Par Jean-Pierre Schmitz
Cet article est repris du numéro de 110-111 de la revue « Les réseaux des Parvis » dont le dossier s’intitule « S’informer et informer » [1].
Dans son livre Le détour, republié en 2019 (Ed. La Tripode) après une première parution en 1979, Luce d’Eramo relate son parcours particulièrement impressionnant. Née en France, puis vivant en Italie avec sa famille, son père était un dignitaire important du régime fasciste dont les sympathies avec Hitler étaient claires. Âgée de 18 ans en 1943, à l’époque de la chute de Mussolini, elle réalise que la seule façon de saisir la vérité entre fascistes et antifascistes était de juger par elle-même. Elle décide alors de s’engager comme ouvrière dans les camps de travail en Allemagne nazie. À travers de multiples épisodes, elle découvre l’effroyable réalité qu’elle était très loin d’imaginer au départ.
Dans des conditions évidemment moins tragiques, nous avons tous fait l’expérience, en prenant connaissance de ce que les médias rapportent sur un sujet que nous connaissons, de découvrir des relations incomplètes et parfois erronées. Cela ne signifie pas en général que les journalistes soient incompétents ou fassent mal leur travail, mais qu’ils ne peuvent couvrir qu’une partie de la réalité. Donc, s’informer soi-même, faire l’expérience personnelle d’aller à la recherche de l’information, c’est aussi important, sinon davantage, qu’être informé par des sources extérieures.
Cela implique des contacts avec des personnes directement engagées dans des situations politiques, économiques, sociales, etc., mais aussi des plongées dans d’autres contextes culturels, des rencontres, des voyages…
Bien sûr, les obstacles et les risques ne manquent pas. Il y a d’abord les difficultés de communication qui sont de toutes sortes : différences de langues, de cultures, de religions, de situations historiques, géographiques, climatiques… Il faut échapper aux idées reçues.
Il m’est arrivé de faire plusieurs séjours en Afrique du Sud au temps de l’apartheid et aux États-Unis, pays dans lequel, malgré Obama, subsiste toujours de fait la ségrégation raciale. Ces deux formes de discrimination ont certes des points communs. Mais à beaucoup de points de vue, les deux s’inscrivent dans des contextes complètement différents et les évolutions historiques ne sont pas les mêmes.
En Afrique du Sud, la politique de ségrégation fut instituée dans les années 1650 lors de l’arrivée des Européens. Elle s’est transformée en apartheid (développement séparé) en 1948 qui a duré jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mandela au début des années 1990. Pendant une longue période, ce pays était un peu sur une autre planète, à plusieurs semaines de l’Europe par bateau avant les liaisons aériennes, et ayant très peu de relations avec le reste du monde.
Ces faits sont connus grâce aux historiens, aux médias, etc. Mais les contacts personnels « sur le terrain » permettent d’en prendre conscience, ce qui est d’une autre nature. Observer certains responsables politiques, sociaux et autres de tous niveaux et tendances nous montre que l’on peut être hyperinformé d’une situation sans en être réellement conscient.
Convaincre les citoyens de l’importance de s’informer est une nécessité, pas toujours reconnue par les politiques qui s’intéressent plutôt aux électeurs qu’aux citoyens. En période électorale, il m’arrive d’assister à des meetings même quand ils sont organisés par un parti pour lequel je sais que je ne voterai pas. Je me souviens d’avoir été une fois accueilli avec la question : « à quelle section locale de notre parti appartenez-vous ? » Ma réponse fut : « à aucune, je viens pour m’informer en tant que citoyen ».
S’informer, c’est aussi être à l’écoute, surtout de celles et ceux qui vivent des situations difficiles, quand les libertés, et spécialement la liberté d’expression, sont bafouées. Les exemples sont hélas innombrables. L’écoute n’est pas seulement un moyen de prendre conscience en recueillant des informations. Elle est aussi la réponse à une demande de personnes en souffrance, tout en sachant que l’on est soi-même le plus souvent désarmé pour apporter des réponses. Le pire serait de se comporter en donneur de leçons.
Mon expérience de vie pendant quatre ans dans un pays d’Extrême-Orient subissant le joug d’une dictature militaire, les nombreux contacts que j’y ai eus, m’ont montré à quel point cette demande pouvait être forte.
S’informer, c’est prendre conscience et c’est aussi partager et échanger.
Note : [1] Revue Réseaux des Parvis n° 110 – 111, été 2022 : S’informer et informer