie, l’oikonomia, c’est principalement le rôle des femmes. Mais, paradoxalement, quand l’économie va être réinventée au XVIIIe siècle, l’un des coups de force majeurs sur le plan sémantique qui va s’opérer, c’est de dire que ce n’est pas ce qui se passe à l’intérieur de la maison qui est important, mais ce qui se passe à l’extérieur. C’est lié au fait qu’une société à dominante patriarcale, quand elle est fatiguée des guerres révolutionnaires et napoléoniennes, se met à se dire que la grande affaire, ce sont les affaires, et qu’elle n’a surtout pas envie de donner une place déterminante au féminin.
L’éjection du rôle du féminin dans l’économie est patente. Et la façon dont les femmes sont obligées de passer par les fourches caudines du modèle économique pour accéder à une certaine forme d’indépendance fait aussi partie en quelque sorte de cette mise à distance du féminin.
Puis, dans l’économie, on a aussi une certaine mise à distance de l’éros, parce que l’économie, au sens classique du terme, connait les besoins, mais pas les désirs. On ne peut pas traiter l’être humain comme s’il n’était qu’un être de besoin.
Ce double mouvement de mise à distance du féminin et de l’éros, on le retrouve évidemment sur le plan religieux, en particulier dans les trois grandes religions monothéistes. Même si, quand on regarde leurs origines, ce n’est pas toujours le cas. On peut dire qu’une bonne partie de la construction des Églises chrétiennes, et singulièrement de l’Église catholique, va être de remettre des barrières là où la subversion originelle du christianisme mettait du féminin et de l’éros.
Dans la façon de repenser la dynamique actuelle de croissance, la double introduction du féminin et de l’éros me parait décisive sur le plan économique et sur le plan religieux.
Extrait de « L’économie au service de la vie bonne » (Elena Lasida et Patrick Viveret – n° hors-série de la revue Études 2021