Pour une belle carte postale !
Philippe LIESSE.
Alors que les bombes continuent de secouer les quatre coins du monde, les épreuves sportives se présentent comme une alternative à ces conflits qui n’offrent aucun répit aux femmes et aux hommes qui pataugent dans la faim, la boue et le sang. Pour les uns, c’est l’épreuve pour trouver un endroit où enterrer leurs morts et un peu de nourriture et d’eau pour étancher la faim et la soif des survivants, pour d’autres c’est l’épreuve sportive qui débouchera peut-être sur la médaille, fût-elle d’or, d’argent ou de bronze ?
Mais si on montre le moins possible les horreurs d’une guerre, les Jeux olympiques ont droit à tous les relais médiatiques ! La ville organisatrice veut montrer une carte postale dithyrambique de ce qu’elle peut proposer. Et les différents hymnes nationaux donnent l’occasion aux sportifs et aux spectateurs de laisser éclater leur émotion, une émotion toute nationale évidemment.
Ce que les médias ne disent pas, ou si peu, ce sont les choix sociaux et politiques exigés par l’élaboration de cette carte postale. Ainsi, le 16 juillet, soit quelques jours avant l’ouverture des jeux, 250 personnes ont été parquées dans des centres d’accueil et d’évaluation (CAES) en Île-de-France ou à Besançon. Au lever du jour, le périphérique bouchonne. Des camions stationnent dans le parc de la Villette tandis que des cars attendent que des passagers quittent leurs tentes de fortune pour venir s’y engouffrer. Ce sont des Afghans, des Érythréens ou des Soudanais qui vivent là depuis plusieurs jours. Il y a aussi des CRS, avec un nouvel écusson « Pays hôte Paris 2024 » sur le bras gauche, qui leur servent de « guides ».
Le gouvernement français a choisi d’écarter ces demandeurs d’asile en les parquant pour un temps dans des centres éloignés de la capitale.
Combien de temps vont-ils y rester ? « Au moins un mois, peut-être jusqu’à mi-septembre, le temps de ne pas gâcher la belle carte postale de Paris pendant les JO », répond Paul Alauzy, coordinateur sanitaire à Médecins du Monde.
Celui-ci est le porte-parole d’un collectif qui regroupe 80 associations, et qui a été créé pour dénoncer ce parcage des personnes livrées à la pauvreté et au dénuement quotidiens.
Ce collectif dénonce donc la grande lessive sociale qui se veut au service des Jeux olympiques.
L’expulsion des migrants et des communautés roms est monnaie courante ; cependant, le collectif dénonce un nombre croissant de ce type d’actions, durant ces derniers mois, à Paris et en banlieue.
Le collectif a publié un rapport « Circulez, y’a rien à voir » qui stipule que les expulsions couvrant la période d’avril 2023 à mai 2024 en Île-de-France ont concerné 12 545 personnes. Soit une augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022. Parmi ces personnes, 3434 étaient mineures, soit deux fois plus que l’année précédente, et trois fois plus qu’en 2021-2022.
Si nous pouvons laisser parler notre émotion devant une belle carte postale, n’hésitons pas à oser dire ce qu’elle cache, sciemment ou non, car, comme le dit Edgard Morin : « J’ai connu Paris en joie, Paris en foi, Paris en émoi, Paris aux abois, le Paris de la diversité et celui de la ségrégation, la Ville Lumière, mais aussi la ville tentaculaire » [1] !
[1] Edgard Morin, Graines de sagacité, FayardSource : Bulletin PAVÉS n° 80 p.3