Trois lectures pour fêter l’Ascension
1. Ascension – Pentecôte – Une nouvelle Histoire commence
Marc Durand.
Traditionnellement, ce qui ne signifie pas « selon la Tradition », l’Ascension de Jésus est imaginée comme une glorification. L’iconographie nous montre un Christ glorieux montant aux cieux, pour prendre place sur le trône de Dieu. Cette interprétation fait de l’Ascension une consécration de Jésus. Il faut comprendre le contexte de l’époque. Sans remonter jusqu’à la divinisation de Romulus, enlevé au ciel, l’histoire nous apprend comment les empereurs romains étaient « consacrés » à leur mort et divinisés. Alors leur effigie était gravée sur la monnaie, nous y reviendrons à propos de Jésus. Quand l’Église a développé cette idée du Christ régnant sur le monde (1) parce qu’assis sur le trône de Dieu, elle s’est laissé éblouir par la gloire des empereurs, celle de Jésus devait la surpasser. C’est dans ce même esprit de « glorification » de Jésus lors de l’Ascension qu’a été instituée la fête du Christ-Roi. Le Christ régnerait sur le monde depuis son trône divin.
Avec l’Ascension, Jésus se dérobe
Ce n’est pas une glorification ni une consécration que nous montre Luc dans ses deux récits de l’Ascension. Ils sont d’une sobriété remarquable. Dans l’un comme dans l’autre, Jésus disparaît dans le ciel ou dans une nuée qui « le déroba à leurs regards » (Ac 1, 9). Au lieu d’une glorification comme celle des empereurs, il s’agit d’une « élévation » qui rappelle celle du prophète Elie (Jésus s’est référé plusieurs fois à Elie), qui est retiré du monde. Pour Jésus ceci se passe à Béthanie après qu’il les ait bénis (Béthanie où s’est passée peu avant sa Passion l’« onction » par Marie, d’après Jean, ville aussi de Lazare et de sa « résurrection »), ou sur le mont des Oliviers (dans les Actes). Le mont des Oliviers est le lieu de la Passion (contra – la glorification) et le lieu d’où David a dû s’enfuir et ne plus se montrer au peuple, disparaître, signe de la disparition temporaire de son règne. Celui qui, adoré comme Dieu, pouvait siéger sur le trône de Dieu, s’est retiré et nous renvoie à l’autorité d’un autre, le Père, et à la puissance d’un tiers, l’Esprit. Ainsi l’histoire du Royaume n’est pas terminée :
« Il ne vous appartient pas de connaître le temps et l’heure que le Père a fixés de sa propre autorité, mais avec le Saint-Esprit qui descendra sur vous […] vous serez mes témoins […] jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 7-8)
Du temps de Jésus au temps des disciples
Si Jésus s’est retiré, ce n’est pas pour nous écraser ensuite de sa puissance supposée, mais pour nous laisser le champ libre pour inventer notre vie. Le champ libre aussi pour comprendre son message et le découvrir à chaque génération. Jésus n’est pas assis sur le trône de Dieu d’où il nous écraserait, et plus rien ne pourrait advenir, l’Histoire serait terminée. Attendre la Parousie serait une passivité, juste le temps qu’il n’y ait plus d’hommes sur terre. Luc est sensible à cela, lui qui a écrit l’histoire de la première Église dans les Actes pour nous montrer les premiers chrétiens faisant l’Histoire nouvelle.
Le départ de Jésus est fait de discrétion… il laisse la place pour ne pas nous encombrer de la puissance de Dieu. « Il vous est avantageux que je m’en aille » (Jn 16, 7). Cela évoque pour nous la notion juive du Tsim-Tsoum, apparue dans la kabbale au 16e siècle : Dieu se retire pour laisser une place pour la création (et les hommes), car si le Dieu infini remplissait tout l’univers, comment faire advenir la création ? Dieu se serait donc retiré pour laisser un point infime dans lequel aurait pris place la création et permettre à Dieu d’avoir un vis-à-vis, un homme fait à son image.
