L’Église : une ambiguïté à déjouer
Jean-Luc Lecat.
Tout un ensemble d’expressions laisse entendre que l’Église est au cœur de tout ce que les chrétiens sont appelés à vivre, expressions telles que : « l’Église a besoin de tous pour accomplir sa mission », « nous avons à construire l’Église du Christ », « il s’agit d’entrer dans la foi de l’Église, il faut réparer l’Église », ou les mots de ces jours-ci de François s’adressant aux prêtres : nous sommes dans « les temps de purification de l’Église », « le Seigneur est en train de purifier son Épouse, il souffle son Esprit pour redonner beauté à son Épouse surprise en flagrant délit d’adultère »… jusqu’à cette pub nous invitant à donner qui a déclenché mon indignation et ma réflexion : « je crois en l’Église, je lègue à l’Église » (pub dans La Croix du samedi-dimanche 29 et 30 juin 2019) !
L’Église n’est pas un être, une personne : elle est la foule innombrable des croyants.
Jésus qui habite son peuple, voilà l’Église, une façon de vivre des disciples du Christ à la lumière de l’Évangile, qui peut paraitre étrange, utopique, différente de celle du profit, de l’argent, du pouvoir, du chacun pour soi ; image d’éternité peut-être…
Sans les hommes et les femmes qui la composent, l’Église n’a pas d’existence, pas de réalité par elle-même. Dire : « l’Église pense que », « demande que », « ordonne que », « interdit que », n’a pas de sens. La seule chose que l’on puisse dire c’est : « les croyants en Christ assemblés en tel lieu, à telle époque donnée et dans des conditions d’existence données, pensent que, disent que… »
Il n’y a pas de paroles définitives, il n’y a pas d’options irréformables, il y a des hommes et des femmes croyants aux prises avec les réalités de la vie d’aujourd’hui pour construire le monde d’aujourd’hui. L’Église ne peut pas être une vérité à croire, une réalité intouchable, une quasi-personne.
Or, au cours de l’histoire, l’Église s’est érigée en absolu…
Jésus n’a pas fondé une Église. Ce sont ses disciples qui ont pensé lui être fidèles en prenant les commandes. Des hommes ont usé et abusé du verset « tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Avides de bien faire sûrement, ils ont voulu organiser, contrôler, ne pas se laisser déborder : ils se sont emparés de ces quelques mots pour s’autoriser à créer une structure, une organisation, qui s’est institutionnalisée pour régir la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus…
Les communautés se sont choisi des responsables, elles leur ont reconnu un pouvoir sacré, et peu à peu une hiérarchie s’est installée et a régi l’Église. Les évêques, les clercs, les théologiens, le pouvoir civil même, ont imposé des règles de fonctionnement, des affirmations dites intangibles, des institutions qui leur ont paru adéquates, et tout cela s’est appelé l’Église, à la fois, indissociablement et inextricablement, Assemblée de croyants et Institution. Et c’est le piège !
L’Église s’est installée dans une situation d’ambiguïté permanente et de domination.
Hiérarchie, théologiens et religieux ont sacralisé cette Église, son organisation, ses affirmations, ses décisions, ses commandements, tout en se donnant bonne conscience et en rappelant que, bien sûr, l’Église c’est l’ensemble du peuple croyant. Mais l’Église s’est ainsi érigée en objet de foi, de vénération, de domination sacrée.
Au lieu de considérer toutes les innovations et formulations comme des besoins d’une époque ou d’un lieu, le pouvoir hiérarchique a eu tendance à additionner, universaliser, sacraliser les affirmations dites irréformables aussi bien que les « inventions », les « trouvailles » de fonctionnement et d’organisation. Le pouvoir hiérarchique et théologique a statufié, figé dans le dogme et la tradition, au lieu de savoir relativiser, remettre en cause en fonction du temps, des avancées humaines et scientifiques, des prises de conscience de ceux qui sont le tissu même de l’Église, les croyants vivants de leur foi dans leur temps.
Même si une multitude de femmes, d’hommes, d’enfants de l’Église ont infiniment apporté au monde, il nous faut renoncer à cette idée d’une Église maitresse de pensée et de vie. L’Église dite Institution, en elle-même, n’est rien qu’un outil. Elle n’a pas autorité sur les personnes. La prendre pour référence à laquelle on devrait se soumettre, ce serait en faire comme un absolu. Elle n’est qu’une organisation d’une complexité telle que la réformer semble relever d’un défi insurmontable. Mais « rien n’est impossible à Dieu » !
Ce n’est pas l’Église-Institution qui a la solution face aux problèmes qu’elle rencontre en ce XXIe siècle, même si c’est avec elle aussi qu’il faut chercher.
C’est aux chrétiens d’aujourd’hui d’inventer la façon de vivre du Christ et de sa parole en notre temps.
Face aux grandes remises en cause actuelles de l’institution Église liées au pouvoir, à la sexualité, à l’argent, ce n’est pas à la « machine-Église » de décréter du haut de sa hiérarchie : « maintenant il faut faire ceci, il faut se réformer comme cela, il faut mettre en place telle institution, supprimer telle autre… »
C’est à nous tous, les croyants en Jésus-Christ, laïcs, clercs et religieux ensemble, de nous retrousser les manches et de reprendre conscience de ce que nous sommes, de notre responsabilité par rapport à la Bonne Nouvelle. À nous tous d’être à l’œuvre, individuellement et avec les autres, pour inventer comment, en ces années 2020, vivre pleinement la parole de Jésus dans ce monde tel qu’il est avec ses découvertes, ses angoisses, ses richesses, ses recherches, ses aspirations.
Le renouvellement de l’esprit chrétien, de la vie chrétienne aujourd’hui, ne me semble pouvoir se faire que si nous acceptons de ne pas nous focaliser sur l’Église-Institution, les transformations à y faire, les modifications à apporter, le visage à lui donner. L’Institution, par ses clercs et ses théologiens, n’est rien qu’un outil au service des croyants ; ce n’est pas à elle de décider ce que nous devons faire.
Ce sont nous tous, baptisés, sans distinction aucune, mais à l’écoute de l’Esprit ensemble, qui devons trouver les solutions ; ce sont nos communautés chrétiennes, avec leurs clercs si elles en ont, qui ont à se confronter aux problèmes et à mettre en place des solutions pour le temps que nous vivons et là où nous sommes. Ce n’est pas aux prêtres de décider ou de commander, sous peine de retomber immédiatement dans le cléricalisme, mais c’est, à mon avis, aux prêtres de nous garder ensemble dans la richesse de nos diversités, d’avoir soin de chacun et de tous, de nous permettre d’être debout en reconnaissant notre liberté de pensée et de conscience, de nous rassembler, de nous réconforter et de nous nourrir dans ce chemin d’aventure au service de notre terre !
L’important n’est pas de rajeunir ou de réparer l’Église, mais d’être porteurs de la Bonne Nouvelle, au cœur du monde, d’y être sel et lumière. Et c’est en le vivant ensemble, que ce peuple de croyants que nous sommes offrira de la vie à notre monde : et par surcroît, il risquera d’offrir un visage vraiment renouvelé de l’Église en notre temps.
Le but, c’est de vivre en croyants en Christ et comme lui, d’avoir la passion des êtres humains, femmes et hommes, dans ce monde de 2020.
À vin nouveau, outres neuves !
https://saintmerry-hors-les-murs.com/2024/09/05/leglise-une-ambiguite-a-dejouer/