« Voyons-nous les pauvres et que voyons-nous en eux ? »
Prêtre au Havre, François Odinet partage régulièrement sur l’Évangile avec des personnes dans la précarité.
Il vient de publier Les Premiers Ressuscités. Les pauvres, maîtres en résurrection.
Propos recueillis par Florence Chatel,
Dans son message pour la 5e Journée mondiale des pauvres, le pape affirme que « les pauvres sont de véritables évangélisateurs ». Que veut-il dire ?
François Odinet : Dans l’Évangile, quand Jésus arrive dans les villages, les pauvres sont les premiers à reconnaître en Lui le Sauveur, tandis que les autorités du peuple et les gens qualifiés en matière de religion proclament que c’est un faux messie. Aujourd’hui encore, ils nous font découvrir comment l’amour de Dieu aide à tenir dans les épreuves et à les traverser, comment il inspire des gestes de fraternité. Dieu se révèle à tous, mais il le montre en prenant le parti des pauvres.
Dans son message, le pape nous pose deux questions : voyons-nous les pauvres et que voyons-nous en eux ? Des personnes perdues, ou pire, des personnes que nous jugeons responsables de leur condition ? Ou bien voyons-nous en eux ceux par qui l’Évangile, une bonne nouvelle, arrive ? Nous avons besoin d’entendre la foi des pauvres. Ils nous renvoient au cœur de notre foi, le mystère pascal. La mort en croix de Jésus est d’abord une expérience d’injustice et de mépris comme la croix qui pèse sur eux. Jésus souffre parce qu’il est « compté pour rien », comme le dit Pierre dans les Actes des Apôtres. Il accepte d’être fixé à la croix des pauvres qui doit nous saisir aux entrailles. En même temps, le souffle de la résurrection vient aussi dans notre monde à travers les pauvres. Ils ont une capacité à chercher la vie qui passe à travers la mort, la lumière qui passe à travers les ténèbres.
N’y a-t-il pas un risque d’instrumentaliser la figure du pauvre dans l’Église ?
Tout à fait et c’est pourquoi nous devons faire très attention à ce que la Journée mondiale des pauvres ne soit pas une forme d’instrumentalisation des pauvres. La question fondamentale à nous poser en Église est : voulons-nous entrer dans leur combat ? Je pense très sincèrement que François a créé cette journée dans cet objectif. Mais si nous nous en servons comme d’un symbole pour manifester que les pauvres sont importants pour nous, une fois dans l’année, non seulement nous n’aurons pas fait avancer leur cause, mais nous les aurons instrumentalisés ; ce dont les pauvres se rendent très bien compte. Ils ont une sensibilité très vive à la manière dont nous les traitons. J’entends des personnes en précarité dire qu’on ne leur demande pas de lire à la messe, de rendre des services, qu’on ne les rend responsables de rien. Une autre manière de masquer les pauvres réels est de spiritualiser le terme de « pauvreté ». Dans la Bible, excepté dans les Béatitudes dans l’Évangile de Matthieu, ce terme désigne la pauvreté matérielle et sociale. Or, dans l’Église, nous avons vite fait de l’employer pour substituer l’expérience de notre incertitude à la rencontre avec les pauvres.
François propose de passer de la bienfaisance au partage…
Partager nos biens, notre temps avec les pauvres est important. Mais nous sommes encore centrés sur ce qui vient de nous, dans l’attitude de faire l’aumône aux pauvres. En revanche, quand il s’agit de partager leur combat, nous nous laissons déplacer vers ce qu’ils vont partager avec nous. « L’Église en sortie » [1], c’est d’aller vers eux, mais surtout d’être capables de voir le monde à partir de leurs perspectives. Ils font basculer nos représentations, nous amènent à revoir nos modes de pensée et de vie. Ils nous déplacent comme la croix et la résurrection le font avec nos idées sur Dieu. Le test d’une vraie rencontre avec eux, c’est notre conversion.
Note :
[1] Formulation du pape François invitant l’Église à « aller vers… » plutôt que d’attendre que l’on vienne à elleSource : https://www.la-croix.com/Voyons-nous-pauvres-voyons-nous-eux-2021-11-12-1101184717