Jésus n’est pas ressuscité glorieusement comme l’iconographie et les traditions voudraient le montrer, il a révélé sa Résurrection par une absence, un tombeau vide. Pendant quarante jours qui suivent, il est apparu pour se faire comprendre des disciples qui avaient bien du mal à croire (juste avant l’Ascension, ils vont encore demander si c’est bien maintenant qu’il va établir son règne !) :
« Oh hommes sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! » (Lc 24, 25)
Enfin il disparaît définitivement, renvoyant les disciples vers la Galilée. Qu’est-ce à dire ? La Galilée est loin du Temple, celui-ci n’est plus au centre de la Foi. On sort de la religion établie pour se tourner vers le monde. La Galilée est aussi le lieu où tout a commencé, les disciples sont invités à entrer en eux-mêmes pour comprendre ce qui s’est passé pendant trois ans, quel était le message du Maître et ainsi de pouvoir le porter jusqu’aux confins de la terre.
Le temps pascal est ainsi inséré entre deux vides, deux absences, le tombeau puis la disparition dans la nuée. Comprendre cette disparition de Jésus nous incite à nous mettre en route et nous mettre nous-mêmes à construire notre Histoire, celle de notre salut. Nous ne devons pas répéter bêtement un corpus de croyances qui serait tout fait, mais à l’aide de l’Esprit continuer la découverte de Dieu. Il y a toujours du nouveau à comprendre dans l’Écriture, car l’histoire n’est pas figée et nous amène à lire toujours de façon nouvelle. Si « tout était écrit », tout n’était pas révélé et presque tout reste à découvrir, à comprendre à la lumière de l’Écriture et de notre histoire. La Pentecôte qui suit est l’inauguration de ces temps nouveaux.
Note :
(1) Cette interprétation du règne permettait d’appuyer le pouvoir des empereurs puis des rois qui se fondait ainsi sur la royauté du Christ qu’ils prétendaient incarner sur terre.
Source : Extraits de l’article de Garrigues et sentiers
2. Ascension et théologies politiques
Gaël Giraud.
À la question des apôtres « quand vas-tu rétablir le royaume de David ? » Jésus répond une phrase mystérieuse : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Puis il disparaît et l’ange les renvoie à la vie quotidienne dans le monde.
Il y a deux interprétations de ce texte, d’où découlent deux théologies politiques.
• Première interprétation : le Christ est allé s’asseoir sur le trône du Père, d’où il siège, à la droite du Père. Il règne sur le monde, même s’il s’abstient d’intervenir directement. Il le fait par l’intermédiaire d’un lieutenant, son porte-parole qui va jouir d’une délégation de pouvoir du Christ souverain. S’enracine ici la théologie de la représentation (qui est source de la représentation politique dont nous avons dit qu’elle est en crise). Celui qui aurait dû s’asseoir sur le trône, lieu du pouvoir, c’est le Christ, mais il a refusé et c’est déroutant. Mais il n’est pas très loin, nous dit cette théologie, il lui faut simplement des gouvernants légitimes autorisés à parler en son nom.
• Seconde interprétation : le Christ, invité par les apôtres, refuse de s’asseoir sur le trône de David. Il laisse le trône vacant. Il nous dit que nul ne pourra prétendre être l’incarnation du pouvoir absolu. Seul Dieu en dispose et sa manifestation est renvoyée à la fin des temps. D’ici là, on est renvoyés dans une espèce de clair-obscur inconfortable. Le lieu du pouvoir est vide et il faut construire les figures du bien sans certitude, mais avec la force de l’Esprit qui va inspirer la créativité.
C’est une autre interprétation du texte, complètement différente : le Christ s’est absenté, on en prend acte. Le règne est reporté à la fin des temps et dans l’entre-temps c’est à nous d’apprendre à gérer cette place vide qui nous est laissée.
