Gilles Castelnau : recension du livre de Robert Ageneau
Robert Ageneau a vu le jour en 1938 en Vendée dans une famille dont il a tout naturellement partagé la simple foi catholique. Il nous raconte, dans ce livre, son histoire personnelle, étroitement liée à celle de la spiritualité catholique de son temps. À 12 ans il est paisiblement entré au petit séminaire, puis au véritable séminaire. Devenu prêtre, il est entré dans la congrégation missionnaire des Spiritains, il est ainsi entré en contact avec les pays du Tiers-Monde et a dirigé la revue Spiritus.
Il s’est marié, comme tant d’autres prêtres à cette époque, a quitté le sacerdoce et a tout simplement poursuivi la carrière si bien commencée d’éditeur. Il a fondé L’Harmattan puis Karthala, tout en s’impliquant corps et âme dans les mouvements de renouveau qui surgissaient dans le monde, notamment dans les mondes africain et musulman et dans l’Église catholique.
Hostile au conservatisme des autorités catholiques tout en se refusant de franchir le pas d’entrée et à rejoindre ses amis protestants, il fonda à Karthala la collection « Sens et conscience », ouverture vers une spiritualité libérale fraternelle.
Chaque moment de son itinéraire et des rencontres extrêmement riches qu’il a vécues est clairement et profondément développé dans ce grand livre qui restera un témoin de l’histoire religieuse des XXe-XXIe siècles et du dynamisme créateur d’une spiritualité chrétienne engagée.
En voici des passages
La revue Spiritus (1969-1974)
Mon histoire, notre histoire à Spiritus s’inscrit dans une période de grandes tensions au sein de l’Église catholique romaine de l’après-concile Vatican II. Ce concile avait réintroduit l’esprit de recherche et de discussion. Il avait accouché d’un certain nombre de réformes et de nouvelles manières de voir et de se comporter. Mais ce ne fut qu’un moment d’aggiornamento, alors que le retard pris par l’Église catholique était considérable, par rapport aux acquis de la période moderne (XVIe-XXe siècles) : la liberté de penser et de douter, la démocratie contre la monarchie ou l’autocratie, la subjectivité contre des dogmes essentialisés.
Les tensions se traduisirent à tous les niveaux, tant au niveau de la discipline et des contrôles des mandats donnés qu’au niveau de la doctrine. L’article de François Roustang sur l’émergence du « troisième homme » (Christus, octobre 1966), l’encyclique conservatrice de Paul VI sur la contraception (Humanae Vitae) en 1968, le retour de nombreux prêtres à la vie laïque, furent quelques-unes des manifestations de la crise.
Mes cinq ans à l’Harmattan
Nous étions dans une situation largement répandue au milieu des années 1970, où un nombre significatif de prêtres et de religieux vécurent une profonde transformation de leur manière traditionnelle de vivre et de penser. Pour moi, ce fut la difficulté à continuer à célébrer la messe, à assurer des prédications face à un public anonyme, à vivre dans un monde religieux, avec en particulier le vœu de célibat obligatoire, à rester à l’écart d’une vie laïque. Le vent de liberté, de contestation et d’indépendance, qui soufflait dans ces années-là, explique l’exode massif qui marqua notre génération.
Clarification et régularisation de ma situation personnelle
Dans un premier temps, j’ai choisi de vivre en liberté ma nouvelle situation. Un certain nombre de départs du clergé ou de la vie religieuse relevaient à cette époque de l’insoumission et de ruptures plus ou moins violentes. Étaient en cause des questions de dialogue, de négociations et de compromis difficiles. L’Église catholique romaine ne brillait pas par sa pratique démocratique, comme l’avait montré la condamnation brutale des prêtres-ouvriers en 1954 et, après le concile, celle sans appel de théologiens ou chercheurs (Jacques Pohier, Leonardo Boff, Eugen Drewermann…).
Ce fut quand je régularisai mon compagnonnage avec celle qui était devenue ma femme, par notre mariage civil à la mairie d’Antony en février 1976, que les choses furent mises par écrit.
[…]J’entendis ma mère, qui resta fidèle à sa foi et était économe de ses paroles, me dire en colère en patois : « Tchio pape, y compran rin » (« Ce pape, il n’y comprend rien ». Il s’agissait de Paul VI).
La collection Sens et Conscience
Je garde toujours de Gérard Bessière une tribune en date de 2011 sur la crise de l’Église catholique :
Les derniers des Mohicans vont-ils mourir en silence ?
