Une bonne raclée aux ritualistes
Michel Deheunynck.
Nous retrouvons donc aujourd’hui l’évangéliste Marc qui est de service en cette année B. Et avec lui, nous retrouvons aussi Jésus aux prises avec ses adversaires habituels, non pas les païens, non pas les infidèles, mais au contraire les fidèles des fidèles, les autorités religieuses elles-mêmes, scribes et pharisiens. Aujourd’hui, on dirait les traditionalistes, les conservateurs qui l’interpellent rudement lui, ses disciples, et nous-mêmes par la même occasion, pour non-conformisme, non-respect des règles ritualistes. Et ils vont se prendre une bonne raclée, une réplique cinglante de Jésus. Qui va les confronter au prophète Isaïe, 8 siècles avant « Ceux-là m’honorent des lèvres, mais leur cœur est loin de moi ». Et Isaïe va même plus loin. Il les descend en flèches en déclarant « inutiles leurs cultes, leurs doctrines, leurs préceptes ».
De quoi s’agit-il donc cette fois ? Des coutumes rituelles alimentaires ! Comme si la foi se vivait dans le tube digestif : ce tuyau ouvert à ses deux extrémités où ce qui entre à un bout ressort par l’autre : un simple passage. Alors qu’on sait bien que la foi, comme disait déjà Isaïe, et puis ensuite Jésus, c’est bien sûr dans le cœur qu’elle se vit.
Et puis, il s’agit aussi du lavage des mains. C’est une règle d’hygiène bien utile. Mais quel rapport avec la foi ? Il y a ceux qui s’en lavent les mains, comme Pilate. Il y a ceux qui ne veulent surtout pas se mouiller, se salir les mains. Il y a ceux qui préfèrent garder les mains dans leurs poches ou dans le dos, toujours propres, comme s’ils n’avaient pas de mains du tout. Ils restent à distance, enfermés dans leur propreté, leur pureté pendant que leur cœur, lui, se dessèche. Ils se préservent, ferment leurs portes, leurs frontières, leurs cœurs, pour être sûrs de ne pas être contaminés. C’est une religion aseptisée qui répète les rites du passé en oubliant que vivre, c’est se risquer à inventer l’avenir. Voilà ce que Jésus dénonce. Parce que l’important pour lui n’est pas au-dehors, dans les apparences, dans les bonnes manières, dans le conformisme social ou religieux. Il est au-dedans, au fond du cœur.
Le pharisaïsme, c’est un mécanisme de défense qui utilise la religion. On s’en remet au moi, ce qui évite de s’en remettre à sa conscience. Et alors, c’est l’apparence extérieure, les signes distinctifs qui masquent et donc étouffent le cœur. C’est le cérémonial qui pervertit le sens et la règle qui pervertit l’esprit. Mais Jésus n’est pas dupe de tout cela et, à chaque occasion, Il a voulu démonter cette mécanique. Alors, pas étonnant qu’Il ait été rejeté et qu’au long des siècles, le message de son Évangile ait été dénaturé par les bien-pensants de la religion, menacés dans leur prestige et leur arrogance.
Et dans cet épisode que nous avons lu, pour en découdre avec le formalisme des pharisiens, qui appelle-t-Il ? Non pas les savants, les spécialistes, les professeurs de religion. Non, Il appelle la foule, le peuple et puis ses amis, les disciples, donc nous, aujourd’hui. C’est donc à nous qu’Il fait confiance : à notre conscience libre, à notre cœur combatif, à notre esprit ouvert et à notre sens critique dont notre monde et notre Église ont tant besoin….
Alors, que ce repas qui nous rassemble ce matin pour le partager en son nom ne soit pas une règle rituelle de plus, alimentaire ou religieuse, mais une marque de complicité avec lui, lui qui ne nous appelle jamais à la soumission (beaucoup sont déjà bien assez soumis comme ça…), mais toujours à la dignité.
Source : La périphérie : un boulevard pour l’Évangile ?, p. 103