Michel Deheunynck.

Nous voici donc en chemin, vers un village, Emmaüs. Il y a ce Cléophas qu’on connaît à peine. Il y a son compagnon dont on ne sait même pas le nom. Et puis, il y a Jésus, Jésus ressuscité. Un récit qui nous situe vraiment au cœur de la foi : d’abord la rencontre et la reconnaissance du Christ sur le chemin de notre vie, le chemin de notre histoire… Pas un lieu ou un moment précis qui aurait été prévu pour cela. Non, un chemin… Un chemin, c’est fait pour avancer. C’est-à-dire qu’on n’est pas là où on était hier ni là où on sera demain. On est là où on est aujourd’hui. Parce que, pour rencontrer et reconnaître Jésus sur notre chemin, il faut être en chemin avec Lui. Être en chemin, ça veut dire avoir envie d’aller plus loin, d’inventer, de chercher. Parfois, il arrive que l’on se trompe de chemin… mais l’important, c’est de ne pas faire du sur-place en vivant notre foi comme une habitude, ou, comme certains, avec la nostalgie du passé. Parce qu’alors, on a peu de chances de rencontrer Jésus dans sa nouveauté, dans sa nouveauté de ressuscité.
En direction d’Emmaüs, cette nouveauté, elle n’avait rien d’éclatant. Le chemin de nos amis n’avait, a priori, rien d’exaltant, c’est le moins que l’on puisse dire… C’était un chemin de peur, de honte, de fatigue, comme c’est parfois le nôtre aussi. Avec la mort de Jésus, ils croyaient s’être bien laissés tromper et avoir tout perdu. À Emmaüs, la foi en la résurrection, elle n’émerge pas d’une exaltation mystique ou cultuelle. Bien au contraire, elle émerge de la non-foi. Cléophas et l’autre, ils n’y croient plus. Et pourtant ! C’est pour nous un appel à reconnaître un chemin de foi même à travers la vie de non-croyants. Un appel à ne pas nous conforter dans nos certitudes, mais à laisser toute leur place à nos questions, à nos doutes, à nos rejets même, dans les moments de désespoir comme sur le chemin vers Emmaüs. Car pour Dieu, rien n’est jamais perdu !
Et justement, le voilà ce Dieu, notre Jésus. Le voilà, non pas au milieu de nos grandes manifestations religieuses ou de nos grandes déclarations de foi. Le voilà sur ce chemin où on se croyait perdu, sans la foi, quand le jour baisse et que la forme aussi, elle baisse. Le voilà au milieu de notre peur, de notre honte et de notre fatigue. Mais qu’est-ce qu’Il vient faire avec nous sur ce chemin perdu, minable ? Il ne vient pas d’abord nous faire la leçon, nous dire ce qu’il faut faire, ce qu’il faut croire. Non, Il vient d’abord nous écouter, écouter nos questions, nos déceptions, nos doutes, nos rejets. Et c’est seulement après qu’Il va nous proposer des signes de reconnaissance. Il y en aura deux. Mais Il ne nous les livre pas clefs en main. Il nous faut les discerner, ces signes. Rien de spectaculaire comme les miracles de l’Évangile… Ça, c’est fini ! Au point qu’ils ne le reconnaissent même pas alors qu’ils ont été trois ans à ses côtés. Le premier de ces signes, c’est une relecture, une psychanalyse, en quelque sorte, de notre histoire de croyants. Pour nous aider à comprendre où on en est aujourd’hui. Et puis, le deuxième signe, c’est le partage du pain… le partage !
Et quand, enfin, ils le reconnaissent, Il n’est plus là ! Alors, non seulement notre foi n’est pas évidente, mais, en plus, elle est paradoxale : c’est quand Jésus n’est plus là que nous croyons en Lui. Et que nous sommes prêts à prendre la route à sa suite. Nous savons qu’Il est toujours là… autrement, mais sur des chemins toujours nouveaux. Alors, à nous d’inventer ces chemins pour, comme à Emmaüs, le reconnaître en ceux que nous croisons, avec qui nous dialoguons, avec qui nous nous attardons en chemin.
Et pour en témoigner, cet épisode se termine par un retour à Jérusalem, là où nous avons entendu Pierre parler de façon grandiose dans notre 1re lecture… Témoigner que la foi, elle n’est pas d’abord dans des lieux dits « saints » comme Jérusalem, Rome, Lourdes… elle n’est pas d’abord dans des cérémonies pompeuses, des rites figés, des jugements moraux à la volée. Elle est d’abord sur les petits chemins de nos vies, là où on n’y croyait plus, là où on n’y croyait plus… C’est là que nous reconnaissons Jésus vraiment bien vivant et que, nous aussi, nous en sommes témoins !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile (éditions Temps Présent, p. 213)