Dieu fait signe
Michel Jondot.
Entre demain et hier…
« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Voici cinquante ans, l’Eglise était en plein concile. Devant une question pareille, la réponse du plus grand nombre consistait sans doute à dire que travailler aux œuvres de Dieu consistait à construire l’avenir. L’action humaine du chrétien était liée aux progrès techniques et spectaculaires de cette époque. Les mentalités étaient marquées par la pensée de Teilhard de Chardin qui voyait dans les efforts humains une montée vers un point de convergence où, pour parler comme Paul, tout serait récapitulé dans le Christ.
Les temps ont bien changé. Les clercs aujourd’hui tentent de restaurer le passé. On va chercher dans les sacristies de très vieux vêtements liturgiques pour retrouver la belle époque qui précédait le Concile. L’Eglise d’hier, disent certains, a fait fausse route en se précipitant vers l’avant. Elle s’est rendue au monde en perdant son âme ; il s’agit de retrouver l’Esprit. Et on en vient à confondre l’Esprit de Jésus avec l’esprit d’avant Vatican II. On retrouve des rites antiques pour honorer le Christ, comme l’adoration du Saint-Sacrement qu’on impose aux jeunes dans certaines aumôneries.
Le monde des signes
« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Travailler aux œuvres de Dieu a quelque chose à voir avec les signes. La question est posée à propos de la nourriture que Jésus et la foule avaient mangée ensemble la veille. Cinq mille hommes avaient été rassasiés. Le pain, en réalité, n’est pas seulement matière à refaire les forces du corps. Il n’a pas grand goût quand il est distribué au prisonnier isolé dans sa cellule. En revanche, il prend toute sa saveur quand il est partagé en commun ; il unit les convives aussi sûrement que des paroles d’amitié ou des déclarations d’amour. En ce sens le pain est signe. La foule n’avait pas compris : « Vous me cherchez non parce qu’on vous a fait signe, mais parce que vous avez été rassasiés ». Recevoir le pain est toujours un signe. Jésus leur révèle que la foi naît lorsqu’on partage la vie et qu’on y reconnaît le don de Dieu, l’œuvre de Dieu. Le monde des signes est l’univers de Dieu, il faut y pénétrer pour accéder à la foi. « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ». Les Juifs n’en restent pas là. Pour mieux comprendre comment on entre dans l’univers des signes, les interlocuteurs insistent. « Fais quelque chose pour que nous puissions croire ». Et pour illustrer leur demande, ils plongent dans l’histoire ancienne et se réfèrent à Moïse.
« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Jésus n’esquive pas le problème. La manne qui nourrissait le peuple au temps de l’Exode était don de Dieu. Elle nourrissait les corps, mais elle venait du Père ; elle était don du ciel. Et Jésus continue son discours en les ramenant au présent. Où est le pain du ciel ? Il déborde les temps. Il est en chaque instant. Partout où des hommes communiquent entre eux, l’interlocuteur est pour chacun don de Dieu, pain du ciel qui fait mieux que nourrir les corps. Les années et les siècles se suivent, mais les signes demeurent ; ils sont « la nourriture qui se garde pour la vie éternelle ». Faisant allusion au don du ciel que Jésus leur indique, on lui adresse la demande : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours ». Jésus leur répondit en les ramenant à l’entretien en cours. Celui qu’ils ont sous leurs yeux est le signe que le Père leur envoie : « Moi, je suis le pain de la vie ; Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif ».
« Donne-nous le pain de ce jour »
« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Point n’est besoin de se tourner vers l’avenir comme le faisaient les aînés lors des Trente Glorieuses au temps de Vatican II. Point n’est besoin de retourner aux époques préconciliaires. Qu’il y ait des sensibilités diverses n’est pas nouveau. Point n’est besoin de retourner aux pratiques de Jésus en Palestine lors de la multiplication des pains. En revanche, l’Eglise se doit, et tous les baptisés avec elle, d’ouvrir les yeux sur le présent qui vient. Quand on dit la prière que Jésus nous a apprise, nous ne demandons pas s’il reste du pain de la veille ; nous ne lui demandons pas du pain en quantité telle que nous aurons l’assurance de ne pas avoir faim demain. Nous lui demandons le pain de ce jour. Celui-ci n’est pas seulement ce qui nourrit nos corps. Il est ce qui nous unit les uns aux autres lorsque nous nous faisons signe. Et parce qu’il nous est donné de croire, nous reconnaissons qu’en chaque rencontre Jésus est présent et le Père nous fait signe.