L’État moderne prend son origine dans la théologie de la représentation. On peut dire que Grégoire VII a créé dans la grande réforme grégorienne de 1075 le premier État européen moderne. Fondé sur une théologie glorieuse du Christ, monté au ciel, qui règne, mais ne gouverne pas.
Par cette grande réforme Grégoire VII a dit : « le lieutenant du Christ absent, c’est moi, le pape », alors que jusque-là c’était plutôt l’empereur du Saint Empire qui cumulait le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Avec la réforme grégorienne, le pape décrète qu’il est l’interprète autorisé de Dieu sur terre, son représentant, avec délégation de pouvoir absolu. Il nomme les évêques qui sont des préfets et l’on sait que celui qui nomme les préfets tient le pays.
On peut dire que Grégoire VII a créé le premier État européen moderne. Fondé sur une théologie glorieuse du Christ, monté au ciel, qui règne, mais ne gouverne pas. Grégoire VII a inventé l’État européen moderne et tous les États européens ont copié le droit de l’Église pour écrire leur propre droit civil. C’est l’Église qui a inventé l’État.
Elle a aussi inventé le clergé. Grégoire VII a inventé cette espèce de bureaucratie de fonctionnaires internationaux que sont tous les clercs européens directement rattachés au pape par le droit canon et qui ont un devoir de loyauté envers lui plus important que vis-à-vis de leur prince local. Les fonctionnaires européens sont d’une certaine manière les avatars ultimes de ce qui s’est inventé au 13e siècle à travers le clergé européen.
Consentir qu’une ressource puisse devenir un commun est un enjeu spirituel
La relecture de notre histoire politique montre que nous avons tour à tour favorisé davantage le privé ou le public. On pourrait relire l’histoire contemporaine comme une extraordinaire privatisation du monde, où tout est transformé en marchandise (exemple extrême : la privatisation du vivant). Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est la privatisation réelle et symbolique de tout ce dont nous disposons, y compris l’environnement naturel. Voulons-nous en sortir ? Et comment ? Avec quelle référence religieuse ?
La source du pouvoir, reposant sur la volonté du peuple qui remplace la volonté de Dieu, est un héritage de la tradition chrétienne. Et cette tradition chrétienne est ambigüe.
Il y a deux manières de comprendre les sources de la religion :
- Je veux m’immuniser, me protéger et revenir à une forme de sacré qui est protégée de la souillure. C’est une forme d’imaginaire qui repose sur la pureté (l’immunisation par la pureté). En Exode 19, Yahvé dit à Moïse qu’il y a une frontière entre le peuple, qui doit rester en bas, et Dieu. Seuls Moïse et Aaron ont le droit de la franchir.
La catégorie du tribal et celle du privé relèvent de cette expérience-là : l’étranger peut me nuire, j’ai intérêt à m’en protéger, y compris spirituellement. Je dois conserver mon identité. - Il y a une autre expérience religieuse qui est la confiance dans ce que je ne connais pas.
C’est la seconde interprétation de l’Ascension. Je consens à faire mon deuil de la présence de Dieu dans mon histoire et à croire que l’Esprit qu’il m’envoie, qui est la source en moi-même, va me donner la force de construire dans l’histoire, de manière toujours relative, les figures du lien social qui nous permet de nous rapporter les uns aux autres.
C’est de l’ordre de la confiance. Une espèce de foi sans garantie, précaire, vulnérable, mais qui ne ressortit pas à la logique de l’immunisation sacrée.
La liberté qui nous est donnée de créer nos propres institutions, l’énergie qui nous est donnée pour les inventer, est-ce une bonne nouvelle pour moi ?
L’absence de Dieu dans notre histoire est-elle une bonne nouvelle pour moi ?
