Paix, violence et religions…
Juan José Tamayo.
La paix est l’un des biens les plus précieux et les plus désirés de l’humanité, mais aussi l’un des plus fragiles et des plus menacés. En remontant les traces de l’histoire, on chercherait en vain un état de paix durable. Tout au plus trouve-t-on des armistices, c’est-à-dire de brèves périodes intermédiaires entre deux guerres, qui ne sont pas vraiment des havres de paix, mais des temps calculés pour préparer de nouvelles guerres avec de nouveaux tueurs d’hommes et de nature encore plus destructeurs.
L’humanité, ou plutôt ses dirigeants, y compris les dirigeants religieux, semblent suivre le slogan belliciste : « Si vous voulez la paix, préparez la guerre ». Un slogan bien éloigné de l’idéal des Lumières de « Paix perpétuelle » proposé par Emmanuel Kant – dont nous célébrons cette année le troisième centenaire de la naissance – dans l’ouvrage du même titre, publié en 1795, où l’on peut lire : « Cette facilité de faire la guerre, jointe à l’inclination que ressentent ceux qui en ont la force et qui semble congénitale à la nature humaine, est l’obstacle le plus puissant à la paix perpétuelle ». Kant, toujours aussi opportun, précis et d’actualité !
Et quelle attitude les religions adoptent-elles face à la violence, face aux guerres ? Nous constatons un manque d’harmonie entre les messages de paix qu’elles prêchent et certaines de leurs manifestations historiques violentes par lesquelles elles ont réussi à imposer leurs croyances par la force des armes et à dominer les esprits et les consciences. Ce que Baruch Spinoza, qui a souffert dans sa chair d’être expulsé de la communauté juive, a dit avec une grande lucidité à propos des chrétiens, s’applique à pas mal de croyants et de dirigeants d’autres religions : « J’ai souvent été surpris de voir des hommes qui professent la religion chrétienne, religion de paix, d’amour, de continence, de bonne foi, se combattre avec une telle violence et se persécuter avec des haines si terribles, qu’il semblait que leur religion se distinguait plus par ce caractère que par ce que j’ai indiqué plus haut. En recherchant la cause de ce mal, j’ai trouvé qu’il provenait surtout de ce que les fonctions du sacerdoce, les dignités et les devoirs de l’église étaient rangés dans la catégorie des avantages matériels, et que le peuple s’imaginait que toute la religion consistait dans les honneurs rendus à ses ministres ».
Dieu, « le mot le plus honni ».
Le philosophe juif Martin Buber est plus sévère quant à l’utilisation du mot « Dieu » pour légitimer la violence et même pour l’exercer en son nom et sur son ordre. « Dieu », dit-il, « est le plus vilipendé de tous les mots humains. Aucun n’a été autant sali, mutilé… Les générations humaines ont fait peser sur ce mot le poids de leur vie angoissée et l’ont écrasé au sol. Il gît dans la poussière et porte le poids de tous. Les générations humaines, avec leur partisanerie religieuse, ont déchiré ce mot. Elles l’ont tué et se sont laissées tuer par lui. Ce mot porte leurs empreintes digitales et leur sang…. Des hommes dessinent une marionnette et écrivent en dessous le mot “Dieu”. Ils s’entretuent et disent : “Nous le faisons au nom de Dieu…”. »
Nous devons respecter ceux qui interdisent ce mot, parce qu’ils se révoltent contre l’injustice et les excès qui se commettent si facilement avec une prétendue autorisation de « Dieu ». Il est compréhensible que beaucoup proposent de se taire, pendant un certain temps, sur les « fins dernières », afin de racheter ces mots dont on a tant abusé ». Certes, il ne sera plus possible de purifier la Parole de « Dieu » de tant de calomnies et de souillures, de tant de déchirures et de mutilations, de tant d’enlèvements et de manipulations dont elle a été l’objet au cours des siècles. Mais ne nous décourageons pas. Car oui, nous pouvons, toutsouillé et mutilé qu’il est, le relever de terre et l’ériger en un moment historique transcendantal ».