En Inde, l’Église catholique est confrontée à bien des problèmes…
Par Régine et Guy Ringwald
NSAE continue à suivre les nouvelles venant d’Inde, et notamment du Kerala, où un évêque, Franco Mulakkal est accusé par une religieuse la congrégation des Missionnaires de Jésus de l’avoir violée plusieurs fois entre 20016 et 2018 [1].
- L’évêque incriminé use de tous les subterfuges pour se soustraire à la Justice, en ne se rendant pas aux convocations. Il était convoqué le 13 juillet ;
- Sr Lucy Kalappura expulsée de sa communauté [2] pour avoir soutenu le mouvement de protestation contre l’évêque et qui a vu ses recours rejetés par le Vatican. Elle fait part actuellement de ses conditions de vie difficiles ;
- Des suicides de prêtres sont signalés et maintenant commentés d’une façon qui éclaire leur situation psychique et affective.
En mars, NSAE a émis un communiqué, signé par 19 associations membres du réseau NSAE et des Réseaux des Parvis. Nous avons aussi écrit au Pape François pour attirer son attention sur le cas de l’évêque Mulakkal et sur celui de Sr Lucy. Nous avions aussi relaté, en juin, d’étranges et odieux « accidents » qui arrivaient à des religieuses [3] qu’on retrouve de temps en temps au fond d’un puits…
Mulakkal s’esquive de nouveau
Depuis son arrestation, puis sa libération sous caution, en octobre 2018, il ne s’est jamais présenté à la bonne douzaine de convocations qu’il a reçues du tribunal. La dernière excuse qu’il avait alléguée, à savoir que le lieu où il résidait était une zone de confinement s’était révélée fausse. Le 16 mars dernier, le tribunal de Kottayam avait rejeté sa requête, tendant à le décharger des accusations portées contre lui dont il disait qu’elles étaient fausses et qu’elles étaient fabriquées [4]. Le 7 juillet, la Haute Cour d’État du Kerala, saisie en appel, avait considéré que les charges paraissaient suffisantes pour donner lieu à un procès. Il était donc attendu le 13 juillet, mais, comme d’habitude, il n’est pas venu. Le tribunal a annulé sa caution et prononcé son arrestation. La Cour a aussi inculpé ses cautions pour n’avoir pas fait en sorte que l’évêque se présente.
Mais, le même jour, Mulakkal faisait savoir qu’il avait été testé positif au coronavirus. Le porte-parole du diocèse de Jalandhar, où il réside [5], a déclaré au Hindustan Time que la santé de l’évêque « n’est pas trop bonne ». Cependant, l’association de prêtres et de laïcs qui soutiennent les religieuses, SOS (Save Our Sisters) fait état de ses doutes sur la réalité de sa maladie : « Nous doutons sérieusement de la légitimité de cette nouvelle revendication. Nous avons la confirmation que l’évêché où réside l’accusé n’est pas confiné. L’administrateur en exercice est sorti de la résidence. Les autres prêtres n’ont pas non plus été mis en quarantaine. S’il y avait un patient COVID-19 au palais épiscopal, alors ils ne seraient pas aussi laxistes et désinvoltes ». On remarque aussi que l’éventuelle contamination de l’évêque Mulakkal par le virus intervient justement le jour où la cour a annulé sa liberté sous caution. La prochaine audience est fixée au 13 août.
Sœur Lucy
Les conditions de vie de la Sœur Lucy deviennent de plus en plus dures avec le confinement. Selon elle, on lui refuserait la satisfaction de besoins élémentaires, et même de la nourriture. La religieuse a déclaré qu’elle « craignait pour sa vie », et s’est plainte à la police à quelques reprises, mais aucune mesure n’a été prise.
Dans une requête présentée à la haute cour du Kerala, Sœur Kalappura a dit être menacée par les autorités du couvent et certains prêtres du diocèse de Mananthavady où elle vit actuellement.
D’après Mattersindia, elle a déclaré qu’elle avait déposé une requête auprès de la police pour obtenir une protection contre son expulsion du couvent. Elle avait également demandé la protection de sa vie et de ses biens, Mais, selon elle, la police n’a pas donné suite à cette plainte jusqu’à présent. La religieuse a déclaré qu’elle vivait toujours dans la peur et a demandé à la police de lui fournir une protection.
Le 9 juillet, le juge qui a entendu sa requête, a adressé une notification aux autorités de la congrégation du Kerala et à deux prêtres du diocèse de Syro-Malabar. Dans son ordonnance provisoire, la Haute Cour a ordonné à la police « de veiller au maintien de l’ordre public et, si nécessaire, de protéger de manière adéquate la vie et les biens du requérant contre toute incursion des défendeurs ». Les défendeurs ont dix jours pour faire connaître leur position.
