Le péché structurel
Par Edward Nickell
Nombre des problèmes apparemment insolubles auxquels notre société se trouve aujourd’hui confrontée, tels que le réchauffement climatique, les inégalités sociales, la pauvreté ou le racisme systémique, ne sont pas le fait d’individus particulièrement mauvais ou pervers. Il est difficile d’en trouver les vrais responsables, mais il est évident qu’ils sont provoqués par la société.
Bien des gens, au Royaume-Uni et dans le monde occidental, religieux ou non, sont influencés par l’enseignement de l’Église présentant le péché comme un acte individuel. On ne comprend alors pas comment, n’ayant personnellement rien fait de mal, on peut se trouver collectivement responsable de telle ou telle situations mauvaises.
Mais le langage ordinaire s’enrichit d’un vocabulaire institutionnel, structurel, systémique qui pose le problème de manière adaptée au monde actuel. Si l’Église veut pouvoir s’exprimer dans le monde d’aujourd’hui de façon pertinente, il lui faudra adopter dans son langage la notion nouvelle de « péché structurel ».
Prier comme un enfant
On apprend aux enfants qu’ils peuvent faire de bonnes ou de mauvaises actions, qu’ils doivent dire pardon pour les mauvaises et que, par contre, les malheurs lointains ne relèvent que du domaine de Dieu. Ils diront par exemple : « Pardon d’avoir embêté ma sœur ; et nourris ceux qui ont faim. » Les parents incroyants ne s’expriment pas vraiment différemment.
Nos prières personnelles comme nos prières liturgiques du dimanche sont bien souvent centrées sur nos attitudes individuelles à l’égard du prochain et ignorent toute culpabilité sociétale collective.
Péché « structurel ».
Les maux de la société sont dès lors considérés comme des malheurs naturels dont on laisse la gestion à Dieu seul : la pauvreté, la guerre, la maladie seraient ainsi des problèmes inattendus et apparus spontanément, comme le sont les coups de foudre lors d’un orage ou les éruptions volcaniques. On les porte dans la prière comme si l’on n’y pouvait rien (ce qui est souvent vrai), comme si les autorités au pouvoir n’y pouvaient rien (ce qui est moins vrai) ou comme si les traitements ou la prévention de ces malheurs n’étaient pas à notre disposition (alors que c’est leur prix élevé ou notre volonté politique insuffisante qui les rend indisponibles).
Complexité du péché structurel
En juin dernier, à la suite du meurtre de George Floyd, l’archevêque de Cantorbéry et l’archevêque d’York ont publié une déclaration qualifiant le racisme d’« offense à Dieu », reconnaissant la présence au Royaume-Uni d’un « racisme systémique » et admettant que nous en étions tous responsables.
Alors que la condamnation du racisme semblait largement admise dans l’opinion, le terme de « racisme systémique » a provoqué la consternation générale et fut même parfois reçue comme un affront. Les gens semblent plus choqués d’être eux-mêmes traités de racistes qu’ils ne le sont de la réalité des événements : « Je ne suis pas raciste ! Personne dans ma famille ne l’est et je pense qu’aucun Britannique ne l’est ». Les gens se sentent offensés par l’idée même d’un racisme structurel, car ils se sentent alors personnellement agressés.
Comment faire comprendre aux gens que le fait même de vivre dans un système mondial profondément injuste implique que l’on participe tout naturellement à la perpétuation de ce système alors même que l’on pense mener personnellement une vie « normale » et bonne ?
La condamnation par les archevêques de Cantorbéry et d’York du « racisme systémique » de notre société a été dans cette optique évidemment très importante, bien que certains l’aient interprétée comme « marxiste », substituant Marx à Jésus.
Il est évidemment tentant de considérer ce genre de commentaires comme de simples trolls en ligne. On se souviendra qu’exactement les mêmes ont été utilisés contre le pape François, contre Gustavo Gutierrez et les théologiens de la libération dans les années 1980 où le marxisme était déclaré incompatible avec la foi catholique.
La plupart des chrétiens s’imaginent en effet que le système économique actuel, le fonctionnement des richesses et le mouvement des prix font partie de l’existence naturelle et inévitable de la vie du monde. Pourtant s’il est vrai que notre économie n’est pas « planifiée » par un dirigeant ou un gouvernement, elle est néanmoins soutenue, en tous cas en Occident, par l’ensemble des citoyens. Nous ne sommes évidemment pas des responsables conscients et organisés, mais nous sommes bien impliqués dans son fonctionnement général.
Beaucoup de chrétiens s’empresseront sans doute de dire que lorsqu’ils prient Dieu au sujet de cette question, ils savent parfaitement que l’homme en est responsable. Ils précisent que leur prière manifeste un désir de renouveau.
C’est sans doute vrai. Mais pourquoi cette conviction de responsabilité structurelle ne s’exprime-t-elle pas ouvertement ? Si nous la gardons secrète, au détour d’une prière, comment en prendrons-nous véritablement conscience et la répercuterons-nous sur nos enfants ?
Je crains vraiment que beaucoup de nous pensent qu’en réalité nous ne sommes en rien responsables des plus grands maux auxquels la planète est confrontée.
Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-spiritualite/gc850.htm
Article paru dans le magazine trimestriel de Sea of Faith du Royaume-Uni – Traduction Gilles Castelnau.