Source : Extrait de l’article : Après la privatisation du monde : les biens communs
3. Vague de prière de Sabeel pour le jeudi 9 mai 2024 (extraits)
L’armée israélienne a ordonné aux Palestiniens de quitter l’est de la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, avertissant qu’elle était sur le point de recourir à des moyens extrêmes. Les conséquences d’une invasion de Rafah seraient catastrophiques : 1,4 million de Palestiniens sont réfugiés, et la moitié d’entre eux sont des enfants dont la plupart ont déjà été déplacés. Tous les regards sont maintenant tournés vers cette ville.
Dieu des opprimés, tu sais ce que c’est que de chercher refuge contre le pouvoir de l’empire.
S’il Te plaît : protège tous ceux qui ont cherché refuge à Rafah et dont beaucoup ont déjà été déplacés plusieurs fois. Seigneur, assure aux habitants de Rafah que même s’ils sont déplacés, torturés, voire tués, Ton amour pour eux restera indestructible, car « Le Seigneur ton Dieu ne te délaissera pas, il ne t’abandonnera pas » (Deutéronome 31.6). Seigneur, dans ta miséricorde, entends notre prière.
Le 30 avril, la Conférence générale de l’Église méthodiste Unie a lancé un appel sans précédent aux gestionnaires de ses placements afin qu’ils excluent les titres de trois pays qui imposent une occupation militaire prolongée à toute une population : Israël, la Turquie et le Maroc. Des actions publiques ont aussi été décidées en faveur de la justice et de la paix en Palestine afin de répondre aux appels de la communauté chrétienne palestinienne.
Dieu d’espérance, nous sommes reconnaissants pour les efforts de l’Église méthodiste Unie dans son combat pour la justice, la paix et la vérité, et nous prions pour que ses déclarations et ses décisions encouragent davantage Églises de par le monde à être des témoins du Dieu des pauvres et des faibles. Seigneur, dans ta miséricorde, entends notre prière.
Le 5 mai, Israël a mis fin aux opérations d’Al Jazeera sur son territoire et a saisi une partie de ses outils de communication. Cette restriction de la liberté de presse a été condamnée par les Nations Unies et par des organisations de défense des droits. Il s’agit d’une nouvelle attaque d’Israël contre la liberté de la presse depuis le 7 octobre.
Dieu de vérité, nous remercions pour tous les journalistes qui ont donné une voix aux sans-voix et qui ont permis au monde de découvrir de sombres réalités. Nous nous souvenons de cette parole de Jésus : « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées » (Jean 3.20). Seigneur, veille à ce que la vérité et la liberté de la presse soient rétablies, afin que la libération, la justice et la paix puissent être réalisées. Seigneur, dans ta miséricorde, entends notre prière.
Ce jeudi 9 mai, Sabeel organise une célébration spéciale par zoom, à la fois en anglais et en arabe, à l’occasion du jour où les chrétiens d’Occident fêtent l’Ascension alors que les chrétiens d’Orient viennent de fêter Pâques. Le titre en sera « Espoir en plein désespoir : Pâques orthodoxe et Fête de l’Ascension », et les intervenants seront le Révérend épiscopalien Dr Naïm Ateek, le Patriarche émérite latin Michel Sabbah, et l’archevêque orthodoxe Atallah Hanna.
Dieu d’amour, nous te sommes reconnaissants pour le leadership et les initiatives du Révérend Dr Naïm Ateek, du Patriarche émérite Michel Sabbah, et de l’Archevêque Atallah Hanna, qui poursuivent la tradition prophétique du christianisme palestinien. Seigneur, fais apparaître en pleine lumière la Bonne nouvelle que ta résurrection, ton ascension et ton triomphe signifient pour tous les opprimés et tous les crucifiés de l’empire. Aide-nous à comprendre que si nous sommes appelés à être les témoins de ta résurrection et de ton ascension dans ce pays qui est le nôtre, il nous faudra aussi accepter de descendre dans les abîmes de souffrance du peuple palestinien, et proclamer en même temps la libération et la paix. Seigneur, dans ta miséricorde, entends notre prière.