Dans un livre autobiographique, évidemment controversé, sorti en décembre dernier, elle a allégué que des agressions sexuelles avaient lieu dans des couvents et des séminaires et a appelé à des réformes institutionnelles.
Des prêtres se suicident
Depuis quelque temps, des suicides de prêtres sont signalés dans la presse, sans beaucoup plus de commentaires ni d’explications. Un article relevé sur le site Mattersindia le 14 juillet, fait des propositions détaillées pour des changements « inévitables » dans le processus de formation des prêtres. Le plus intéressant pour nous dans cet article est qu’il met en évidence le grave défaut que la situation actuelle induit dans l’équilibre psychique des prêtres.
Sans pouvoir juger de la validité des propositions, le fait est qu’elles prévoient une formation par étapes, entrecoupées de retour à la vie normale, avec activité professionnelle dans le milieu familial, pour assurer une expérience de la vie et éviter qu’ils deviennent étrangers dans leur famille. Citons un passage qui éclaire la situation : « Le principal inconvénient de la formation actuelle est qu’elle fait (du prêtre ou du séminariste) un étranger dans sa famille ». Dès qu’un étudiant est recruté et rejoint le petit séminaire, la « mentalité » et le « style de vie » de l’étudiant changent. Exemples : l’étudiant qui dormait par terre et mangeait avec ses mains à la maison est obligé de dormir dans un lit et de manger à la cuillère et à la fourchette au séminaire. Lorsqu’il rentre chez lui pour ses vacances… le « fossé » se creuse au fil des ans. Lorsqu’il devient prêtre, il rentre chez lui en tant qu’« invité spécial ». L’ancien « lien avec la famille » qui existait n’existe plus ! De nombreux prêtres sont coupés de leur famille. Cela contribue dans une large mesure à leur « solitude » ». Voilà qui en dit long.
Une autre cause de rupture affective et d’évolution vers le carriérisme est la faculté pour les prêtres de choisir le diocèse où ils souhaitent exercer. Citons encore : « La pratique actuelle est que les élèves sont libres de rejoindre n’importe quel diocèse ou province. Par conséquent, de nombreux prêtres du Sud travaillent dans les diocèses du Nord et du Nord Est. Certains d’entre eux deviennent évêques et de nombreux habitants du Sud y détiennent des portefeuilles importants. La conséquence négative est que les “fils de la terre” sont mis sur la touche. Leur autonomisation reste un rêve non réalisé ».
Enfin, « le célibat pourrait être rendu facultatif… nous trouvons que les pasteurs mariés sont “plus mûrs dans leur travail pastoral” que les prêtres catholiques. Pourquoi l’Église catholique hésite-t-elle à tirer cette leçon ? »
Le site « Mattersindia » ne constitue qu’une seule source à ce jour sur le sujet, mais les faits relatés sont un début d’explication de la faible maturité des prêtres.
Des fonds en baisse ?
Le Mumbai Mirror a relaté une baisse des donations à l’Église, les fidèles soupçonnant que l’argent puisse être utilisé pour acheter le silence des victimes et de leurs familles. Ils préfèrent donner directement aux pauvres. Cela fait suite à des nouvelles selon lesquelles Mulakkal aurait offert 50 millions de roupies et un terrain à la famille de la victime pour que la plainte soit retirée. L’archevêché de Bombay nie cette chute des ressources de l’Église.
Notes :
[1] https://nsae.fr/2019/09/06/kerala-conflits-de-pouvoir-sur-fond-dabus-sexuels/
[2] https://nsae.fr/2019/08/22/en-inde-une-religieuse-exclue-de-sa-congregation-pour-avoir-proteste-contre-un-eveque-soupconne-de-viol/
[3] https://nsae.fr/2020/06/25/inde-une-mort-pas-du-tout-naturelle-vise-les-religieuses/
[4] https://nsae.fr/2020/02/05/leveque-mulakkal-accuse-davoir-viole-une-religieuse-en-inde-demande-au-tribunal-de-rejeter-les-accusations/
[5] Le couvent de sœurs Missionnaires de Jésus, situé au Kérala, dépend (pour des raisons historiques) de l’évêque de Jalandhar (Pendjab)
Illustrations :
http://mattersindia.com/2020/07/rape-accused-bishop-must-face-trial-kerala-high-court/
http://mattersindia.com/2020/07/kerala-high-court-asks-police-to-protect-rebel-nun/
http://mattersindia.com/2020/07/changes-inevitable-in-priestly-formation/
Voir la lettre de NSAE au Pape François