Intervention de François Cassingena-Trévedy répondant à la sollicitation de la communauté Saint Merry hors les murs, lors de son Assemblée de novembre : « Nous avons besoin à la fois de votre expérience de vie d’une communauté ecclésiale avec toutes ses interrogations, et de votre vision de l’avenir de l’Église qui entre dans une démarche dite « de synodalité » dont nous cherchons à éclaircir le sens profond. Alors, comment « faire route ensemble » en Église ?
Je vous suis très reconnaissant de m’avoir invité dans cette journée, au cœur d’un Évangile qui m’est particulièrement cher, un Évangile d’itinérance, d’apparition et de disparition, un Évangile pascal. J’ai eu le temps pendant ces quelques jours de prendre connaissance du livre que vous m’avez envoyé, Et vous m’avez accueilli, pour faire connaissance aussi avec votre communauté et votre histoire. Bien fraternellement je suis prêt à échanger avec vous à partir de ma petite expérience, et à partir des Évangiles.
Je crois qu’aucune communauté idéale n’existe. Dans les Actes des Apôtres, cette communauté primitive décrite dans certains sommaires au chapitre 2 ou au chapitre 4, ce n’est pas une communauté qui est derrière nous, mais une communauté qui est devant nous. Et d’une manière générale, je dirais que toutes les réalités de notre foi sont des réalités eschatologiques qui ne sont pas derrière nous, tout est devant nous, dans la nef et à l’abside. La fête d’aujourd’hui du Christ-Roi est une fête problématique, fête paradoxale, puisque ce roi n’a absolument rien à voir avec les pouvoirs de la terre. Il est à l’inverse, le roi de l’échec, le roi du rien, le roi de la Croix et de la Résurrection, qui est à l’abside Pantocrator, Pantocrator de faiblesse à l’horizon de nos journées et de nos vies, de nos histoires de communauté, à l’horizon, nous osons l’affirmer avec Paul, de l’histoire tout entière.
Alors vous avez repassé l’histoire de votre communauté, communauté urbaine au cœur de la ville, née dans un contexte extrêmement intéressant de questionnement, d’expérience, de diversité. Aujourd’hui je me trouve dans la ruralité profonde, effectivement dans un tout petit village, lilliputien, en rendant service pour la liturgie dans les villages environnants, et je mesure l’écart des paysages, la pauvreté aussi, et les trésors cachés. J’ai le sentiment qu’à moi aussi certains disent : « Mais, reste avec nous » puisque chacun de nous est signe et porteur de cet itinérant par excellence qui est le Christ. Alors, ne vivez pas dans la nostalgie de ce qui fut, mais dans l’espoir qui va être ce matin. Il y eut un soir, il y eut un matin, et toutes nos réalités d’Église sont devant nous en fait.
D’abord c’est mon expérience de la communauté, des diverses communautés, différents genres, avec les responsabilités qui ont marché avec, dans le chant, dans le noviciat, dans l’émaillerie, tout cela, avec les joies, avec les peines, avec les déceptions.
La communauté, c’est à la fois, je dirais,
le paradis et l’enfer, les deux.
Et nous pouvons être l’un et l’autre pour les autres, et nous voyons bien la face humaine. Évidemment quand on est jeune, on a tendance à idéaliser beaucoup, mais toute communauté est humaine et nous le savons bien avec les enjeux de jalousie, de rivalité, de pouvoir, diversité, éclatement… Et Il nous faut faire avec tout cela, en tâchant de marcher, non pas sur une nostalgie ou une déception – je crois que dans le Pacifique sud il y a une île de la Déception – cette île de la Déception ce peut être chacune de nos communautés – mais c’est aussi une île de l’Espérance. Et chacun de nous est amené à construire, moyennant la démission de soi que cela suppose.
En tout cas c’est une parole d’encouragement que je voudrais pour vous, à partir de la richesse des trésors humains, culturels, ecclésiaux que vous avez mis en œuvre. Cette traversée est une épreuve féconde, même s’il se fait tard, même s’il y a moins de jeunes, même si nous vieillissons, mais nous pouvons semer quelque chose et toujours être signe, en nous disant qu’il n’y a pas de communauté parfaite. Alors, comment faire ? À la fois être des hommes et des femmes d’invention, d’audace, et puis patiemment là où nous sommes, je ne dirais pas tolérer, mais accueillir les réalités telles qu’elles sont, composer avec elles sans compromission, en gardant notre ligne intérieure d’audace, de questionnement. Et patiemment, avec les réalités que nous rencontrons, de faire signe.
Là je le mesure beaucoup parce que me trouvant dans un contexte complètement rural, une société plus traditionnelle, plus immobile, apparemment, loin de nos problématiques actuelles, que ce soit la Ciase ou autre chose, en même temps il y a une gentillesse, une confiance. Je vois bien que là où je suis, ma parole, mon attitude font signe. Bien sûr je garde mon jardin intérieur et l’énorme questionnement.
Ce questionnement, ce n’est pas simplement sur les structures, la gouvernance,
mais sur le discours même de notre foi :
que croyons-nous ?
Et que donnons-nous à croire ?
Cela exige une vérité, une exigence, j’oserais dire une exactitude. Tout cela il y a une manière de le diffuser, de le partager, en étant respectueux de la lenteur apparente des cheminements.
L’important c’est que nous gardions intérieurement ces questionnements et dans les deux dimensions de l’Évangile, celui d’Emmaüs ; dialogue autour de l’Écriture, l’écriture qui ne vit que dans le questionnement que nous posons sur elle, la comparaison des textes, l’exégèse au sens vivant, c’est sûr qu’il y a là un immense travail.
Que l’Église ne soit pas seulement distributrice du sens et des sacrements, mais qu’elle soit une communauté d’interprètes et de chercheurs, tout cela dans une unité, dans l’abdication de toute supériorité quelle qu’elle soit, cléricale, même laïque. Chacun de nous est habité par la tentation de la prise de pouvoir et de la domination, et le Christ-Roi, roi de rien devant Pilate, nous invite au contraire à cette démission, cette disparition pour une apparition – il disparut à leurs regards. Et l’enjeu pour nous, c’est de nous effacer pour qu’il apparaisse. Et pour que notre cœur devienne tout brûlant, et que le cœur de ceux qui nous rencontrent devienne aussi tout brûlant au prix de notre propre disparition. Au centre de notre assemblée, au centre de notre foi, il doit demeurer une place vide, un vide créateur, c’est la présence du Christ lui-même, pascal, qui vient au milieu de nous. Ce n’est pas nous, ce ne sont pas nos institutions qui sont au milieu, ni nos réalisations, mais tout cela s’évacue dans un mystère de kénose pour que Lui apparaisse, que Lui soit vraiment présent au milieu de nous. Tous nous sommes habités par le dessein que ce soit Lui qui nous accompagne dans le partage de la parole et le partage du pain.Alors quel avenir pour l’Église dans cette synodalité dont on parle beaucoup en ce moment, synodalité qui n’est pas simplement celle des clercs, pas simplement celle des laïcs seuls, mais qui est celle de tous dans la communion de notre dignité de baptisés et dans la mise en commun de notre service. Puisqu’Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir, et c’est bien cela la spécificité de la communauté chrétienne et de ses membres, nous sommes tous serviteurs, c’est à ce signe qu’on vous reconnaîtra.