[…]Des milliers de chrétiens « s’en vont sur la pointe des pieds » sans être écoutés pendant qu’on recherche longuement un accord avec les intégristes. Quatre cents théologiens universitaires en Allemagne, des centaines de prêtres et de diacres en Autriche, ont élevé la voix. En France, si l’on excepte un petit groupe de prêtres à Rouen, et le communiqué – non signé – de l’équipe nationale du groupe « Jonas », le silence est compact. En conversation privée, beaucoup de personnes, y compris des responsables d’Église, disent leur inquiétude, leur déception. Mais les mêmes ne s’expriment jamais publiquement. Rome peut penser que ses orientations sont acceptées. L’absence de protestation cautionne, négativement, le pouvoir et les décisions de la monarchie romaine. Pourquoi le silence de tant de prêtres qui ont joué leur vie sur le renouveau du Concile ? Ils ont pris de l’âge, leur capacité de résistance s’est usée devant l’inertie et la suffisance de l’appareil, une lassitude croissante pèse sur eux. « À quoi bon ? » Un sentiment d’impuissance les paralyse. Ils vieillissent. On leur fait sentir parfois qu’ils ne portent pas l’avenir.
La découverte de l’évêque anglican John Shelby Spong
[…]Le travail d’édition sur Jésus pour le XXIe siècle a été pour moi et pour les premiers lecteurs un moment d’éblouissement, de surprise, avec l’impression de pouvoir sortir d’une vision chrétienne étroite. Une dynamique de déconstruction et de reconstruction. Je livre quelques traits caractéristiques de cette découverte de la nouveauté Spong. Elle explique pourquoi Karthala s’engagera à marche forcée dans l’aventure pour la traduction et la publication de huit de ses ouvrages dans les années suivantes.
En le lisant, on sent très vite que Spong a une connaissance de l’histoire du cosmos, de l’astrophysique, de la philosophie des sciences. II partage totalement la conception de l’évolution, comme clé de l’histoire de la terre, de la vie animée et de l’émergence de l’Homo sapiens. Ses convictions et sa foi l’ont conduit aux États-Unis à s’engager pour la cause des minorités raciales et l’émancipation des femmes (il a eu avec son épouse trois filles et déclare avoir beaucoup appris d’elles) ; il a lutté pour les minorités sexuelles. Ainsi, dans les années 1990, il sera le premier évêque à ordonner un prêtre homosexuel dans son diocèse de Newark (État du New Jersey).
La création de la collection Sens et Conscience, fin 2015
Plusieurs événements vont accélérer le besoin de créer une collection pour accueillir les publications de Spong et d’autres livres qui prennent à bras-le-corps le travail de repenser les fondements du christianisme.
En juin 1994, à notre invitation, John Spong est venu à Paris pour quatre jours, à l’occasion de la seconde édition de Jésus pour le XXIe siècle. Nous fîmes une conférence de presse au boulevard Arago où vinrent de rares journalistes, un représentant du Monde des religions et une stagiaire de La Vie notamment. Une première conférence se tient au Temple de l’Oratoire, près du Louvre, et une seconde plus modeste au DÉFAP, le département missionnaire du protestantisme français. C’est l’occasion de remercier ici nos amis protestants du courant libéral (Gilles Castelnau, Laurent Gagnebin et James Woody notamment) pour leur aide, alors que l’accueil catholique s’avérera timide, pour ne pas dire plus.
En juin 2015 paraît le second ouvrage de Spong. II s’agit de Né d’une femme. Un livre que je chéris, parce qu’il ouvre la porte à une première mise en cause du dogme de l’incarnation divine de Jésus, en montrant qu’il est né comme tous les humains de l’union d’un homme et d’une femme. La parution de ce livre précéda de quelques jours la seconde venue de l’évêque Spong et de sa femme au mois de juin avec deux conférences, l’une au temple protestant de l’Oratoire, la seconde à l’église catholique de Saint-Merry. À l’automne de cette même année 2015 paraîtra le troisième livre de Jacques Musset : Repenser Dieu dans un monde sécularisé. Un ouvrage qui, comme ceux de Spong, décrit l’agnosticisme, voire l’incroyance qui a gagné beaucoup de catholiques. Jacques Musset parle de l’athéisme, de la nécessité de modifier nos représentations de Dieu et montre comment les dogmes sur le péché originel, la divinité de Jésus, sont à rediscuter à la lumière de l’exégèse moderne et de nos approches philosophiques.
Notre équipe fait aussi partie du groupe Croire en liberté, créé début 2021 à l’initiative des pasteurs Gilles Castelnau et Laurent Gagnebin. Ce groupe réunit des associations et des personnalités individuelles d’origine religieuse ou humaniste de tous horizons. Dans le communiqué de lancement, nous y lisons : « Devant la montée des divers intégrismes et radicalismes fondamentalistes, et face aussi à la persistance dans les religions des lectures littérales de leurs textes fondateurs, les “libéraux” de diverses religions ressentent le désir d’établir un contact fraternel avec tous ceux, catholiques, protestants, juifs, musulmans, agnostiques qui pratiquent dans l’esprit des Lumières une lecture historique et critique des doctrines et des textes sacrés, en s’attachant à leur esprit et non à leur lettre. »
http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-interreligieux/i354.htm