Abandonner l’obsession de la croissance économique et du plein-emploi pour passer à un État social et écologique où l’objectif deviendrait la « pleine santé ».
Éloi Laurent est économiste à l’OFCE et professeur à Sciences Po et à Stanford. Sa prise de conscience de la nécessité d’un tournant écologique l’a amené à développer une critique non seulement des structures idéologiques de la pensée néolibérale (Nos mythologies économiques, éditions Les liens qui libèrent, 2016), mais aussi de l’obsession de la croissance économique (Sortir de la croissance, 2019, chez le même éditeur), dont nous avons rendu compte [1]. Dans ce troisième volet dont il est question ici, toujours chez le même éditeur, Et si la santé guidait le monde ? (avec en sous-titre L’espérance de vie vaut mieux que la croissance), après s’être attaqué aux structures de pensée de la modernité néolibérale, il propose un nouveau paradigme débarrassé de l’obsession du PIB et du taux de chômage, mais préoccupé par le bien-être réel des citoyens.
Idée générale : remplacer le PIB par un indicateur de bien-être
Le PIB n’est un bon indicateur ni de richesse ni de développement.
Le bien-être humain et la sauvegarde des écosystèmes sont à mettre au centre des choix économiques et des politiques publiques.
L’espérance de vie est un indicateur qui, contrairement au PIB, permet de tenir compte à la fois des inégalités sociales et des crises environnementales. Elle est liée aux conditions environnementales et sanitaires puisque la pollution, les épidémies, les canicules influent sur la mortalité.
Première partie : De l’économie de la santé à la santé de l’économie
L’auteur revient sur la critique de la science économique qui prétend organiser et rationaliser la société.
L’économie qui organise la production et la répartition des richesses cherche à mesurer les coûts et les bénéfices attendus de chaque activité.
Exemple de ce que la méthode donne dans le domaine de la santé : il y a un capital humain dans lequel il faut investir pour améliorer sa productivité et permettre la croissance. Ce qui entraine la vision que les systèmes de santé ont un coût qu’il faut rationaliser.
Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place le disability adjusted life years (DALY), l’espérance de vie corrigée de l’incapacité (en additionnant les années de vie perdues en raison d’une mortalité prématurée et les années de vie productive perdues en raison de l’invalidité engendrée par la maladie, pour évaluer les systèmes de santé. Cet outil de rationalisation budgétaire est utilisé par le système de santé britannique pour valider ou invalider certains traitements. Le seuil fixé est de 20 000 livres sterling. Si un traitement rapporte une année de santé parfaite en plus, mais nécessite d’investir un montant supérieur au seuil, il n’est pas validé.
En outre, l’environnement qui influe directement sur l’état de santé des populations reste absent de la majorité des travaux économiques mainstream.
Deuxième partie : la « pleine santé »
Ce concept fait appel à des dimensions sociales et écologiques. La pleine santé forme le nœud essentiel d’une boucle qui relie la santé des écosystèmes et la santé des humains. Elle comprend toutes les ramifications de la santé humaine : santé physique, santé psychique, liens sociaux, bonheur, inégalités sociales de santé, inégalités environnementales, bienfaits des écosystèmes.
Par exemple, les environnements naturels peuvent avoir des effets positifs indirects sur notre bonheur, en encourageant certains comportements comme l’exercice physique ou les interactions sociales, ce qui améliore la santé mentale ou physique et la longévité.
Autre exemple : la qualité des relations sociales est une variable essentielle de l’espérance de vie. Investir dans les relations sociales et lutter contre la solitude peut améliorer la santé des individus et permettre une adaptation au changement climatique. Les canicules illustrent la nécessité de ces investissements. Les premières victimes de ces grandes chaleurs sont les personnes âgées isolées.
Troisième partie : l’État social-écologique garant de la pleine santé
On y fait le parallèle avec la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle qui a provoqué des vulnérabilités économiques et a conduit en retour à une demande de protection collective.
Les crises écologiques, sont le produit de l’activité économique humaine contemporaine ; on a donc besoin de nouvelles formes de protection collective pour préserver le bien-être humain.
Il faut donc mutualiser ce risque écologique à l’image de ce qui a été fait par l’État providence face aux grands risques sociaux liés au travail : chômage, vieillesse, maladie, invalidité.
La croissance chinoise est un exemple type du problème posé par la croissance économique.
De 1998 à 2018, le PIB chinois a augmenté de 10% par an. Mais les inégalités n’ont pas été réduites ; le libéralisme économique n’a pas engendré de libéralisme politique ; la pollution a crû.
Autre exemple : la croissance économique aux États-Unis n’a pas conduit à une meilleure santé (chute de 15 ans de l’espérance de vie)
Deux enjeux s’offrent à nous
• Construire un schéma cohérent reliant bien-être humain et soutenabilité environnementale
• Rendre les indicateurs de bien-être opératoires
Note :
[1] https://nsae.fr/2022/06/24/pourquoi-lindicateur-du-pib-est-inepte-face-aux-enjeux-ecologiques-avec-eloi-laurent/