Quelques jours après la mort du pape émérite Benoît XVI, trois voix importantes au sein de l’Église catholique se sont prononcées contre de nouvelles démissions de papes sur le modèle de ce dernier. Lors d’un débat à Rome le 10 janvier, l’ancien préfet de la foi et professeur de dogmatique Gerhard Ludwig Müller, le juriste ecclésiastique Cardinal Gianfranco Ghirlanda SJ et l’historien Andrea Riccardi se sont clairement opposés, avec des accents et des justifications différents, à une répétition de l’expérience d’une coexistence non réglementée entre l’ancien pape et le pape en exercice.
Müller est considéré comme conservateur, Ghirlanda comme un homme du centre et Riccardi comme plutôt libéral. Ghirlanda, qui est apparu ces dernières années comme le conseiller le plus proche du pape François en matière de droit canonique et qui a reçu de ce dernier le titre de cardinal pour cela, a déploré que la cohabitation de Benoît et de François ait été instrumentalisée par des groupes qui n’ont jamais accepté le pape en exercice. C’est pourquoi une démission doit être une exception et, en cas de nouvelle démission, des règles strictes doivent être établies.
Riccardi, fondateur de la communauté Sant’Egidio, a déclaré que la décision de démissionner était typique de Ratzinger, mais que la façon dont elle s’est réalisée ne l’était pas. Les ambiguïtés qu’impliquait par exemple le port d’une soutane blanche auraient eu pour conséquence qu’il soit perçu comme un monarque en exil. Riccardi a déploré une tendance à toujours plus de subjectivisme dans l’Église. Il y a toujours eu des conflits, mais auparavant ils étaient réglés à l’écart du public. Dans ce contexte, Riccardi a également mentionné les indiscrétions de Georg Gänswein, secrétaire du pape pendant de nombreuses années.
C’est Müller, qui avait publié en 2017 un ouvrage théologique fondamental sur la papauté, qui s’est exprimé le plus longuement et le plus fondamentalement. Il a émis l’hypothèse que Benoît XVI n’était pas allé jusqu’au bout de sa décision de démissionner il y a dix ans, tant sur le plan dogmatique que sur celui du droit ecclésiastique. Le titre de « pape émérite » est « théologiquement faux », a expliqué Müller. Müller a également critiqué les projets de réglementation de droit ecclésiastique concernant la fonction de « pape émérite » qui ont été présentés jusqu’à présent. Les projets, auxquels Ghirlanda a également collaboré, ressemblent à un catalogue de conditions de détention pour un ex-pape qui serait de fait un prisonnier au Vatican.
Des propositions vouées à l’échec
Mais selon Müller, ces propositions sont vouées à l’échec – non pas en raison de l’incompétence de leurs auteurs, mais parce que la coexistence d’un ancien pape et d’un pape en exercice est contraire à l’essence même de la papauté. Celle-ci consisterait à être, en sa personne, le garant de l’unité pour tous les évêques et tous les fidèles. Seul le pape en exercice représente l’ensemble de l’Église en tant que chef visible. Selon Müller, cela n’est comparable ni à la fonction d’un roi ou d’un chef d’État ni au rôle des chefs d’autres communautés religieuses.
En ce qui concerne la démission de Benoît XVI en 2013, Müller a déclaré que cette décision devait être respectée. Mais on ne peut en déduire « aucune justification pour l’instauration d’une démission régulière du pape pour des raisons subjectives ». Même si Benoît XVI était un excellent théologien, sa démarche ne doit pas conduire à révolutionner la nature de la papauté par la démission.
Müller poursuit : « Il ne peut jamais y avoir qu’un seul pape, qui est en sa personne le principe visible ainsi que le fondement de l’unité et de la communion sacramentelle de toutes les Églises locales ». Selon lui, le véritable héritage de Joseph Ratzinger n’est pas l’introduction de la nouvelle figure du pape émérite, mais son œuvre théologique complète de plus de 20.000 pages qui, à l’instar de celle du docteur de l’Église Augustin, restera dans la mémoire de l’Église.